« Paaasse ! », « Hadiii ! » Sur le terrain, le sélectionneur Nabil Maaloul jongle entre les langues : pour le Mondial-2018, un quart de la sélection nationale tunisienne a grandi en France, et les quatre derniers binationaux à avoir rejoint les Aigles de Carthage ne parlent pas tous arabe.
Ellyes Skhiri (Montpellier), Mouez Hassen (Châteauroux), Seïfeddine Khaoui (Troyes), ou encore Yohan Benalouane (Leicester), tous formés sur les pelouses françaises, ont enfilé le maillot rouge pour la première fois cette semaine, à l’occasion du stage précédant les matches amicaux contre l’Iran (vendredi) et le Costa Rica (mardi prochain).
Après avoir réussi à se qualifier en coupe du monde, une première depuis 2006, l’encadrement a consacré beaucoup d’énergie à attirer dans ses filets ces joueurs nés en Europe qui résistaient parfois depuis plusieurs années aux sirènes de la sélection tunisienne.
Objectif: mettre toutes les chances de son côté afin de passer la barre d’un premier tour corsé, dans un groupe comprenant les mastodontes anglais et belges.
Critiquée pour ces recrues de la dernière heure, la fédération s’est fendue d’un communiqué expliquant qu’elle avait « brassé large » pour « assurer toutes les conditions du succès ».
Pour cette cinquième Coupe du monde disputée par les Aigles, le but est de trouver l' »osmose entre joueurs du cru issus du championnat de Tunisie et ceux issus de la deuxième génération établis en Europe ».
‘Très bien accueilli’
« C’est très décontracté, ça rigole beaucoup », assure à l’AFP le capitaine de Montpellier Ellyes Skhiri.
« Tout le monde m’a très bien accueilli, il n’y a pas eu de soucis. C’est vrai que je ne parle pas la langue encore, j’espère l’apprendre le plus vite possible, ça facilitera mon intégration », sourit le jeune milieu défensif.
La camaraderie est mise en avant par l’encadrement des Aigles, à renfort de vidéos des premiers repas d’équipe et des moments de connivence à l’entraînement, pour balayer les polémiques sur la difficulté à intégrer les nouveaux dans un groupe soudé par l’âpreté des qualifications africaines.
Autre recrue qui hésitait de longue date, le jeune gardien Mouez Hassen explique avoir attendu d’être titulaire en club pour franchir le pas.
Pas question de regretter son choix en regardant Wissam Ben Yedder, à qui la Tunisie avait fait du pied, rejoindre les Bleus.
« C’est sûr, j’ai joué en équipe de France jeune, (…) c’est la meilleure formation qu’il puisse y avoir », « mais venir m’affirmer en Tunisie, c’est un plus grand bonheur », assure Mouez.
« Ca été un choix du coeur, mes parents sont d’ici tous les deux, moi qui viens assez souvent (…), c’était une évidence de +signer+ ici », explique à l’AFP le jeune gardien, les yeux brillants de jouer aux côté du gardien historique, Aymen Mathlouthi.
« Quand j’étais petit, c’était une idole pour moi, et aujourd’hui d’être ici avec lui, c’est que de l’expérience, du bonheur », lance-t-il.
Cas Ben Yedder
Le cas Ben Yedder a fait couler beaucoup d’encre, avant qu’il ne soit convoqué la semaine dernière pour la première fois avec la France, mettant ainsi fin aux spéculations des supporters tunisiens.
Le jeune Rani Khedira, dont le frère aîné Sami est un des cadres de la Mannschaft, a lui aussi renoncé, expliquant « je suis né et j’ai grandi en Allemagne, je ne parle qu’allemand ».
« Beaucoup de joueurs ont été contactés très jeunes, ils hésitent, ce sont des choix lourds en début de carrière », souligne le journaliste Farouk Abdou, spécialiste du foot maghrébin, estimant que les plus jeunes n’ont pas une démarche « opportuniste ».
« Mouez Hassen, qui rejoint un groupe où il a peu de chances d’être titulaire face à un Mathlouthi indéboulonnable, vient pour préparer l’avenir », souligne-t-il.
Yohan Benalouane, qui s’était longtemps fait prier, a lui fini par accepter, après une saison peu reluisante avec Leicester.
Outre les quatre nouveaux arrivés d’Europe, les Aigles de Carthage comptent parmi les 28 joueurs appelés au stage plusieurs autres Tunisiens de la deuxième génération, nés et formés en France, notamment Wahbi Khazri (Rennes), Naim Sliti (Dijon), Anice Badri (Espérance de Tunis) ou encore Syam Ben Youssef (Kasimpasa).
Pour Farouk Abdou, c’est le signe que, « au fil des années, le socle local très fort de la Tunisie s’est délité, affaibli par deux échecs à jouer la Coupe du monde, des problèmes financiers pour certains grands clubs et des carences qui apparaissent dans la formation ».
On est loin du cas de l’Algérie, dont la majorité de la sélection pour le Mondial-2014 avait aussi la nationalité française, ou du Maroc, « où 95% des joueurs de la sélection sont des binationaux », tempère-t-il. « On reste sur un recrutement ciblé pour renforcer un groupe local déjà fort ».