ENTRETIEN. Louisa Aït Hamadouche est maître de conférences à la Faculté des sciences politiques et des relations internationales à l’université d’Alger.
Les groupes parlementaires du FLN, du RND, de TAJ, du MPA et des Indépendants demandent à Said Bouhadja, président de l’APN de quitter son poste. Said Bouhadja refuse alors que le secrétaire général du FLN, Djamel Ould Abbes, lui demande de partir pour « éviter le blocage » de l’Assemblée. Sommes-nous devant une crise politique ?
Non. Une crise politique suppose une rupture violente et brutale dans le fonctionnement normal d’un système. Là, on pourrait, éventuellement, être dans ce qu’on appelle les prémices d’une crise. Il s’agit d’un ensemble de faits qui rendent le fonctionnement d’un système tendu, sous pression. Jusqu’à aujourd’hui, on n’est pas dans la rupture. On pourrait à la limite évoquer une crise institutionnelle parce que c’est une institution qui est en cause, pas l’ensemble du système politique.
Il s’agit donc d’une crise institutionnelle…
Pour moi, on n’est pas encore dans une situation de crise politique ou institutionnelle. On pourrait éventuellement aller vers une crise institutionnelle si la situation évoluait au point de créer la rupture au sein du Parlement. Même là, il est possible de dépasser la situation de gel en ayant recours à ce que la Constitution prévoit. La crise signifie qu’on ne peut pas gérer la situation par les instruments classiques.
Justement, la Constitution n’a pas prévu la situation de retrait de confiance par les députés au président de l’APN, comme c’est le cas actuellement…
On serait en situation de crise si le Parlement devait pour une raison ou pour une autre ne plus fonctionner du tout.
Une dépêche de l’agence APS rapporte que le président de l’APN a « gelé ses activités prévues dans le cadre de la diplomatie parlementaire »
Comment ses adversaires menacent-t-ils de geler, et c’est lui qui gèle ! Said Bouhadja avait un argument en sa faveur, celui de dire qu’il peut continuer à travailler même si une partie des députés ne siègent plus à l’Hémicycle. Là, il était dans son droit. Mais que lui gèle ses activités, ça n’a plus de sens. Constitutionnellement, a-t-il le droit de le faire ? Ni les parlementaires ni le président de l’APN n’ont le droit de geler le fonctionnement de l’Assemblée. Cette notion de geler le Parlement n’existe pas. Soit le Parlement fonctionne, soit il est dissout. Il n’y a que le chef de L’État qui peut prononcer la dissolution du Parlement.
N’est-on pas en train de préparer le terrain à la dissolution de l’APN ?
Il y a effectivement l’hypothèse selon laquelle une dissolution du Parlement aurait pour objectif le report aux calendes grecques de l’élection présidentielle (prévue en 2019). Au-delà de cette hypothèse, quels que soient les enjeux sous-jacents à cette situation, l’Histoire retiendra une chose : le Parlement algérien a montré, une fois de plus, son manque de crédibilité vis-à-vis de l’opinion publique. Il a démontré, une fois de plus, qu’il n’est pas du tout dans son rôle de pouvoir législatif et de contre pouvoir face à l’Exécutif.
Comment ?
Les parlementaires se sont divisés sur des questions que ne justifient pas de telles réactions. Les députés ont fait valoir le rôle d’acteur extra Parlement, c’est-à-dire, le chef de l’État. Les parlementaires se sont, eux même, déclassés face au pouvoir exécutif, se sont eux mêmes mis sous l’autorité de ce pouvoir. Déjà que le Parlement avait une image complètement ternie à cause d’affaires d’argent sale, de chkara, d’élaboration douteuse de listes électorales et de taux de participation extrêmement bas (aux législatives de mai 2017), ce nouvel épisode politique, quel que soit son issue avec la démission de Said Bouhadja ou la dissolution de l’APN, aura pour conséquence l’affaiblissement du Parlement. Pire, l’APN en sortira plus affaiblie.
Comment expliquer l’absence d’argument politique chez les contestataires de l’actuel président de l’APN pour exiger son départ ?
Parce qu’ils ne peuvent en aucun cas ni présenter des arguments politiques ni des arguments juridiques. On est dans le non droit, dans le non-sens. Même s’ils représentent la majorité, les députés ne peuvent pas contester la présidence du Parlement de cette façon. La Constitution ne prévoit pas ce cas de figure. Donc, le parti auquel il appartient peut décider de le renier et de l’exclure (le FLN pour Saïd Bouhadja) mais le président de l’APN ne peut pas être démis de ses fonctions, sinon ça serait sans précédent.
Comment expliquer que Said Bouhadja résiste et refuse de démissionner ?
Employer le terme démission, c’est déjà faire un faux procès. Même si on pousse le président de l’APN à partir, ça ne sera pas une démission. La démission est un acte volontaire. S’il venait à partir sous la pression des députés, on ne peut appeler cela démission. Ce qui est le plus problématique pour moi, c’est qu’un parlementaire, élu dans le cadre d’un mandat national au suffrage universel, déclare publiquement que sa décision dépend de celle du chef de l’État.
Said Bouhadja n’est-il pas en train de piéger tout le monde en montrant que le président de la République peut intervenir dans l’action du Parlement ?
Ce n’est pas la première fois que des parlementaires reconnaissent qu’ils sont sous l’autorité du chef de l’État, d’où le discrédit, de plus en plus grand, du Parlement. Les parlementaires ne jouent pas leur rôle en tant que contre pouvoir.
L’action actuelle contre le président de l’APN est-elle une initiative spontanée ou un mouvement ordonné ?
Une action politique n’est jamais spontanée.
S’achemine-t-on vers le blocage des institutions ?
Vous savez, le système politique algérien a comme habitude de se perpétuer à travers la gestion de mini-crises. Une crise survient d’une façon brutale avec un effet de surprise. Or, le blocage et la guéguerre actuels au niveau de l’APN entrent dans un contexte de tension et de batailles rangées entre des forces politiques. Donc, on n’est pas dans la logique d’un événement surprenant et conduisant à une rupture. On est dans une succession d’événements. On peut appeler cela un contexte crisogène, c’est-à-dire un contexte qui produit des crises dans le but de perpétuer la situation, le statu quo
Donc, on est devant un statu quo ?
Oui. On est dans un épiphénomène ou dans une étape supplémentaire du statu quo, mais on n’est pas dans la rupture.