Proscrit de son vivant, malmené voire dénigré, Mouloud Mammeri, dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance, est en passe d’être réhabilité.
Signe de cette reconnaissance post-mortem après avoir été longtemps frappé d’ostracisme : l’ouverture en février prochain à Tizi-Ouzou d’un musée dédié à son œuvre. Un colloque international sur sa vie et son œuvre a également été ouvert ce vendredi à Alger. Une trentaine d’intellectuels, parmi lesquels des Algériens et des étrangers, participent à ce colloque organisé par le haut-commissariat à l’amazighité, organisme dépendant de la présidence de la République.
En présence du conseiller du président de la République, Saad Eddine Nouiouat, du représentant du secrétaire général de la présidence de la République, Mohamed Salah Hamrit, du secrétaire général du Haut-commissariat à l’amazighité (HCA), Si Hachemi Assad, et de représentants d’institutions officielles. Le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, a affirmé dans son allocution d’ouverture que Mouloud Mammeri « longtemps oublié, revient aujourd’hui comme une grande figure intellectuelle ».
« La célébration du centenaire de sa naissance se voulait aussi une célébration de ses œuvres que redécouvrent les étudiants, les chercheurs et les promoteurs de l’identité et de la culture amazighes », a ajouté le ministre.
Anthropologue, linguiste et écrivain de talent, Mouloud Mammeri reste sans aucun doute comme l’une des principales figures de la renaissance et de la sauvegarde de la culture berbère. En plus de l’élaboration d’une grammaire, Mammeri sauvera de l’oubli tout un patrimoine, comme l’Ahellil du Gourara qui sera plus tard, grâce à ses travaux, classé patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO.
Il est également l’auteur de plusieurs romans dont « L’opium et le bâton », porté à l’écran par Ahmed Rachedi en 1969 malgré les réserves de l’auteur ; « La colline oubliée », également porté à l’écran en berbère par le défunt Abderrahmane Bouguermouh, film dont le scénario a été déposé en 1968 mais dont l’autorisation de réalisation n’aura lieu qu’en 1989 ; « La traversée » et le « Sommeil du juste ». Mammeri est également l’auteur de pièces de théâtre.
Le 10 mars 1980, Mouloud Mammeri devait donner une conférence sur la poésie kabyle ancienne à l’université de Tizi-Ouzou qui porte aujourd’hui son nom. Mais son interdiction par les autorités d’alors donnera lieu, le lendemain, à des manifestations populaires en Kabylie et à Alger. Durant un peu plus d’un mois, des manifestations et des grèves se succèdent en Kabylie et à Alger avant l’assaut des services de sécurité la nuit du 19 au 20 avril.
Le lendemain, la Kabylie sera paralysée. C’est le « printemps berbère ». Dix jours plus tard, le défunt Kamel Belkacem, alors rédacteur en chef à El Moudjahid, signe un papier « les donneurs de leçon » dans lequel il critique ouvertement Mammeri, suggérant même l’existence de doutes sur son patriotisme. Dans une mise au point qui ne sera jamais publiée par le journal étatique, mais publiée par le quotidien français Le Monde, Mouloud Mammeri, dans un texte d’anthologie, administre une véritable leçon de journalisme à l’auteur du pamphlet.
Depuis, Mammeri incarne le renouveau identitaire et culturel de la jeunesse, particulièrement Kabyle. Il sera constamment sollicité pour des conférences, notamment dans les universités de Béjaïa, Alger, Tizi-Ouzou et Boumerdes. C’est à l’ouverture démocratique, en 1989, au moment où il pouvait légitimement aspirer à une meilleure considération que Dda L’Mouloud, comme l’appellent ses disciples, meurt en février dans un accident de voiture à Aïn Defla, de retour d’une conférence animée à Oujda. Sa dépouille ne sera identifiée que le lendemain. Ses funérailles à Beni-Yenni drainent une marée humaine.
« Le travail accompli par le HCA en coordination avec des secteurs ministériels pour promouvoir la langue amazighe, témoigne d’une véritable intégration de cette langue dans la vie publique. Mon secteur déploie d’importants efforts pour la promotion de la langue amazighe comme culture, à travers le soutien aux différentes formes d’expression culturelle à l’image du théâtre, du cinéma et de la traduction », a souligné le ministre de la Culture. En plus de l’officialisation de Tamazight, couronnement de plusieurs décennies de lutte de militants « élèves » de Mammeri, celui-ci aura son musée et ses textes vont bientôt être intégrés, à côté d’autres auteurs algériens, dans les manuels scolaires. Même sa fameuse réponse au rédacteur en chef d’El Moudjahid, « le malaise kabyle », trône désormais sur le site du HCA. Comme une revanche sur le destin…