Économie

Montage automobile : la stratégie de l’Algérie est-elle viable ?

Le gouvernement multiplie les agréments pour le montage automobile. Déjà huit autorisations ont été attribuées à des opérateurs pour le montage automobile et la liste n’est sans doute pas close. La démarche des pouvoirs publics suscite une certaine perplexité parmi les observateurs.

On pensait que le ministre de l’Industrie Youcef Yousfi avait peut-être exagéré en évoquant voici quelques mois « de très nombreuses demandes » de constructeurs automobiles candidats à la mise en place d’usines de montage en Algérie.

Apparemment ce n’était pas le cas. C’est un véritable embouteillage de constructeurs qui semble s’être formé au niveau des services de son département, qui continue imperturbablement à « étudier les dossiers » et à les transmettre au Conseil national de l’investissement (CNI) ,qui est présidé par le premier ministre, pour leur agrément.

Les événements se sont encore accélérés à la fin de l’année 2018. Le 23 décembre dernier, le ministre de l’Industrie a inauguré dans la commune d’Oued Chaaba, dans la wilaya de Batna, une usine d’assemblage de voitures de la marque chinoise BAIC avec un partenaire algérien.

Selon les explications données au ministre, BAIC Algérie assemblera 5 modèles dont un véhicule utilitaire avec une capacité de 20.000 unités avant de passer à 60.000 unités/an.

Le propriétaire de l’usine a assuré au ministre que le but tracé est d’exporter 50 % de la production affirmant que des contrats d’exportation ont été déjà signés vers nombre de pays et un premier lot sera dirigé vers la Tunisie dont le concessionnaire de BAIC a pris part à la cérémonie d’inauguration.

Fin septembre 2018, c’était déjà à Batna que Youcef Yousfi avait procédé à l’inauguration de l’usine Gloviz fruit du partenariat entre l’algérien Global Group et Kia et Hyundai.

La capacité de production initiale de cette nouvelle usine de montage est de 50.000 unités/an. La Kia Picanto, la Rio, le Sportage et le petit camion K2500 sont les quatre modèles qui sortent actuellement des chaînes de montage de cette usine implantée dans la commune de Djerma.

Dans cette nouvelle usine, selon les responsables de l’entreprise, « le process SKD laissera place, fin 2019, à celui du Full CKD ». L’usine franchira alors une nouvelle étape en passant la vitesse supérieure, avec à la clé la livraison de 100 000 unités.

« En atteignant ce pallier de production, l’usine Gloviz/Kia ouvrira la voie à l’exportation vers les pays de la région », a déclaré le responsable de la région MENA du constructeur sud-coréen. Une généreuse assiette foncière est offerte aux prétendants à la filière de la sous-traitance qui figure en bonne place dans ce projet ambitieux.

On a moins d’informations sur l’usine Suzuki de Saida qui est la propriété du groupe Tahkout. Elle a été inaugurée fin juillet par le ministre de l’Intérieur, M. Bedoui. Elle devait entrer officiellement en activité au mois de septembre ou octobre dernier .

Dotée d’une capacité de production de 15.000 unités dans une première étape, deux modèles doivent y être lancés avec la Suzuki Alto et le Suzuki Baleno avant que d’autres modèles de la marque nipponne ne viennent renforcer l’offre.

Ces 3 nouvelles usines, dont l’agrément avait été bloqué par le dernier gouvernement Sellal, s’ajoutent donc aux 3 partenariats déjà opérationnels avec des constructeurs automobiles étrangers qui ont donné naissance dans l’ordre, depuis 4 ans, aux entreprises : Renault Production Algérie, Tahkout Manufacturing compagnie pour le montage de véhicules de marque Hyundai et Sovac Production en partenariat avec le groupe Volkswagen.

Peugeot et Nissan en 2019

On ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin et M.Yousfi aura encore du travail en 2019. Évoquant, en octobre dernier, le projet du constructeur français Peugeot, prévu dans la wilaya d’Oran et bloqué par un problème de foncier, le ministre de l’Industrie avait affirmé qu’« il y a eu des difficultés de terrain. Mais, il y a un nouveau terrain affecté, ils ont pris du retard, ils y travaillent, et le CNI a donné son feu-vert ».

