Une réunion internationale d’experts sur la conservation et la revitalisation de la Casbah d’Alger se déroule depuis ce dimanche 21 janvier et jusqu’au 23 du mois en cours à l’hôtel El Aurassi, à Alger. Soutenue financièrement par le Japon, cette rencontre est organisée par le ministère de la Culture et l’Unesco. Elle est marquée par la présence de représentants du mouvement associatif.
Mourad Bouteflika, directeur de la conservation et de la restauration du patrimoine culturel au ministère de la Culture, détaille l’objectif de cette réunion et parle de la Casbah d’Alger, classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 1992.
Quelles sont les objectifs de cette réunion d’experts sur la Casbah d’Alger?
Dans le cadre du travail collaboratif que mène l’Algérie avec le Centre du patrimoine mondial (CPM) de l’Unesco, nous avons émis le souhait d’organiser une réunion-bilan sur la Casbah d’Alger avec un double-objectif. Le premier est de dresser un état des lieux sur la conservation de ce vieux quartier. Le deuxième est d’étudier les mécanismes à adopter pour faire en sorte que la Casbah soit mieux revitalisée et mieux insérée dans la ville d’Alger. À ce titre, le format adopté pour cette réunion est de confronter la Casbah d’Alger avec un ensemble d’exemples de bonnes ou de mauvaises pratiques dans le monde entier. Nous avons choisi d’exposer les expériences de La Havane, de Rio De Janeiro, de Barcelone, de Turin, de Bari, de Tunis, El Qods et d’Istanbul. Des exemples dans lesquels un ensemble de solutions a été adopté. Dans un certain nombre de cas, des résultats probants ont été donnés. Dans d’autres cas, un échec a été constaté. C’est, en fait, une confrontation utile avec ce qui a été testé dans un certain nombre de villes du monde et voir les solutions que nous pouvons retenir pour la Casbah et lui permettre ainsi de s’inscrire dans un processus de devenir.
Une Plan permanent de la sauvegarde de la Casbah existe depuis quelques années. Où en est le travail sur le terrain ?
Il faut faire la différence entre la gestion de la Casbah d’Alger comme partie de la ville et le Plan permanent de sauvegarde qui est un instrument nécessitant parfois l’engagement d’un certain nombre d’acteurs dans le respect des lignes-guide du règlement. L’opération de mise en œuvre du plan est, aujourd’hui, entre les mains de la direction des équipements publics de la wilaya d’Alger. Le ministère de la Culture est revenu à son rôle régalien d’examen de conformité et de contrôle. Les acteurs qui évoluent dans la Casbah d’Alger et les institutions collaborent entre eux dans une forme de synergie pour pouvoir mieux asseoir le Plan permanent de la sauvegarde de la Casbah. Si vous me posez la question de savoir si ce plan avait donné l’ensemble de ses effets, je vous répondrais : non. Le processus est lent et les résultats ne sont pas encore à la mesure des efforts consentis. Néanmoins, nous croyons fortement qu’en changeant les paradigmes et en faisant en sorte que le problème de la Casbah ne soit plus un problème technique, nous allons vers un changement d’orientation qui permettra certainement une meilleure application du plan de sauvegarde. On peut le rendre encore plus performant par l’engagement d’actions opérationnelles qui, désormais, devront agir sur un spectre plus large que le simple fait technique. Je parle souvent d’approche participative, de la capacité que nous aurions en tant que pouvoirs publics à associer avec nous les acteurs de la société civile pour mieux représenter le plan de sauvegarde et mieux le mettre en œuvre. Les habitants de la Casbah et ceux qui les représentent à travers les associations doivent être de véritables acteurs dans la mise en œuvre du Plan de sauvegarde. Il faut retenir que le problème de la Casbah est également de dimension sociale nécessitant une plus grande médiation.
Quelles sont les principales contraintes rencontrées dans la mise en application du plan de sauvegarde ?
