Ce vendredi, les Algériens sont sortis pour la quatrième fois et par millions, pour dire non au système et oui au changement. Des marches grandioses se sont déroulées dans la plupart des grandes villes algériennes. À Alger, la mobilisation a été encore plus forte que celle du 8 mars, avec plus d’un million de manifestants, selon plusieurs estimations.
Ces marches interviennent au lendemain du lancement d’une opération médiatique par le gouvernement, qui a envoyé Noureddine Bedoui, nouveau Premier ministre, Ramtane Lamamra, vice-premier ministre et Lakhrad Brahimi, ancien diplomate, à la rencontre des médias pour défendre le plan du pouvoir consistant en un report des élections et le prolongement du mandat présidentiel.
« Yaw faqou ! »
« Nous ne sommes pas dupes ! », « Yaw faqou ! », « Ni report, ni prolongement », « Ni Bedoui, ni Lamamra », « Tetnahaw gaâ » (vous serez tous virés), « Tarahlou, yaâni Tarahlou ! » (nous disons que vous partez, c’est que vous partez ! », sont les principaux slogans scandés par les manifestants aujourd’hui.
Le refus du plan décidé par la Présidence est net et total. Les Algériens maintiennent le cap sur un « dégagisme » général, qui n’excepte aucun membre du pouvoir. Pour les manifestants, il s’agissait aussi d’exiger un « départ immédiat de tout le pouvoir ». Les messages pressant les responsables de partir étaient nombreux. « Les manifestants veulent un départ immédiat et inconditionnel du pouvoir et de tout le système », a inscrit un jeune manifestant sur une pancarte. « Cessez d’infantiliser le peuple !», « Cessez de vous jouer de nous ! », ont également dit les Algériens qui voient dans les dernières décisions de la présidence une tentative de manœuvre, de contournement de leur volonté. Un manifestant rencontré sur la rue Didouche Mourad, à Alger-centre, a expliqué que s’il manifeste, c’est surtout « à cause de ce qu’a dit Bedoui hier ». « Ils disent que c’est le peuple qui a demandé le report des élections. Nous n’avons pas demandé ça, nous avons demandé le départ de tout le système ! », a-t-il expliqué.« Nous n’avons pas de représentants. S’ils veulent discuter avec le mouvement, Bedoui et Lamamra n’ont qu’à descendre dans la rue et discuter avec nous tous », a lancé un autre manifestant à Alger. Là aussi le message est clair, les manifestants refusent toute discussion à travers de prétendus représentants du mouvement.
Les manifestants ont également réaffirmé le caractère non-violent et civique des manifestations, aussi bien par leurs slogans « Silmia, silmia ! », que par leur comportement. Ce vendredi, pour la première fois depuis le début des manifestations, il n’y a pas eu de graves affrontements au niveau de la Présidence et le nombre de blessés a été, lui aussi, le plus bas depuis le 22 février. Les manifestants algérois, en évitant dans leur majorité de tenter de marcher vers le Palais d’El Mouradia envoient également un message de non-violence et de prudence.Les manifestants ont également été nombreux à brandir de grandes affiches avec des revendications précises et détaillées. « Une date précise pour les élections dans un délai inférieur à trois mois, permettre à tous d’obtenir une carte d’électeur, une commission indépendante pour l’organisation des élections et un gouvernement accepté par le peuple », a réclamé un manifestant croisé près de la Grande poste.
« Non à l’ingérence étrangère ! »
Les manifestants ont acquis, au fil des manifestations, une grande aptitude à adapter leur mouvement, leur dynamique aux développements sur la scène politique. Les slogans qui parlaient, au début du mouvement de rejet du cinquième mandat se sont peu à peu étendus à un rejet de tout le pouvoir, puis, après l’annonce des décisions de la Présidence, à un rejet du prolongement du mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Ce vendredi, les slogans ont de nouveau été actualisés pour répondre aux dernières réactions internationales au mouvement de protestation en Algérie.
« Macron, occupe-toi de tes gilets jaunes », « Non Trump, nous ne voulons pas d’ingérence étrangère », « Ni Washington, ni Paris, c’est le peuple qui choisit son président », ont écrit de nombreux manifestants sur leurs pancartes, en arabe, en français mais très souvent en anglais. Les pancartes portant des inscriptions en cette langue étaient, ce vendredi, plus nombreuses que jamais dans les rues Algérie. « Nous leur écrivons en français, en anglais et dans toutes les langues qu’ils veulent, l’essentiel est qu’ils comprennent que nous sommes un peuple souverain et que nous ne voulons pas de leur ingérence », a expliqué une dame, portant une banderole en plusieurs langues exprimant son rejet de toute ingérence étrangère.
Le rejet des ingérences étrangères fait réellement consensus en Algérie, aussi bien au sein de la population qu’au sein de la classe politique. Un élément de cohésion largement affiché en ce jour de grandes manifestations contre le pouvoir.