Encore adolescente, elle est témoin d’un événement majeur qui fait basculer le sort de l’Algérie, alors sous domination coloniale : le tirage de la proclamation du 1er novembre 1954. Na Louiza Yahi, comme on l’appelle affectueusement en Kabylie, veuve de Ali Zamoum, figure emblématique de la guerre d’indépendance, a tiré sa révérence mercredi 4 avril à l’âge de 83 ans à l’hôpital de Tizi-Ouzou.
Cette femme dont le caractère a été forgé par les vicissitudes de la vie en montagne est morte comme elle a vécu : dans la dignité, la discrétion et l’humilité. Pourtant, sa contribution au combat libérateur, l’évènement auquel elle a assisté, les figures de la révolution qu’elle a connues dont le défunt colonel Omar Ouamrane et Krim Belkacem ou encore le célèbre écrivain Kateb Yacine, grand ami de son défunt mari, qu’elle épouse en 1952, la confinait naturellement à ce que son nom soit gravé sur le marbre.
Dans un rare documentaire réalisé en 2020 par Berbère Télévision, Nna Louiza, dans sa tenue traditionnelle kabyle, la mémoire toujours intacte, malgré le poids des ans, est revenue sur cette période cruciale de l’automne 1954 lorsque Krim Belkacem confia le texte de la déclaration du 1er Novembre, rédigée par Mohamed Boudiaf et Didouche Mourad, à Ali Zamoum pour la reproduire en des milliers d’exemplaires.
« C’est Krim qui l’a chargé de reproduire le texte car il connaissait les moindres recoins de la Kabylie et était un homme de confiance », témoigne-t-elle. Ali Zamoum avait alors seulement 21 ans. C’est Mohamed El Aichaoui, ramené par Omar Ouamrane et présenté à Ali Zamoum qui est chargé de dactylographier le texte dans une maison à Ighil Imoula, commune de Tizi N’Tlata, daïra des Ouadhias. Au moment de taper le texte, ils se rendent compte qu’une phrase manquait.
Na Louiza, veuve du moudajhid Ali Zamoum tire sa révérence
C’est alors que Ali se rend à Ait Abdelmouméne où Krim Belkacem attendait pour l’informer de cette situation. « Vous la reproduisez tel quelle », lui répond Krim Belkacem. De retour au village, Ali Zamoum poursuit le travail en choisissant une maison ou devait être tirée la déclaration avec une ronéo : la maison d’un certain Rabah Idir, sise au-dessus d’une échoppe.
« Les enfants étaient amassés aux alentours pour s’amuser et faire du boucan pour éviter que le bruit de la ronéo ne soit entendu », témoigne Nna Louiza. Les milliers d’exemplaires seront par la suite remis à Krim qui devait se rendre à la gare Omar, d’où transitent tous les nationalistes, pour la propager.
Ighil Imoula devient ainsi symboliquement le premier village à entrer en guerre contre la France coloniale. Quelques mois plus tard, Ali Zamoum est arrêté dans un accrochage. Deux de ses compagnons, les colonels Omar Ouamrane et son grand frère le colonel Si Salah vont échapper belle.
Torturé, il est condamné à mort. Mais la sentence ne sera jamais exécutée. Nna Louiza n’évoque pas les longues années de prison passées par son défunt époux, orphelin de père et de mère.
Elle se rappelle toutefois d’une anecdote : « un jour de froid, il est venu avec ses compagnons. Il m’a demandé de leur préparer à manger. Autour du Qanoun, ils ont séché leurs habits mouillés. Alors qu’ils papotaient, il m’a chargé de surveiller à l’extérieur. Le lendemain, il s’excusa de m’avoir oublié car, étant fatigués, ils se sont endormis ».
« Quand, au bout de la nuit, vos palabres se sont tues, je suis rentré moi aussi et j’ai dormi », lui répond-t-elle. Elle rapporte aussi que Kateb Yacine, grand Ami de Ali et dont il avait appuyé l’action théâtrale, est un habitué du village et de la maison. « Parfois, il y venait avec sa femme et son fils Amazigh».
Comme beaucoup d’autres avant elle, Nna Louiza Zamoum part sans avoir tout raconté sur les péripéties qu’elle a dû endurer en compagnie d’un homme dont l’histoire se confond avec celle de l’Algérie.
« Nous faisons nos adieux, en ce jour sacré du mois de Ramadan, à la défunte connue pour ses qualités et valeurs révolutionnaires, son dévouement à l’Algérie et son attachement à l’unité et à la cohésion nationales pour la grandeur et la gloire de l’Algérie », a écrit à son propos le ministre des moudjahidines et des ayants-droits, Laid Rebiga.