Le roi Mohamed VI a fait un geste, mais il n’est pas certain qu’il soit suffisant pour apaiser le brasier du Rif qui couve au Maroc depuis plus de neuf mois. Hier samedi, veille de la Fête du Trône célébrée ce dimanche, il a gracié une quarantaine d’activistes rifains emprisonnés depuis fin mai, quand l’État marocain a opté pour la répression de la révolte de cette région traditionnellement frondeuse du nord du Maroc, la plus grave sans doute depuis le « printemps arabe » à la marocaine.
Quarante, c’est moins d’un quart des 180 jeunes rifains mis en tôle ces deux derniers mois. Qui plus est ces 40 sont presque tous des seconds couteaux. Les leaders, à commencer par Nasser Zefzafi, restent en effet derrière les barreaux et en grève de la faim pour la plupart. Est-ce parce qu’ils n’ont pas voulu demander le pardon royal, qui signifie confesser sa culpabilité, ou parce que le palais n’a pas voulu leur octroyer la grâce ?
Le Conseil Consultatif des droits de l’Homme, un organisme officiel marocain qui a fait le va et vient ces derniers jours entre le palais royal et les activistes emprisonnés, doit connaître la réponse. Va-t-il d’ailleurs se remettre à la tâche rapidement ? Dans trois semaines, se présente une autre occasion pour le monarque, son 54e anniversaire, de « pardonner » aux révoltés rifains.
Depuis que les premières arrestations ont été opérées dans le Rif, las revendications sociales de sa population sont passées à un second plan. La libération des prisonniers est désormais la priorité des manifestants. Il est donc à prévoir que les Rifains vont continuer à descendre dans la rue non seulement à Al Hoceima, dont les images nous parviennent le plus souvent, mais aussi à Imzouren, à Nador, à Beni Bouayach etc. La plus grave crise qui secoue le royaume depuis le « printemps arabe » en 2011, peut-être même depuis l’intronisation de Mohamed VI il y a 18 ans, risque donc de se prolonger.
L’annonce de la grâce a coïncidé avec le discours royal le plus important de l’année. Samedi soir, Mohamed VI a livré à la télévision sa première analyse des causes du malaise rifain. Jusqu’à présent, seul le président français, Emmanuel Macron, avait rapporté à la presse, à la mi-juin, lors d’une visite privée à Rabat, les sommaires réflexions du monarque sur le Rif.
Aux yeux de Mohamed VI, il y a un seul coupable des « événements qui se sont produits dans certaines régions qui ont révélé, hélas, une irresponsabilité sans précédent ». C’est les « partis politiques et leurs représentants » qui ont renoncé « à remplir leur rôle (…) et rendu la situation plus précaire encore », regrette le roi. Selon lui, l’incompétence de la classe politique incite les Marocains à solliciter l’intervention royale « pour mener leurs affaires à bonne fin ».
Affirmer de telles choses, c’est oublier que la Constitution de 2011 met entre les mains du souverain, et non pas du gouvernement, l’essentiel du pouvoir exécutif. Normal, donc, que les Marocains se tournent vers celui qui détient le vrai pouvoir. Qui plus est le palais interfère constamment dans la vie des partis, dans les décisions du gouvernement et, bien entendu, dans sa formation. La preuve, des hommes proches du palais ont empêché Abdelillah Benkirane, l’islamiste vainqueur des élections législatives d’octobre 2016, de devenir à nouveau Premier ministre comme la Constitution l’y autorise.
Ces courtisans et personnages politiques à la fois, aujourd’hui le milliardaire Aziz Aknnouch, hier le rifain Ilyas el Omari, ont, d’ailleurs encouragés par l’entourage du roi, fondé ou revigoré des partis. Ces formations devaient être un peu la courroie de transmission de la vision royale à la vie politique. À en juger par les critiques proférées par le souverain samedi soir, ils ont eux aussi échoué. Leur échec est aussi un peu celui du palais.
« Ce vide regrettable et dangereux » laissé par les partis, les forces de l’ordre l’ont comblé, d’après le roi. Elles « se sont trouvées face à la population, ont assumé leur responsabilité avec courage, patience, retenue et ont fait preuve d’un grand respect de la loi ». « Elles ont ainsi préservé la sécurité et la stabilité » du royaume, de sa monarchie.
En résumé -mais cela Mohamed VI ne l’a pas dit tel quel-, à force de les laminer ou de les manipuler, les partis n’existent pratiquement plus. Entre le peuple, qui il est vrai réclame l’intervention salvatrice de son roi, et le chef de l’État il n’y a donc plus que l’appareil sécuritaire. Tout le reste ne compte pas. Le roi est bel et bien nu derrière son bouclier.