Les relations entre l’Algérie et la France sont-elles au beau fixe ? Si on s’en tient aux propos des présidents des deux pays, oui. La dernière déclaration en date au plus haut niveau l’atteste.
Dans une interview télévisée diffusée dimanche 4 avril, le président Abdelmadjid Tebboune réitérait les mêmes propos mielleux qu’il a toujours tenus à propos des relations avec la France, particulièrement avec son président Emmanuel Macron.
Le président de la République s’est dit « confiant en l’intégrité » de son homologue français au sujet de la question mémorielle, rappelant les propos de M. Macron sur la colonisation qu’il a qualifiée de « crime contre l’humanité » et de « pire que la Shoah ».
L’attitude de Macron, notamment son rôle dans le rapatriement des crânes de résistants algériens en juillet dernier, « reflète le niveau des bonnes relations entre les deux pays », a estimé Tebboune.
Et ce n’est pas la première fois qu’il fait solennellement un tel constat. Début mars, lors d’une autre sortie télévisée, il avait aussi évoqué les « bonnes relations » qu’entretiennent l’Algérie et la France.
Il faut dire que le discours du président Tebboune sur la question est constant. Hormis son coup de gueule au lendemain de son élection, lorsqu’il a menacé de faire « payer cher » à la France l’attitude de son administration lors du vote de la communauté algérienne, Tebboune a toujours plaidé, depuis son investiture, pour l’ « apaisement » et l’amélioration des relations bilatérales avec des louanges chaque fois répétées à l’adresse d’Emmanuel Macron.
La même constance est constatée dans le discours de ce dernier, bien qu’il lui soit très inconfortable de se prononcer sur l’Algérie en l’état actuel de la situation interne marquée par la persistance de la contestation populaire et des manifestations du Hirak.
En novembre dernier, le président français avait soulevé une tempête en Algérie lorsqu’il a loué le « courage » de Tebboune, qu’il a promis d’ « aider » dans la « transition en cours ».
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« Ennemi traditionnel et éternel »
Si, au sommet des deux États, tout semble au beau fixe après une année 2019 où les relations entre les deux pays avaient touché le fond, ce n’est pas toujours le cas à des niveaux subalternes.
Des critiques ont été entendues à l’égard de la France que ce soit sur l’évolution de la question mémorielle, la lutte contre le terrorisme ou d’autres questions.
Jusqu’à cette phrase complètement inattendue lâchée par un ministre du gouvernement algérien, deux jours avant une visite d’une délégation française de haut niveau conduite par le Premier ministre Jean Castex.
Pour la première fois depuis décembre 2017, ce dernier devait coprésider avec son homologue Algérien Abdelaziz Djerad un « comité intergouvernemental de haut niveau », au cours duquel plusieurs questions allaient être abordées et des accords signés.
À trois jours de la visite et alors que le chef d’état-major des armées françaises était à Alger à la tête d’une importante délégation militaire, Hachemi Djaâboub, ministre du Travail, de l’emploi et de la sécurité sociale, qualifiait la France d’ « ennemi traditionnel et éternel ».
Le pays ainsi traité n’est pas seulement un État avec lequel l’Algérie entretient des relations, mais un État avec lequel les relations sont qualifiées au plus haut niveau de responsabilité de « bonnes ».
El Hachemi Djaâboub est d’obédience islamiste et ses propos pouvaient avoir moins d’incidence s’il les avait tenus dans un meeting électoral ou une rencontre politique.
Mais la solennité avec laquelle il a lâché sa phrase, en pleine séance du Sénat, suscite des interrogations. De surcroit qu’elle a été immédiatement suivie de l’annonce de l’annulation de la visite très attendue de Jean Castex.
La corrélation entre les deux événements n’est pas établie, mais leur simultanéité relance les spéculations sur les relations que tout le monde sait très sensibles entre l’Algérie et la France.
Le motif de la situation sanitaire avancé officiellement par Matignon à l’annonce du report de la visite est vite battu en brèche. Ce samedi, des médias Français parlent en fait de « raisons diplomatiques » derrière la décision surprise.
Les autorités algériennes auraient jugé que « le format de la délégation n’est pas à la hauteur », indique Le Figaro, citant « une source française proche du dossier »
La question sahraouie
Autre coïncidence qui a dû peser sur le cours des événements, l’annonce par le parti d’Emmanuel Macron, La République en marche (LREM), de l’ouverture d’une antenne dans la ville de Dakhla, au Sahara occidental occupé.
Le Parti communiste français (PCF) a condamné la « provocation » de la LREM, en soupçonnant le président Macron de s’engager dans « la voie d’une ouverture d’un consulat » dans la ville sahraouie occupée, une « manière d’entériner cette occupation coloniale en violation du droit international. »
Selon nos sources, c’est cette décision qui est a fortement pesé dans le report de la visite de Jean Castex, donc de ce nouveau coup de froid dans les relations algéro-françaises. Car c’en est bien un.
Pour revenir à la constance du président Tebboune sur le dossier, elle ne se limite pas à son discours apaisé vis-à-vis de la France et aux éloges faites à Emmanuel Macron.
Dans plusieurs de ses sorties, il a pointé du doigt des « lobbies » en France qui feraient tout pour saper la relation entre les deux pays. Des accusations reprises récemment par l’ambassadeur d’Algérie en France, Mohamed Antar Daoud.
Les parties visées sont parfois nommément citées. Il s’agit principalement des nostalgiques de l’Algérie française et il n’y a pas de doute que de tels milieux ne peuvent voir d’un bon œil tout rapprochement entre les deux pays. Avec les derniers développements et le double langage entendu ces derniers mois, il est légitime de s’interroger si ces « lobbies » ne sont pas nichés et agissants de part et d’autre de la Méditerranée.
Si, à contrario, l’action des « lobbies » n’a qu’un effet limité, c’est la sincérité des professions de foi entendues ces derniers mois, notamment de la part du président français, qui s’en trouverait remise en question.
Il est impensable en effet que la décision d’ouvrir une antenne de son parti à Dakhla soit prise sans l’aval de M. Macron qui, pourtant, n’ignore pas, ainsi que tous les dirigeants de la planète, l’extrême sensibilité pour les autorités Algériennes de tout ce qui a trait à la question sahraouie.
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