Le discours prononcé par Mohammed VI mercredi 6 novembre à l’occasion de la commémoration de "la marche verte", euphémisme marocain pour désigner l’occupation du Sahara occidental, est antipodes des précédents dans ses passages relatifs à l’Algérie.
Dans ses allocutions de ces dernières années, le roi du Maroc, quand il ne tendait pas la main au pays voisin, évitait soigneusement de l’attaquer. Cette fois, il a dérogé à la règle et changé complètement de ton vis-à-vis de l’Algérie, sans toutefois la nommer.
Mohamed VI a fustigé ceux qui "réclament toujours la tenue d’un référendum" et refusent, selon lui, le recensement des réfugiés de Tindouf. L’allusion à l’Algérie, qui défend l’autodétermination du peuple sahraoui, est claire.
À propos des réfugiés sahraouis, le roi Mohammed VI a assumé les graves accusations proférées jusque-là par ses seuls relais, soutenant que ces populations sont "tenues en otage dans des conditions lamentables".
Il s’en est aussi pris à ceux qui, "dans leur convoitise d’un accès à l’Atlantique, instrumentalisent l’affaire du Sahara" occidental et enfin à ceux qui s’en « servent comme paravent pour couvrir leurs nombreux problèmes domestiques".
Fait étonnant, la même littérature employée à longueur d’année par la presse et les internautes marocains est reprise au plus haut niveau de l’État par le roi Mohammed VI en personne. Jusque-là, dans ses rapports avec l’Algérie, Mohamed VI avait recours à une stratégie éculée : il laissait le soin à ses relais d’insulter et d’invectiver et se réservait le beau rôle de tendre la main.
Qu’est-ce qui a fait que le roi change ainsi de ton ? La réponse est évidemment dans la conjoncture internationale. Il n’échappe à personne que le hasard du calendrier a voulu que le discours royal soit prononcé le jour-même de l’annonce de la victoire aux élections présidentielles américaines de Donald Trump.
Tous les observateurs imputent l’audace du régime marocain de ces dernières années au sentiment d’être devenu intouchable depuis qu’il a accepté le deal de l’ancien (et désormais futur) président américain en décembre 2020, soit la normalisation des relations avec Israël en contrepartie de la reconnaissance par les États-Unis de la "souveraineté marocaine" sur le Sahara occidental.
Le jour du retour au pouvoir de Donald Trump, Mohamed VI change de ton à l’égard de l’Algérie
Depuis, le Maroc bombe le torse. Avec l’Algérie, il a multiplié les actes hostiles qui déboucheront sur la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays en août 2021.
Mohammed VI s’est aussi permis de lancer une sorte d’ultimatum à toute l’Europe pour s’aligner sur ses thèses et soutenir "sans équivoque" la colonisation des territoires sahraouis.
"Je voudrais adresser un message clair à tout le monde : le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international", a-t-il mis en garde en août 2022.
En invitant les pays partenaires à "clarifier leur position" sur le dossier sahraoui, Mohamed VI signifiait qu’ils devaient emboîter le pas à Washington et lui conférer la souveraineté qu’il réclame sur le Sahara occidental.
Cinq mois plus tôt, en mars 2022, il avait fait céder l’Espagne, ancienne puissance colonisatrice du territoire et historiquement neutre, au terme de plusieurs mois de marchandages sur ses enclaves marocaines de Ceuta et Melilla, mais aussi sur la question migratoire.
En mai 2021, une dizaine de milliers de migrants clandestins, marocains et subsahariens, ont pu entrer d’un coup dans l’enclave espagnole de Ceuta.
À la même période, des titres de la presse internationale ont fait éclater un scandale retentissant en dévoilant l’espionnage par les services marocains des téléphones de journalistes et dirigeants civils et militaires étrangers, dont celui du président français Emmanuel Macron et probablement celui du président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez. Rabat a toujours nié les accusations.
Fin 2022, le Maroc a été pris en flagrant délit de corruption de députés européens dans le cadre d’une vaste opération coordonnée par ses services.
Pour les observateurs, les Marocains n’auraient pas eu tant d’audace sans le sentiment d’impunité cultivé depuis le deal triangulaire imaginé par Jared Kushner, le gendre de Donald Trump.
Outre le retour de Trump au pouvoir, le roi du Maroc a une autre raison de se sentir pousser des ailes. Dans son bras de fer avec l’Europe, il a fait plier un autre grand pays, qui plus est membre du Conseil de sécurité de l’ONU.
En juillet dernier, la France a reconnu officiellement "la marocanité du Sahara occidental« et apporté un soutien sans équivoque au plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007, considéré désormais comme »la seule base possible" pour parvenir à un règlement du conflit.
Fin octobre dernier, Emmanuel Macron est allé à Rabat réitérer son soutien et sceller définitivement la réconciliation dans le cadre d’un autre deal qui assure une dizaine de milliards de dollars de marchés pour les entreprises françaises. Et concomitamment à cette lune de miel franco-marocaine, Paris et Alger sont au bord de la rupture.