Une polémique autour de la prière à l’école enflamme l’opinion algérienne depuis quelques jours, et encore une fois, elle est directement liée à la ministre de L’Éducation nationale Nouria Benghabrit.
Sa justification de la sanction infligée à une élève qui a prié dans l’enceinte de l’école algérienne de Paris, n’a laissé de marbre ni ses détracteurs ni ses soutiens.
« On va à l’école pour étudier et non pour prier », a commenté la ministre au sujet de la mise à pied de l’élève. Des propos applaudis par une partie de l’opinion qui y voit une volonté de protéger l’école et la religion de l’instrumentalisation politique.
D’autres voix se sont élevées pour dénoncer une supposée hostilité de la ministre à l’égard de l’Islam. De nombreux enseignants de tous les paliers ont réagi en se filmant en train de faire la prière dans les cours et salles de classes de leurs établissements scolaires.
À l’origine de cette tornade de réactions, la déclaration de la ministre sans laquelle l’affaire serait, sans doute, restée à Paris et passée inaperçue.
Cette querelle n’est ni la première ni la dernière entre Mme Benghabrit et ses soutiens d’une part et ses détracteurs d’autre part. Ces derniers l’ont attaquée dès sa nomination au poste de ministre de l’Éducation nationale, et ce, sur ses origines.
Nouria Benghabrit Remaoun est-elle juive ? C’est la question que se sont posée, en y répondant par l’affirmative, beaucoup d’Algériens sur les réseaux sociaux et plateaux de télé, dès sa nomination à la tête du secteur de l’Éducation en mai 2014. Cette rumeur infondée sur la judéité de la ministre était stérile, puérile, mais elle a marqué le début d’un long conflit entre elle et une partie de l’opinion.
Polémiques à la chaîne
Le conflit est vivace jusqu’à ce jour. Les polémiques, tournant souvent autour des sujets de la religion et de l’identité nationale se succèdent et rien ne semble en mesure de les arrêter, tant que les deux camps sont inconciliables.
Lorsqu’elle a proposé l’introduction de la langue arabe algérienne (derdja) dans l’enseignement, la ministre s’est pris une volée de bois vert de la part des conservateurs qui l’ont alors accusée de vouloir porter atteinte à l’arabe classique, « langue du Coran ».
Les mêmes accusations lui ont été proférées, par les mêmes parties, lorsque Mme Benghabrit, pendant l’été 2016, la mise en place, dès la rentrée suivante, du programme scolaire de deuxième génération qui visait, selon son ministère, à « améliorer les compétences cognitives » des élèves.
Plusieurs personnalités et organismes, avaient accusé alors la ministre de vouloir dénaturer la société, l’acculturer en remettant en question les composantes de son identité. Parmi les détracteurs de Mme Benghabrit, figurait l’association des ulémas et son président Abderrezek Guessoum revenu à la charge un peu plus d’une année plus tard.
À la rentrée 2017-2018, le Président de l’association fondée par Abdelhamid Ben Badis a qualifié, dans un communiqué, la suppression de la « basmala » des premières pages des livres scolaires, d’atteinte « à l’identité algérienne » et à « l’intégrité spirituelle de nos enfants ».
Les mêmes accusations avaient réapparu lorsque la ministre de l’Éducation a mis en application, en octobre 2018, l’interdiction du port du niqab dans les établissements scolaires. Et récemment, lors de la polémique autour de l’interdiction de la prière dans les écoles.
La ministre n’est pas une victime
En apparence, la ministre Benghabrit est une victime de « lobbys » (pour reprendre la formule utilisée par un de ses conseillers), de courants idéologiques conservateurs et islamistes. Mais elle est loin d’être innocente. Les polémiques qu’elle a le secret de provoquer à chaque fois, sciemment ou non, touchent souvent à la question sensible de la religion.
Et les attaques, accusations, polémiques et protestations ne semblent affecter d’aucune façon la ministre qui, au lieu d’adopter une démarche plus prudente sur les « sujets qui fâchent » comme on aurait pu s’y attendre de sa part, remet, sans cesse et sans sourciller, les pieds dans les mêmes plats.
La sociologue, chercheure et professeur d’université devenue ministre s’est donné l’image d’une progressiste aux idées modernes, d’une défenseuse des valeurs de tolérance et d’ouverture. Une image entretenue par les perpétuelles attaques qui la visent et qu’elle provoque, sciemment pensent certains, en voulant réformer l’école, assurent d’autres.
Les piques que lancent les conservateurs à Benghabrit, n’ont, non seulement aucun effet puisqu’elle a survécu à trois remaniements ministériels et a été en poste sous trois Premiers ministres, mais en plus, elles renforcent son image accommodante de progressiste tout en lui attirant de nombreux soutiens.
Il faut dire qu’elle, ou ses partisans, savent jouer de cette image de victime des islamistes. Ces derniers ont été désignés comme étant les auteurs d’un « complot » visant à faire dégager la ministre du gouvernement en provoquant une fuite massive des sujets du bac en 2016.
Nouria Benghabrit a même pu réaliser l’exploit, pour ne pas dire le miracle, de s’attirer la sympathie d’opposants, de personnalités comptées parmi les démocrates et progressistes alors même qu’ils sont opposés à Bouteflika et donc, logiquement, à son gouvernement dont elle fait partie.
Cette prouesse de se faire soutenir par des parties de l’opposition alors qu’elle est décriée même par certaines parties proches du pouvoir, permet de se demander si, pour ce pouvoir, Benghabrit ne serait la diversion parfaite.
Une interrogation des plus légitimes lorsqu’on voit comment, cette semaine, en pleine ébullition de l’opinion autour de l’élection présidentielle qui approche à grands pas et le flou qui entoure la candidature de Bouteflika, elle a pu monopoliser les regards et saturer, à elle seule, l’espace médiatique.
Le sens de ces polémiques à répétition est à interroger, d’autant plus qu’elles éclipsent d’autres questions plus importantes. Les contours du programme de réforme que compte appliquer Benghabrit à l’école algérienne tardent à se dessiner clairement et les résultats ne sont, pour l’instant, pas palpables quatre ans après sa prise de fonction. Ces polémiques à répétition cachent en réalité, les grands défauts, d’une ministre incapable de proposer une véritable réforme de l’école, et de la mener, avec succès.
Autre question éclipsée par les polémiques suscitées par la ministre, son bras-de-fer avec les syndicats de son secteur. Un conflit sourd oppose les deux parties depuis 2014, des grèves à répétition ont lieu chaque année, perturbant le déroulement des cours, presque dans l’indifférence totale, notamment de la part, de ceux qui se manifestent à chaque fois que Mme Benghabrit évoque la place de la religion à l’école.