Le projet d’une usine de montage de Peugeot en Algérie, qui devait initialement être implantée à El Hamoul, dans la commune d’El Kerma, a été finalement délocalisé à Tafraoui, après un litige sur le premier terrain affecté. Le nouveau terrain s’étale sur une superficie de 160 hectares, et la direction de Peugeot-Citroën Algérie a accepté ce nouveau terrain. Les premiers véhicules devraient sortir dès cette année de la nouvelle usine Peugeot-Citroën Algérie qui devrait y produire le dernier modèle de sa citadine, la 208.

D’ici cinq ans, 75 000 véhicules des marques Peugeot et Citroën devraient être produit chaque année sur les chaînes de montage. Le site devrait permettre “dans un premier temps” la création de 1 000 emplois directs et de nombreux emplois indirects en Algérie. L’investissement total est de l’ordre de 100 millions d’euros pour la coentreprise, détenue à 49 % par PSA. Les 51 % restants sont répartis entre trois sociétés algériennes.

Un autre projet devrait se concrétiser en 2019. Il s’agit de l’usine d’assemblage des véhicules Nissan en Algérie. Selon des informations recueillis par TSA, trois sites, deux à Oran et un à Ain Temouchent, sont actuellement à l’étude, pour accueillir l’usine de la marque japonaise.

“Le choix du site d’implantation de l’usine sera connu fin janvier. Nous étudions trois sites. Le premier, qui est la priorité du groupe Hasnaoui et de son partenaire Nissan, est situé à Tafraoui, près de celui qui a été choisi pour accueillir l’usine Peugeot, à Oran. Le deuxième site à l’étude est situé à El Kerma, toujours à Oran, pas loin du site ou devait être implanté initialement l’usine Peugeot. Le terrain appartient au groupe Hasnaoui. Le troisième site est situé à Ain Temouchent”, a détaillé à TSA une source proche du dossier.

Outre le choix du site, le groupe Hasnaoui et son partenaire Nissan devraient finaliser la liste des modèles, qui seront assemblés, dans la future usine algérienne du géant japonais de l’automobile. Et selon nos sources, le premier véhicule de la marque nippone qui sortira de son usine algérienne début 2020 est le nouveau Pickup Navara.

Le groupe Hasnaoui, qui était l’importateur de la marque japonaise avant le blocage des importations en 2016 a obtenu en décembre dernier le feu vert du gouvernement pour implanter une usine d’assemblage des véhicules Nissan en Algérie. Cette usine, d’une capacité de 63.500 véhicules nécessitera un investissement de 100 millions de dollars, selon une source proche de la direction du groupe privé.

400 .000 véhicules en 2020

La montée en régime progressive de ces différents projets de montage automobile devrait provoquer une augmentation rapide de la production nationale au cours des toutes prochaines années. Fin octobre dernier Youcef Yousfi, a indiqué à Alger que « la production des véhicules assemblés en Algérie devrait atteindre 400.000 unités d’ici 2020, dont une partie sera destinée à l’exportation ». « Le nombre des véhicules assemblés localement a atteint 110 000 unités en 2017 et devrait atteindre 400 000 véhicules d’ici 2020, dont une partie sera destinée à l’exportation », avait affirmé le ministre au Forum d’El Moudjahid.

Le ministre avait précisé que le nombre des véhicules assemblés localement a atteint 110.000 unités en 2017. Les chiffres définitifs pour l’année 2018 ne sont pas encore connus mais ils devraient se situer dans une fourchette de 170 à 180 000 véhicules. Au cours de l’année qui vient de s’achever, la production de l’usine Renault d’Oued Tlelat aurait été proche de 75000 véhicules. De son côté Sovac Production a fêté le 19 décembre dernier la sortie de la 50 000e voiture de son usine de Relizane après un peu plus d’un an d’activité. Son usine a assemblé 53000 véhicules en 2018.

