« Le peuple et l’armée sont seuls. Il ne faut pas qu’ils se tournent le dos ni se trouvent face-à-face. L’armée ne peut aller contre les aspirations du peuple », a prévenu Mouloud Hamrouche dans une tribune publiée ce dimanche 5 mai 2019 par El Watan et El Khabar.
L’ancien chef de gouvernement a fait une analyse sur le mouvement de contestation populaire, onze semaines après son début. Un hirak est né « d’une crise majeure de gouvernance », souligne-t-il. « Le peuple revendique son droit d’être gouverné par des instruments légaux de son choix, l’instauration d’un climat de liberté et une situation nationale de droit, de légitimité et de démocratie. Pour cela, le hirak qui a délivré les Algériens des peurs, des prétendus et des préjugés ne peut être et ne doit pas être un facteur de blocage mais une source de restauration de la légitimité, de la légalité et de la responsabilité », estime Mouloud Hamrouche.
Il serait naïf, selon lui, de croire que le changement des hommes est la réponse et que leur remplacement par d’autres, honnêtes et engagés, garantirait les espérances du hirak. « Le changement des hommes ne sera jamais déterminant. Ce ne sera jamais une garantie suffisante pour une bonne gouvernance et une bonne justice. Dans cet cet ordre d’idées et pour une perspective légitime, la priorité doit aller à établir la norme légale et instaurer la vérification et le contrôle pour toute fonction, toute action et tout exercice de responsabilité. L’effort, la considération et la confiance doivent aller en priorité à substituer aux hommes une vraie Constitution, de vraies institutions exerçant de vrais pouvoirs d’autorisation, de régulation, d’habilitation, de contrôle et d’arbitrage », préconise-t-il. L’omnipotence, la corruption, le passe-droit et l’abus « pratiqués à travers des réseaux » ont, d’après lui, détruit toute forme de pouvoir légal et rationnel de gouvernement et de justice.
« Aucune solution ne peut être envisagée comme un kit »
Pour M. Hamrouche, les partis ne peuvent pas suppléer à « autant de vides, de déficits de gouvernance ». Il parle d’absences mortelles de forces sociales et politiques organisées. Le hirak a, selon lui, réparé et retissé une partie importante des rapports sociaux nationaux, mais pas ceux des légitimités gouvernantes.
« Au risque de paraître un briseur d’enthousiasme, aucune solution ni aucune démarche ne peut être envisagée comme un kit à prendre ou à laisser pour un hirak pacifique et unitaire de cette ampleur et qui exige en plus un changement profond de mode de gouvernance. Ce n’est pas au hirak de structurer les institutions et leurs schémas finaux, ni opérer de telles transformations (…) Aucune partie, aucun parti ou groupe de partis, ne peut établir seul cette grande feuille de route. Aucune partie, aucun parti politique ne peut suppléer seul à tant de failles et de défaillances (…) Le hirak ne doit pas s’estomper sans résultat ni déboucher sur de nouvelles impasses ou que des surenchères la mènent vers des récifs dangereux plus difficiles à maîtriser », prévient Mouloud Hamrouche.
Les écueils exigent, selon lui, la participation de tous à une élaboration collective des solutions sans a priori. « Dans le concret, personne ne sait à l’avance quel cheminement prendre et quelle issue finale choisir. Toute possibilité potentielle n’est qu’une chance qui aura besoin d’être vérifiée et confrontée aux dures réalités d’un dysfonctionnement politique grave du pays et de sa gouvernance », a-t-il noté.
La Constitution actuelle ne recèle aucun instrument ni aucune mécanique de solution de crises ou de conflits, estime Mouloud Hamrouche. Il ajoute : « Des crises et des conflits de cette nature ont été, par le passé, solutionnés hors Constitution, chose que le hirak interdit aujourd’hui. En quoi consiste une transition conduite par des personnalités honnêtes, compétentes et non impliquées ? Toute instance de transition aura énormément de difficultés à embrayer sur des réalités et des pouvoirs, et à surmonter d’autres embûches et adversités. En quoi une présidentielle avec un gouvernement d’union nationale ou un gouvernement qui gère les affaires courantes est-elle différente ? Pourquoi prêter plus de compétences et de crédit à l’un ou inversement à l’autre ? Pour quelles raisons une commission électorale ferait mieux que les précédentes ? », s’interroge-t-il.
Mouloud Hamrouche rappelle que toute élection ne débouchera jamais sur des garanties de sincérité et de fidélité tant que toutes les opérations électorales ne sont pas corrigées et certifiées par des autorités indépendantes croisées. « Le hirak a opéré des retraits de légitimités électorales et de confiances politiques. Une vraie élection ne dépend pas d’un délai ni d’une date, mais de ces séries de travaux et de vérifications à faire réaliser. Autrement, toute élection sera une arme de déstabilisation massive à cause des confusions, des contestations ou de refus de reconnaissances de résultats. Il y a une vraie entame et un vrai sujet à discuter. Il y a de fausses concertations pour de fausses pistes. Ne gâchons pas de vraies opportunités créées par le hirak, ne ratons pas de vrais rendez-vous avec de vraies chances pour le pays (…) Comment éviter que le hirak soit une force d’implosion et d’ambition ? En délivrant un signal fort, un discours intelligible et concert sur des transformations profondes à opérer et à mettre en œuvre sous son regard vigilant, d’une justice libérée de toute tutelle, exceptée celle de la loi, des partis, de la presse et des organisations civiles nationales et locales », avertit Mouloud Hamrouche.
L’ancien chef du gouvernement est revenu sur les prérogatives du chef d’Etat par intérim qui assure « une mission régalienne institutionnelle ». Il ne devrait pas assumer aucun pouvoir constitutionnel sur des institutions politiques souveraines. Celles en place et leurs composantes étaient déjà défaillantes et frappées d’illégitimité avant le 22 février », a-t-il noté.
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