De la mobilisation de ses alliés en Irak à des actions indirectes dans le reste du Moyen-Orient et du monde, en passant par une cyber-attaque : les options ne manquent pas pour une réponse de l’Iran après la mort du général Soleimani, tué par un drone américain.
Nul n’imagine que la mort de cet homme-clé du régime puisse rester sans réponse. La vengeance se fera « au bon moment et au bon endroit », a promis Téhéran. « Il y a un vaste spectre de réponses possibles qui n’impliquent pas toutes une action militaire ou violente », explique Heiko Wimmen, responsable de l’International Crisis Group pour la Syrie, le Liban et l’Irak. Nombre de ces options pourraient ne pas porter la signature directe de l’Iran. Et la réponse pourrait se faire dans la durée : l’Iran a dans le passé résisté à la « tentation de répondre de façon irréfléchie », prévient Suzanne Maloney, de la Brookings Institution : « Ne soyez pas surpris si cela prend du temps ».
L’embrasement du théâtre irakien
L’Irak devrait être au cœur des premières réponses de Téhéran, via ses milices, supplétifs et nombreux sympathisants politiques. « L’Irak va devenir le premier champ de bataille désormais », estime Alex Vatanka, expert de l’Iran au Middle East Institute de Washington. La pression augmentera sur la présence des 5.000 militaires américains dans le pays.
A Bagdad, les commandants des factions pro-Iran ont déjà appelé leurs combattants à se « tenir prêts ». Le leader chiite Moqtada Sadr a, de son côté, réactivé l’Armée du Mehdi, sa milice dissoute depuis une décennie après avoir harcelé l’occupant américain en Irak. Des actions anti-américaines sont aussi possibles au Liban, éventuellement au Yémen, voire en Syrie, où l’Iran est actif via ses supplétifs, comme les Houthis yéménites ou le Hezbollah libanais.
Le pétrole du détroit d’Ormuz
L’Iran a été accusé en 2019 d’avoir miné des pétroliers au large de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, puis d’avoir attaqué ou saisi d’autres navires près du détroit d’Ormuz, un passage d’importance cruciale. Il est soupçonné d’être à l’origine d’une spectaculaire attaque en septembre contre les installations pétrolières saoudiennes d’Abqaik et de Khurais. « L’Iran a montré qu’il pouvait frapper des bâtiments, bloquer des bâtiments. Un blocus est-il envisageable ? », s’interroge Jean-Charles Brisard, le président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT) à Paris. Les pays occidentaux ont annoncé plusieurs opérations pour sécuriser le transport dans cette zone ultra militarisée.
Israël
« Israël est aussi une cible », dit Matt Levitt, du Washington Institute, car Israël est vu comme une extension des Etats-Unis. Le Hezbollah libanais pourrait tirer des roquettes depuis le Liban, ou tenter des enlèvements. La tension était déjà forte entre Israéliens et Iraniens sur les théâtres libanais et syrien, dit Naysan Rafati, de l’International Crisis Group. Le pire serait un « scénario à la 1914 », avec une conflagration régionale emportant Israël et l’ensemble des alliés de Washington et de Téhéran dans la région, selon lui.
Des responsables américains ?
Dans le passé, les Iraniens ont été accusés d’avoir fomenté des attentats contre des ambassades voire des responsables américains, par exemple en Azerbaïdjan en 2012. « Si vous êtes un haut responsable américain aujourd’hui, il faut vous préparer au pire », dit Naysan Rafati. Quant à une attaque sur le sol américain, cela semble moins probable, dit-il, car les moyens iraniens sont concentrés dans sa région d’influence. Mais la force al-Qods, le bras armé des Gardiens de la Révolution à l’étranger que dirigeait Soleimani, a été accusée d’être derrière un projet d’attentat contre l’ambassadeur saoudien dans un restaurant de Washington, en 2011.
L’option de la cyber-attaque
Les experts considèrent l’Iran comme un acteur majeur sur la scène cyber mondiale. « Les Iraniens ont constitué une Iranian cyber army, un groupe qui a prêté allégeance au guide suprême tout en n’étant pas une structure officielle », explique à l’AFP Loïc Guézo, secrétaire général du Clusif, groupement de professionnels français spécialiste de la sécurité et de l’information. « Leurs moyens d’action sont plutôt sur des infrastructures de type industriel, c’est là qu’ils font assez peur: des barrages aux Etats-Unis, une intrusion dans des systèmes de production d’énergie américain, etc…« . Les Iraniens sont ainsi soupçonnés d’avoir pénétré en 2013 le système informatique d’un petit barrage près de New York, le Bowman avenue Dam.
Quid du dossier du nucléaire ?
C’est de là que tout est parti. Depuis mai, Téhéran a commis une série d’entorses à l’accord de 2015 visant à garantir la nature pacifique de son programme nucléaire, en riposte au retrait des Etats-Unis du texte en 2018 et au rétablissement de sanctions américaines.
La prochaine étape était attendue lundi, avec la possible annonce par Téhéran de la réactivation d’installations interdites ou le franchissement de nouveaux seuils d’enrichissement d’uranium.
Personne ne veut une guerre frontale
Soleimani était une figure majeure et « il faudra un discours de revanche massive » de la part du régime des mollahs, estime Alex Vatanka. Mais ni Washington, ni Téhéran ne souhaitent aller à l’affrontement majeur, conventionnel et brutal. D’autres figures de la révolution ont déjà été abattus et « ils ne se sont jamais vraiment vengés », souligne le chercheur.
Et le régime iranien, déjà en grande difficulté sur plan intérieur, n’a aucune chance de gagner une guerre de cette ampleur. « Ce n’est pas un régime suicidaire », insiste Alex Vatanka. « Vous devez partir en guerre en fonction de vos moyens (…). Je ne les vois pas avoir les yeux plus gros que le ventre ».
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