Passée la déception, retour à la terre ferme. Courageux, mais trop optimiste, le Maroc a été renvoyé dans les cordes après le vote décisif des fédérations de la FIFA. L’écart des voix est sans appel. Au-delà des petits calculs sur les défections, les abstentions et les soutiens inattendus, c’est la réalité du poids du royaume dans la géopolitique mondiale qui est sortie des urnes.
Si tout a été dit sur la candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du monde 2026 face à la triade nord américaine, sur ses échecs répétés à vouloir briller au firmament de la planète football, et sur la dure réalité de ce qu’est la FIFA, la seule vérité qui s’est affichée ce 13 juin sur l’écran géant de l’Expocentre de Moscou est un instantané du poids du royaume dans la géopolitique mondiale. Sur les 203 fédérations habilitées à voter, 134 ont voté en faveur de la candidature nord-américaine et 65 pour celle du Maroc, tandis que 3 se sont abstenues (Espagne, Cuba, Slovénie) et qu’une (Iran) a rejeté l’offre des deux prétendants.
En amont et sur le papier, le Maroc n’a pas reçu de note éliminatoire passant in extremis le crash test de la fameuse task force, mais l’écart avec le dossier de l’United 2026 démontre à quel point un pays modeste en terme de développement est désormais incapable de concurrencer une coalition de deux puissances et d’une nation émergente.
C’est une évidence, le temps des Mondial accélérateurs des transitions économiques et politiques est révolu, alors que le Maroc en a fait l’alpha et l’omega de son offre. En 1978, l’Argentine, terre de football, mais cadenassée par la dictature de Videla, recevait un coup de pouce subliminal pour la démocratie dans tout le cône sud-américain, alors que sa junte militaire voulait faire de cette fête un instrument de propagande contre son propre peuple dans la pure tradition fasciste. En 1982, l’Espagne, aidée à bouts de bras par l’Union européenne qu’elle rejoignait à peine, se débarrassait des séquelles du franquisme grâce à la vision d’un roi démocrate portée par la Movida de sa société civile. Plus près de nous, en 2010, la nation arc-en-ciel et sa brochette de Prix Nobel de la Paix, Mandela en tête, promettaient d’en finir à jamais avec les horreurs de l’Apartheid.
Depuis trois décennies, le Maroc tente désespérément de s’inscrire dans cette dynamique vertueuse et itérative de l’émergence économique et de la transition politique, alors que sur ces deux versants, ses réalisations sont bien en deçà de son discours : le pays végète toujours en bas des classements mondiaux en terme de développement humain et rechigne encore à achever son passage vers une véritable démocratie. Que pouvait-il promettre de plus qu’il n’avait fait la première fois contre cette même Amérique en 1994, sinon ses quelques pas insuffisants à sortir le pays de l’indigence et hésitant toujours à se défaire du césarisme ?
Entretemps, la logique de l’argent-roi a fait de la FIFA un monstre froid que le mandat d’Infantino a habillé de quelques artifices de transparence pour tourner sans plus de dégâts la page des turpitudes de l’ère Blatter, mais sans céder pour autant un enzyme de son ADN.
Aussi, l’échec du Maroc n’est pas à chercher dans une quelconque défaillance des techniciens ayant eu la charge de monter ce cinquième dossier, qui, il faut le reconnaître, a été bien mieux mené que lors des précédentes tentatives. Les attaques ad hominem contre Moulay Hafid Elalamy quelques minutes à peine après le couperet de la part du 360.ma entre autres organes de mensonges de l’Etat profond, est la parfaite illustration du déni de responsabilité du régime qui entend clouer au pilori son missi dominici pour détourner l’opinion de son propre naufrage.
Les chances du royaume ont été anéanties à la base, non pas parce qu’il était inapte à assurer l’organisation d’un tournoi rendu plus ardu avec 48 équipes, mais parce qu’il était incapable de convaincre de son influence à travers le monde.
Ce que révèle au fond le scrutin de Moscou est exactement ce que le Maroc pèse réellement sur l’échiquier de la géopolitique mondiale.
