Ce sont deux grandes figures de la scène politique nationale qui se vouent une forme de haine respectueuse. Mouloud Hamrouche et Said Sadi ne s’envoient pas des anathèmes. Mais de ne pas labourer le terrain politique des mêmes outils les conduit à échanger des critiques, plutôt directes quand elles émanent de l’ancien patron du RCD et implicites quand elles viennent de l’ancien chef du gouvernement.
Durant la parenthèse enchantée de la démocratie les oppositions entre eux étaient vives. Quand Said Sadi plaidait déjà pour le rééchelonnement de la dette extérieure avant l’étranglement financier du pays, Mouloud Hamrouche l’accusait de vouloir en brader la souveraineté.
Quand Mouloud Hamrouche laissait s’exprimer le FIS même dans ses comportements les plus irrespectueux de la loi avec sans doute l’idée de finir par le disqualifier Said Sadi l’accusait « d’ensemencer les germes de la guerre civile ».
Hamrouche, débarqué de son poste après la grève politique du FIS, n’ira pas au bout de son projet. Said Sadi appellera à barrer la route du pourvoir au FIS quand il a remporté les élections législatives de 1991.
On aura ensuite et le rééchelonnement et la guerre civile qui en avait durci les conditions. En tout cas, les deux personnalités ont en commun de susciter la haine de ceux qui criaient dans « la mithaq, la doustour/ qal Allah, qal errassoul (ni charte ni constitution, seulement les paroles de Dieu et du Prophète).
Depuis son éviction du gouvernement, Hamrouche n’a pas eu de responsabilités officielles. Pour autant, il continue de nourrir le débat politique fort d’être toujours présenté comme le chef de file des réformateurs.
Ce faisant, il assume son étiquette d' »enfant du système » par laquelle il s’était interdit de se présenter contre Liamine Zeroual en 1995. A la démission de celui-ci, son nom avait circulé comme probable successeur alors que le « système » avait déjà choisi Bouteflika dans la discrétion.
Pour autant, il avait accordé le bénéfice de la bonne foi à ce « système » et s’était lancé dans la course électorale, lors des présidentielles de 1999. Il abandonnera quand avec tous les autres ils ont eu la conviction que les jeux étaient faits.
Depuis, Mouloud Hamrouche observe la scène politique en se disant que l’heure de son retour aux avant-postes finira peut-être par sonner à l’initiative de ce « système » dont il mesure trop la puissance pour l’ignorer.
Pendant ce temps, Said Sadi s’est rallié à feu Mohamed Boudiaf et s’est fait le porte flambeau de la lutte conte le terrorisme. Il a participé à la présidentielle de 1995, puis aux législatives de 1997 et 2002 qui lui ont permis d’accomplir deux mandats de député.
En 1999, il boycotte les présidentielles qui ont porté Bouteflika au pouvoir et rallie le nouveau président en permettant au RCD de rentrer au gouvernement.
Said Sadi se laisse même aller à des expressions d’admiration de Bouteflika. Le « printemps noir » de Kabylie brise l’entente. L’abandon des réformes promises de l’éducation, de la justice et de l’Etat scelle la rupture.
Le leader du RCD retrouve les rangs de l’opposition. En 2004, il se présente à la présidentielle mais sort laminé par Bouteflka qui a enrôlé certains de ses plus proches comme Amara Benyounes et Khlalida Toumi.
En 2011, il essaiera de propager le feu d’une révolte partie de Tunisie. En vain! ll finira même par quitter la présidence du RCD pour se consacrer à l’écriture. Mais sans quitter du regard la scène politique. A l’instar de Mouloud Hamrouche dont la « contribution » le mois dernier fut disséquée. La crise est trop visible pour être escamotée par l’un ou l’autre. Mais l’un et l’autre n’ont pas le même diagnostic ni la même thérapie.
Pour l’ancien Chef du gouvernement, l’édification de l’Etat affirmée par la génération de l’Organisation Spéciale (OS) a été mise en échec par la crise de l’été 1962. Ce fut un « tournant dramatique préjudiciable au projet d’Etat ». Il voit dans le coup d »Etat de 1965 un « espoir de nouveau souffle » du fait du rôle politique de l’armée.
« Aucune armée n’est apolitique ou antipolitique », écrit-il. Et c’est à l’ANP qu’il s’adresse quand il réclame le changement.
Au contraire, Said Sadi estime que les « tractations occultes » avec l’armée « ne sont pas la solution mais la cause du malheur national » parce que le bénéficiaire en serait « l’obligé ». Il écarte la perspective de l’émergence d’un Ataturk algérien ou d’une révolution de type de celle des œillets au Portugal conduite par des militaires porteurs d’un projet démocratique.
Un « nouveau destin de l’Algérie » ne viendra pas du pouvoir qui « ne sait pas et ne voudra pas faire », estime Said Sadi, dans une contribution, publiée ce mercredi sur TSA.
Mais d’où alors? « Nous sommes obligés de nous regarder tels que nous sommes avant d’affronter les regards de nos enfants » et « nous repenser à travers de nouvelles valeurs et par des mécanismes opérationnels étrangers à la grammaire politique du système ». Cela implique une « bataille rude ». Mais « les Algériens n’ont pas gagné leur guerre d’indépendance parce qu’ils disposaient d’une force supérieure à celle de l’armée française ». C’est parce qu’il n’avaient « rien à espérer de l’ordre colonial ».