Les chiffres de 2018 pour TMC n’ont pas encore été dévoilés. En 2017 ce sont près de 40 000 véhicules Hyundai qui avaient été montés dans l’usine de Tiaret .

Les raisons d’un engouement soudain

Les raisons de l’engouement soudain de nombreux constructeurs automobiles pour la création d’unités de production en Algérie ne font pas beaucoup de mystère. C’est l’instauration des licences d’abord puis la fermeture totale du marché algérien aux importations des concessionnaires automobiles qui ont poussé les constructeurs à franchir le pas qui était attendu par les pouvoirs publics depuis plusieurs décennies. Ils sont fortement encouragés dans cette nouvelle démarche par de très nombreuses incitations fiscales et foncières ainsi que par le rétablissement du crédit à la consommation qui est réservé à la production locale.

Des contraintes financières en perspective

Dans les années qui viennent on devrait assister assez rapidement à la montée en puissance d’une production locale censée se substituer progressivement aux importations et même dégager des excédents à l’exportation vers les marchés régionaux.

Cette stratégie globale était évoquée et recommandée par beaucoup d’analystes depuis le début des années 90. Elle se met en place sous nos yeux depuis environ 4 années. Elle pourrait cependant être contrariée par les fortes contraintes financières que ne manqueront pas de créer les importations destinées au montage réalisées par les constructeurs installés en Algérie.

Durant les onze mois de 2018, la facture d’importation des collections CKD destinées à l’industrie de montage des véhicules de tourisme a bondi de 72,3% pour atteindre 2,482 milliards de dollars contre 1,441 milliard sur la même période de 2017, selon les Douanes. Sur l’ensemble de l’année 2018 elle devrait dépasser 2,6 milliards de dollars. L’extrapolation de ces chiffres à une production de 400 000 véhicules en 2020 donne une facture proche de 6 milliards de dollars.

C’est une addition qui s’annonce donc très salée en et qui risque d’être surveillée comme le lait sur le feu par les pouvoirs publics à un moment ou la balance des paiements devrait connaitre de vives tensions. À fin novembre 2018, les réserves de change de l’Algérie étaient de 82,12 milliards de dollars, contre 97,33 milliards de dollars à fin 2017, soit une baisse de 15,21 milliards de dollars en 11 mois.

Des exportations dès 2020 ?

La solution de cette équation compliquée pourra-t-elle être trouvée du côté des exportations ? C’est le pari que semble faire le gouvernement. Une partie de la production nationale devrait être exportée à l’horizon 2020 selon le ministre de l’industrie.

Les constructeurs répondent en ordre dispersé. En janvier 2018 Fabrice Cambolive, directeur général chez Renault de la Région Afrique, Moyen-Orient et Inde indiquait dans une déclaration au journal El Moudjahid que Renault Algérie production prévoit d’entamer l’exportation une fois l’objectif de production de 150.000 unités/an atteint.

Venu pour présenter les nouvelles phases d’investissements du Groupe Renault en Algérie, il précisait qu’ « il est primordial d’atteindre une production de 150.000 véhicules par an, un volume qui permettra d’avoir des débouchés d’exportation vers les pays africains et le Moyen-Orient ».

Apparemment, les « petits » constructeurs agréés récemment par le CNI ne l’entendent pas de cette oreille. Le dernier d’entre eux, le chinois BAIC promet des exportations immédiates et annonce que les « contrats sont déjà signés » …

Le groupe Volkswagen mise aussi sur l’exportation, notamment de la pièce de rechange. Il a désigné Seat pour mener son projet industriel et la marque espagnole mise sur l’Algérie dans son projet d’internationalisation.

Dans le but de consolider une filière automobile naissante, le gouvernement algérien devra-t-il s’appuyer sur un nombre limité de grands constructeurs ou pourra-t-il continuer de compter sur une multiplicité d’intervenants ? Le pilotage du secteur au cours des années qui viennent s’annonce certainement comme un exercice difficile.

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