Six vendredi de suite, les Algériens ont été on ne peut plus clairs en exigeant une transition qui ne soit pas contrôlée par le système.
Mais à voir les manigances et manœuvres auxquelles on assiste, il n’est pas sûr que le message soit bien saisi aussi bien par le pouvoir que par des parties qui tentent d’imposer leur « solution ».
Le pouvoir a d’abord proposé un prolongement qui ne dit pas son nom du quatrième mandat et une période de transition directement gérée par Bouteflika et son entourage. C’était dans la lettre du président du 11 mars.
Le stratagème était trop grossier pour être accepté. La proposition ayant été rejetée successivement les 15 et 22 mars, l’armée a dû entrer en scène mardi dernier pour suggérer de déloger le président contesté par la voie constitutionnelle.
L’option Bensalah
Le recours à l’article 102 pour déclarer l’empêchement du chef de l’État suppose l’application de tous ses alinéas. Sans être des constitutionnalistes, les Algériens en ont vite déduit les conséquences : une transition de 135 jours avec à la tête de l’État Abdelkader Bensalah comme intérimaire et Nouredine Bedoui, Premier ministre, comme chef d’orchestre du processus électoral à venir.
La loi fondamentale dispose en effet qu’en cas d’empêchement du chef de l’État, l’intérim est assuré par le président du Sénat et le gouvernement en place ne peut être changé avant l’élection d’un nouveau président.
Sans surprise, le plan est massivement rejeté ce vendredi 29 mars. Le peuple a signifié au chef d’état-major de l’ANP qu’il n’est pas sorti par millions dans la rue pour mettre son destin entre les mains de Abdelkader Bensalah. Ce ne sont pas les interrogations sur les origines du président de la Nation qui posent problème, mais le fait qu’il soit un pur produit du système.
Les dernières lignes de son CV suffisent pour comprendre qu’il lui sera difficile d’être l’homme de la rupture : ces 22 dernières années, il a dirigé successivement les deux chambres du Parlement et accessoirement le RND, le parti du pouvoir qu’on dit né avec des moustaches pour avoir réalisé un raz-de-marée aux législatives trois mois seulement après sa création en 1997.
Zeroual, l’option de parties occultes
L’évocation de la naissance du RND nous amène à la troisième voie, pas encore proposée formellement, mais que des parties occultes tentent de vendre depuis quelques semaines : celle de Liamine Zeroual.
La piste de l’ancien président pour gérer la transition est la plus dangereuse car elle est sournoisement suggérée, en tentant de faire croire qu’il s’agit d’une demande de la rue. Son portrait était brandi lors de la marche du 15 mars à Alger et des « manifestants » sont allés ce vendredi devant sa maison à Batna pour le « supplier » de revenir en sauveur.
Entre-temps, des voix se sont fait entendre ici et là pour le décrire comme l’homme de la situation. L’homme ne dément pas. Contrairement à Mouloud Hamrouche qui a fait savoir qu’il n’était candidat à aucun poste, l’ancien général-président garde le silence. Ce vendredi, il est même sorti voir ces « soutiens » devant sa maison. Un geste qui peut être interprété comme une ouverture de sa part.
Il y a sans doute beaucoup d’Algériens qui ont de l’estime pour l’ancien chef de l’État (1994-1999) pour des considérations sans lien avec son œuvre. Il a remis le pouvoir de « son plein gré » pour vivre ensuite une paisible retraite dans sa ville natale, en simple citoyen. Comme tous les retraités algériens, il affecterait, plus que tout, les interminables parties de dominos. Ça fait peut-être de lui un enfant du peuple, mais pas celui qui abattra le système.
Un bilan chaotique
Son passé ne plaide pas pour lui. Au contraire, il l’accable. Le système politique dont le peuple réclame aujourd’hui le départ date certes de l’indépendance, mais dans sa configuration actuelle, il est né sous le règne de Liamine Zeroual.
C’est à lui qu’on doit le concept de « démocratie responsable » traduit dans la Constitution actuelle (élaborée en 1996 et triturée deux fois par Bouteflika mais jamais changée), la création du RND, le bicaméralisme de façade.
C’est sous son règne que le FLN fut domestiqué (coup d’État scientifique contre Abdelhamid Mehri) pour en faire la coquille vide qu’il est aujourd’hui. C’est sous Zeroual que la fraude systématique aux élections fut banalisée (le RND est créé en février 1997 et il remporte les législatives en juin et les municipales en novembre de la même année).
C’est lui qui a fait brûler toutes les étapes à Ahmed Ouyahia qui est passé du rang de simple diplomate à celui de chef de gouvernement omnipotent. Les Algériens se rappellent aussi des frasques de son conseiller Mohamed Betchine à qui il avait confié de hautes responsabilités au sein de l’État.
Enfin, et ce n’est pas le moindre des reproches qu’on peut lui faire, c’est Zeroual qui a balisé la route d’El Mouradia à Bouteflika en organisant la mascarade électorale de 1999 qui a fait de lui le président des Algériens pendant vingt ans.
Certains diront qu’il n’y pouvait rien face à la pression des militaires et c’est justement une raison supplémentaire pour ne pas lui confier la cruciale période à venir où les pressions ne manqueront pas.
Idem pour le très effacé Bensalah. Les Algériens ont fait le plus dur en brisant le mur de la peur d’abord puis en maintenant la mobilisation pacifique, ils doivent maintenant redoubler de vigilance. L’option Zeroual, sortie d’on ne sait quelle officine, risque d’être un cadeau empoisonné.