Les contraintes sont nombreuses. Quand nous avions adopté l’approche sur le simple spectre technique, il était aisé de constater que les capacités qu’avaient l’Algérie n’étaient pas aussi importantes que les exigences de la Casbah d’Alger. Mais, aujourd’hui, nous nous apercevons que le simple fait de mobiliser les ressources n’est pas suffisant et qu’il faut aussi une vision stratégique. Vision qui permettra de porter un véritable projet pour la Casbah d’Alger. Dans le passé, la Casbah a été pendant longtemps un quartier marginal à Alger. Il faudrait aujourd’hui qu’elle rattrape sa centralité et qu’elle redevienne une sorte de locomotive pour la capitale. Et, inversement, la ville d’Alger doit aussi servir la Casbah. Il s’agit donc de penser un vrai projet pour cette partie de la capitale en adoptant des mécanismes de travail qui agissent sur un spectre très large en faisant en sorte que la société prenne pleinement son rôle.
Il s’agit donc de réhabiliter et de revitaliser la Casbah en maintenant la population à l’intérieur en la sensibilisant à la nécessité de sauvegarder les lieux…
Je pense qu’il faut réexaminer et renouveler le discours sur les habitants de la Casbah. Il s’agira probablement- je suis prudent là-dessus n’ayant pas encore toutes les données- d’engager une dé-densification du tissu de la Casbah. Si la Casbah avait été construite pour 30.000 habitants, elle ne peut pas en supporter 50.000. Mais, il ne s’agit surtout pas de vider la Casbah de ses habitants. En même temps, il est question d’encourager la Casbah à s’ouvrir sur marché pour qu’elle rattrape les fonctions économiques qui sont les siens. C’est à dire de créer de la mixité sociale et de la mixité économique. Il faut penser au tourisme et à l’artisanat. Une requalification sur le plan de l’économie qui permet d’inscrire la Casbah dans un processus du futur.
Justement, quelle est la dimension touristique de l’espace Casbah ?
Le plan permanent de sauvegarde doit être accompagné par un projet. La Casbah ne souffre pas uniquement d’un problème de dégradation physique. Elle souffre d’un manque de vision. Il est important de comprendre quel serait le rôle que la Casbah pourrait jouer dans les prochaines années. Je pense qu’il faut céder un certain nombre de niches de travail comme la dé-densification et l’injection de fonctions utiles sur le plan économique. Des pistes de travail pour tous les acteurs.
Certains experts évoquent le modèle du vieux Tunis en matière de sauvegarde et de protection de la Casbah. Qu’en pensez-vous ?
Je n’ai peut-être pas le recul technique nécessaire pour savoir si Tunis est un modèle ou pas, mais, encore une fois, les exemples que nous interpellons porte sur un éventail large de villes pour dire qu’elles sont les choses qui sont utiles pour la Casbah d’Alger et qu’elles sont celles qui ne le sont pas. Je sais que des efforts considérables ont été faits pour Tunis mais des limites existent aussi à cette expérience. En fait, l’exemplarité qu’on recherche dans la Casbah d’Alger doit l’être pour toutes les anciennes villes algériennes. Confrontation ce qui a marché avec ce qui ne l’a pas été aidera la Casbah à sortir de sa léthargie et d’aller vers le renouvellement dans les prochaines années.
Il y a problème de propriété qui se pose toujours à la Casbah. Avez-vous trouvé des solutions ?
Les mécanismes juridiques existent. Avant cette conférence internationale, nous avons organisé une table ronde sur plusieurs aspects dont les questions juridiques relatives à la mise en œuvre du Plan de sauvegarde. Nous avons constaté que même si le dispositif juridique n’était pas plein et entier, il permettait d’intervenir. Il y a des solutions opérationnelles prévues dans les cas de propriétés inconnues par leur intégration dans le domaine public de l’État. Souvent les mécanismes juridiques ne sont pas connus par l’ensemble des acteurs. Les solutions existent, il faut les mettre en œuvre. Cet effort doit être fait par tout le monde. Ce n’est que de cette manière que nous réussirons à avoir des résultats tangibles pour la Casbah.