Les Algériens auraient sans doute préféré un événement plus joyeux pour terminer cette année 2018. Hélas, il était écrit qu’ils suivront minute par minute la lente et atroce agonie d’un jeune de trente ans, enterré vivant trente mètres sous terre, dans un tube d’acier d’à peine 35 centimètres de diamètre, quelque part au sud de la wilaya de M’sila.
Les prières de tous ne lui furent d’aucun secours, pas plus que les efforts des bénévoles et des éléments de la Protection civile. En colère, la population locale n’épargne presque personne.
Les autorités locales d’abord, auxquelles il est reproché leur absence sur le terrain dès le premier jour. Le wali, lorsqu’il s’est présenté sur place, fut pris à partie par des jeunes en furie. D’autres responsables locaux ont eu leur part de huées. Pour tenter de circoncire la colère, le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui, a dépêché mardi une commission interministérielle pour s’enquérir de l’opération de l’extraction du corps de Ayache.
L’affaire ayant enflammé les réseaux sociaux, M. Bedoui a tenté d’adapter sa communication en optant pour le même canal pour annoncer l’envoi de la commission, précisant qu’elle fut bien accueillie par les « proches de la victimes et les notables de la région ».
Manque de pot, la délégation ministérielle a été chassé par la population, et une émeute éclate le soir même devant le siège de la wilaya de M’sila, soit la preuve parfaite que les habitants tiennent toujours l’État et ses représentants pour responsables du sort de Ayache Mahdjoubi.
La Protection civile, dont les agents fournissent pourtant des efforts surhumains depuis dix jours, d’abord pour tenter de sauver le malheureux puis pour extraire son corps, est aussi sévèrement critiquée.
Après tout, elle n’a pas réussi à faire sortir le malheureux vivant de son piège d’acier. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, c’est sûr. Les images diffusées par les chaînes de télévision montrant des agents opérant dans la boue jour et nuit, exténués, méconnaissables, sont suffisamment expressives.
Mais sur place et sur les réseaux sociaux, on reproche à ce corps constitué de ne pas avoir intervenu à temps et surtout d’avoir choisi la mauvaise méthode pour l’opération de sauvetage, dont personne au demeurant ne nie la complexité.
Le jeune Ayache était tombé dans un puits artésien, soit un profond puits atteignant la nappe artésienne, d’où jaillit l’eau par pression. Le tube est large de 35 centimètres, profond d’une centaine de mètres et la victime fut coincée à trente mètres sous terre. Avec l’eau qui remonte spontanément, la tâche devient plus complexe.
Les pompiers ont donc opté pour une méthode plus simple et plus sûre, mais très lente : creuser une tranchée perpendiculaire au puits jusqu’à atteindre l’endroit où se trouve la victime, couper le tube et la récupérer.
Après six jours sous terre, Ayache est mort samedi dernier, son corps a été extrait hier soir. Comprendre que les excavatrices et autres engins qui opèrent pourtant en grand nombre, n’ont toujours pas fini de creuser la tranchée. Ceux qui ont opté pour cette méthode ont-ils étudié au préalable la nature du sol pour calculer le temps qu’il faut pour les travaux d’excavation ? Ont-ils évalué combien de jours Ayache pouvait-il rester vivant à cette profondeur ?
Ont-ils consulté des spécialistes en géotechnique et en hydrologie ? Pourquoi n’a-t-on pas opté pour le forage d’un puits parallèle au tube où était coincée la victime afin de l’atteindre plus rapidement et sans danger pour les agents ?
Ou encore pour l’extraction du tube à l’aide de grues ? On ne peut préjuger du succès qu’auraient eu ces méthodes, mais on sait au moins que celle choisie ne fut pas la bonne, puisque Ayache n’a pas pu être sauvé et même son corps n’a été extrait que hier soir.
Comme Bedoui, la direction générale de la Protection civile a communiqué sur le drame, mais sans répondre à ces questions, trop techniques peut-être. Le directeur de la communication de l’institution a assuré en début de semaine sur les ondes de la radio que « tous les protocoles, qui sont universels, ainsi que les délais d’interventions ont été respectés ».
Pour le colonel Achour, « l’opération de sauvetage n’a pas échoué » et la Protection civile « a fait ses preuves et est devenue une référence dont il faut tous être fiers ».
Sans doute, les Algériens sont fiers du courage et de la bravoure des pompiers qui affrontent les flammes en été et les crues en hiver, mais admirent moins les moyens dont ils sont dotés et leur manque de maîtrise des techniques avancées de sauvetage. L’échec, car c’est est un, de l’opération de M’sila en est la preuve.