L’opérateur de téléphonie mobile Mobilis met les deux pieds dans le football en rachetant la JS Kabylie, le club le plus titré d’Algérie.
Une acquisition qui acte l’échec de l’aventure professionnelle du football algérien, entamée il y a plus d’une décennie.
Mardi 29 novembre, le club sportif amateur (CSA) a annoncé la vente de 80 % de ses actions à l’opérateur historique de téléphonie mobile, filiale d’Algérie Télécom.
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De facto, celui-ci devient l’actionnaire majoritaire de la société sportive SSPA-JSK dont la majorité du capital est détenu par le CSA. Le montant de cette acquisition n’a pas été divulgué et Mobilis n’a pas présenté de projet économique pour la justifier. S’agit-il d’un rachat sur injonction politique ? Que gagne concrètement Mobilis en rachetant un club comme la JSK ?
Cette gymnastique juridique ne change rien à la finalité de l’opération.
Un autre club de l’élite algérienne, le plus titré et l’un des plus emblématiques, tombe dans le giron d’une entreprise publique.
La JSK rejoint le MC Alger, l’USM Alger, le CR Belouizdad, la JS Saoura et le CS Constantine, rachetés par des entreprises étatiques depuis plusieurs années.
En attendant l’ES Sétif, ce sont tous les clubs qui comptent dans le championnat d’Algérie de football qui sont financés directement par l’Etat à travers ses capitaux marchands.
Les autres le sont également par l’argent public, via les subventions des collectivités locales notamment. Il s’agit d’un piètre résultat pour un projet dont l’ambition était de doter le football algérien de clubs structurés et autonomes financièrement.
Le projet a été lancé en 2010 du temps de Mohamed Raouraoua à la présidence de la Fédération algérienne de football (FAF). Il prévoyait la structuration des clubs de l’élite en sociétés commerciales détenues par des actionnaires et régies par le code du commerce.
Pour faciliter la transition, un accompagnement temporaire de l’État était prévu, à travers une dotation financière et une assiette de terrain pour la réalisation d’un centre de formation pour chaque club.
Les concepteurs du projet ont-ils surestimé la taille du tissu économique du pays en lui endossant la charge de financer une trentaine de clubs (l’élite et son antichambre) ?
La première grosse entorse est survenue en tout cas à peine une année après la mise en place des sociétés sportives, avec le rachat du Mouloudia d’Alger par Sonatrach.
Paradoxes
Juridiquement, l’acquisition du MCA était conforme à la lettre du texte instituant le professionnalisme, mais pas à son esprit, dans le sens où le groupe public avait agi sous l’injonction des autorités politiques.
Dans le même temps, le CSC et la JSS étaient repris par des filiales du groupe pétrolier. L’USM Alger était rachetée par l’homme d’affaires Ali Haddad, avant d’être reprise par l’entreprise portuaires Serport après la chute du magnat du BTP.
Le CRB est, lui, confié à Madar, la holding publique qui chapeaute de nombreuses entreprises dont la SNTA (tabacs).
Un groupe tabagique qui finance le sport, c’est rarissime de par le monde, mais les autorités algériennes n’avaient guère le choix tant les entreprises publiques à la bonne santé financière se comptent sur les doigts d’une seule en main, comme l’a révélé le rapport 2022 de la Cour des comptes. Autrement dit : des canards boiteux qui volent au secours d’autres canards boiteux.
S’il y a un point commun entre les entreprises publiques et les clubs de football, c’est qu’ils vivent tous les deux de la rente que représentent les hydrocarbures.
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Les limites de cette vision sont déjà à ce niveau. Les entreprises publiques elles-mêmes vivent de la générosité de l’Etat et leur adosser la charge de financer des clubs de football est un non-sens.
Le football algérien continue de sombrer
Dix ans après le lancement du professionnalisme, le football algérien a fait un bond de plusieurs décennies en arrière pour se retrouver comme au premier jour de la réforme sportive de 1977, l’équité et la réforme en moins.
A l’époque, les charges n’étaient pas importantes et tous les clubs étaient pris en charge par des sociétés publiques qui ont inspiré même leurs noms. La situation du football algérien aujourd’hui n’obéit à aucune logique.
Une poignée de clubs est financée copieusement par l’État tandis que les autres doivent se débrouiller comme ils peuvent.
Surtout, des clubs qui, économiquement, ne produisent rien, vivent dans l’opulence et offrent parfois à leurs joueurs et entraîneurs des salaires supérieurs à ceux de certains championnats européens.
L’exemple le plus frappant de la stérilité des clubs algériens, à l’exception du Paradou AC, est l’équipe nationale de football qui ne compte aucun joueur de la Ligue 1 et la plupart de ses stars sont formés à l’étranger, notamment en France.
Sans doute qu’il y a d’autres voies que ce maintien des clubs sous perfusion et le Paradou AC est un exemple à méditer.
Ce club réussit à former des joueurs de qualité et à les exporter vers l’Europe, alors que les autres font l’inverse en recrutant des joueurs étrangers au niveau discutable.
Quelles que soient la taille et les capacités de l’économie algérienne, aucune des niches qui peuvent contribuer à un fonctionnement sain des clubs n’est exploitée, comme les recettes du stade, les droits d’image, la vente de maillots…
Les présidents de clubs n’ont aucune raison de le faire tant que l’Etat continue à se montrer généreux, en finançant un secteur gangrené par des pratiques condamnables, et qui absorbent l’essentiel des aides de l’Etat au sport, alors que d’autres disciplines comme le volleyball, le handball ou le judo se contentent de miettes.
Surtout qu’aucune réforme du football algérien n’est engagée, les mêmes pratiques qui ont montré leurs limites se poursuivent.
Ceux qui sont financés par des sociétés publiques s’en contentent et ceux qui ne le sont pas passent leur temps à réclamer, légitimement, le même traitement. Pendant ce temps, le football algérien continue de sombrer.