Une épreuve révélatrice que les cris d’orfraie entendus sur la traîtrise des Saoudiens et de leurs affidés arabes, sur le lâchage du voisin espagnol ou sur ces 11 pays représentant 20 % des fédérations africaines ayant tourné le dos au Maroc, démontrent à quel point la perception sur nos « inaliénables amitiés » mondiales n’est que le fruit d’une propagande d’Etat.
A l’échelle des intérêts, face aux enjeux financiers qui guident la FIFA et au rouleau compresseur de la première puissance mondiale mené par un Trump particulièrement menaçant, le Maroc ne pouvait qu’être passablement esseulé. Les soutiens qu’il a pu glaner sont à la hauteur de ce qu’il peut leur offrir en retour, ni plus ni moins.
Si les pétromonarchies épaulent le Maroc dans d’autres circonstances, notamment pour renflouer ses caisses, c’est que leur intérêt y trouve son compte, celui d’abord de ne pas laisser un régime comparable sombrer et faire tâche d’huile dans une région minée par l’instabilité révolutionnaire. Si une poignée de pays africains ont concédé leur vote, c’est que loin du football, et souvent en contrepartie d’une voix à l’ONU ou à l’UA sur la question du Sahara Occidental, le Maroc répond par une aide proportionnelle par quelque projet d’aide humanitaire ou de développement, servant souvent davantage à redorer le blason d’un potentat qu’autre chose. Si la France a joué des coudes, c’est que nous représentons encore et toujours sa banlieue affairiste et son pré-carré culturel… Et cela vaut ainsi pour chacun des pays qui a eu à choisir…
Fait paradoxal, si le mode de scrutin de la FIFA avait été instauré il y a trente ans, le Maroc aurait eu davantage de chances de l’emporter et ce fut par ailleurs une erreur monumentale que de vouloir rivaliser avec l’Afrique du Sud en 2010, parce-que nous avions montré à quel point nous n’étions pas solidaires avec un pays, qu’on le veuille ou non, représentant à l’époque un modèle pour tout le continent.
En d’autres termes, c’est bien l’origine de cette candidature insensée, menée la fleur au fusil, qu’il faut interroger. Ce n’est pas un hasard si aucune autre nation ne s’est embarquée dans ces conditions dans ce jeu de massacre. Faut-il ainsi croire que nos dirigeants eux-mêmes ont surévalué leurs capacités à force d’auto-conviction et de méthode coué ?
En réponse, ce sont les fondements mêmes de la doctrine diplomatique du Maroc qui viennent d’être invalidés en 203 clics. Est-il encore de notre intérêt à prétendre s’affranchir de nos suppôts européens sans accepter de remplir les conditions qui feraient de nous de véritables partenaires à leurs yeux ? Est-il possible de leur opposer notre allégeance aux pays du Golfe après chaque fâcherie, jusqu’à accepter un strapontin au CCG, bombarder le Yémen, rompre avec l’Iran, au nom d’une solidarité sélective, car ceux-là sont peu regardants sur nos travers ? Est-il raisonnable de flirter sans retour avec la Russie de Poutine à chaque admonestation venue de Washington ? Peut-on encore imaginer prendre le lead en Afrique alors que nos moyens ne suivent pas à l’image du revers subi avec la CEDEAO et du peu de retombées concrètes de notre retour au sein de l’Union africaine ?
La géopolitique du football, aussi cruelle et opaque soit-elle, a le mérite de décanter ces questions, car elle ne s’embarrasse pas de faux-semblants. Elle est au cœur des ressorts du nouveau monde, de son capitalisme effréné, de ses diktats. Elle est en un mot le marqueur de la realpolitik du XXIème siècle qui fait fi des sentiments d’appartenance, des alliances fragiles, car globalisée et répondant d’abord aux seuls rapports de force. C’est cette leçon que devront méditer nos dirigeants avant de lancer toute une nation, une fois de plus, dans ce genre d’aventures même si le Maroc promet de capitaliser sur celle-ci.