Les tentatives de museler certaines voix qui appellent au changement se multiplient depuis quelques jours. Les exemples sont nombreux. Ainsi, Djamila Chtitah, enseignante vacataire à l’université d’Alger II (Bouzaréah), affirme avoir été licenciée « par téléphone » à cause de son soutien aux étudiants et au mouvement populaire.
Dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, l’enseignante explique : « J’ai été destinataire d’une décision abusive de la part du doyen de la faculté des sciences sociales me signifiant mon licenciement sans même avoir au préalable envoyé une convocation écrite. Il m’a juste licenciée par téléphone en me disant ‘ne revenez plus enseigner car nous avons recruté un enseignant pour vous remplacer’ ».
A Skikda, c’est un jeune militant activiste, Messaoud Leftissi, qui a reçu une convocation de la justice pour le 2 juin prochain. Il est poursuivi pour le chef d’inculpation d’incitation à l’attroupement.
À Oued El Othmania, dans la wilaya de Mila, plusieurs employés de l’hôpital des frères Boukhcham, ont fait l’objet de sanctions et de suspensions, pour avoir observé un sit-in en soutien au Hirak. En attendant de passer devant le conseil de discipline, plusieurs d’entre eux aussi ont fait l’objet de ponctions sur salaire. Le directeur les accuse de porter atteinte à l’ordre public au sein de ce centre hospitalier.
A Alger, le blogueur Brahim Laalami a été arrêté par la police, il y a quelques jours, à la Place de la Grande Poste, avant d’être libéré, après plusieurs heures de garde à vue. Les raisons de son arrestation demeurent floues.
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Le recteur de l’université de Tizi Ouzou condamne
A Tizi Ouzou, deux actes de violence ont été enregistrés à l’université Mouloud Mammeri. Le premier est l’empêchement d’une conférence prévue à l’auditorium du campus Hasnaoua, le second est une agression physique contre un jeune étudiant. « Ces agresseurs ont-ils peur de la lumière, du savoir et des débats contradictoires”, s’est insurgé, ce mercredi 15 mai, le recteur de l’université de Tizi Ouzou, Ahmed Tessa, qui a salué au passage l’engagement de la communauté universitaire à sauvegarder les acquis démocratiques de cette auguste université.
Le 7 mai dernier, deux acteurs du mouvement de 1980, Mouloud Lounaouci et Arezki Kecili, étaient conviés par la coordination locale des étudiants à animer une conférence-débat sur le thème “Avril 80 et février 2019″ mais un groupe d’étudiants a fait irruption à l’intérieur de l’auditorium pour l’empêcher en usant de gaz lacrymogène.
La veille de cet incident, qui a tourné à un affrontement entre étudiants, un étudiant en sciences économiques a été poignardé à l’intérieur même de l’université par un individu qui, selon des sources à l’université, court toujours.
« Nous resterons convaincus que la diversité socioculturelle et politique doit enrichir les débats, apporter la sérénité et la quiétude aux différents acteurs de notre université et participer à l’émancipation de la société civile”, a expliqué le recteur avant de condamner “avec fermeté toutes les formes de violence, verbales ou physiques”. “Nous regrettons que ces actes se produisent à l’intérieur du campus universitaire et la direction de l’université a engagé les procédures réglementaires pour éradiquer ces pratiques bannies et rejetées par toute la communauté universitaire”, a-t-il ajouté.
La réaction du recteur intervient au lendemain du lancement d’une pétition signée par les animateurs d’avril 80 dont Saïd Sadi, Arezki Abboute, Hamadi Amar, Rachid Ait Ouakli, Hebib Youcef, Arab Aknine, Saïd Chemakh, Saïd Doumane, Rachid Halet et d’autres figures pour dénoncer l’empêchement de la conférence de Lounaouci et Kecili et exiger de la direction de l’université qu’elle condamne “ces actes indignes d’une enceinte universitaire et poursuivre en justice les nervis et leurs commanditaires, afin de protéger les franchises universitaires pour lesquelles la génération d’avril 80 dont le Dr Lounaouci et M. Kecili sont des acteurs éminents, a payé un lourd tribut”.
« Tentation de revenir sur les acquis du mouvement populaire »
Commentant ces atteintes contre la liberté de parole, le vice-président de la Ligue algérienne des droits de l’Homme (LADDH), Saïd Salhi, a déploré le retour des anciennes pratiques du régime.
« On assiste au retour aux pratiques qu’on a dénoncées pendant des années. Ce sont ces mêmes pratiques arbitraires qui ont fait sortir le peuple algérien le 22 février 2019. Il s’agit d’une tentation de revenir sur les acquis du mouvement populaire pacifique lequel, faut-il le souligner, a libéré le peuple algérien », a mis en garde M. Salhi, dans une déclaration à TSA.
Pour lui, faire taire des voix comme celles des journalistes, des blogueurs et des militants équivaudrait à « attenter au mouvement lui-même ». Il se dit convaincu que le but à travers de telles pratiques est l’intimidation. « On a vu ça avec Messaoud Leftissi qui a exprimé des opinions concernant son aspiration au changement comme l’ont faut des millions d’Algériens, et aussi avec des journalistes de l’EPTV (télévision publique). On n’est pas devant des faits isolés mais face à des tentatives de recul sur ce qui a été déjà arraché depuis le 22 février », a-t-il dénoncé, en affirmant que la liberté de parole est fondamentale. C’est un « acquis irréversible » arraché le 22 février, a souligné M. Salhi, qui appelle à la solidarité et à la poursuite du hirak.
Pour lui, ces pratiques sont surtout « des signes de la mauvaise volonté du pouvoir pour aller vers un changement démocratique ».