La tension entre Berlin et Ankara a atteint un nouveau pic mercredi avec la convocation de l’ambassadeur de Turquie à suite à la détention d’un militant allemand des droits de l’homme, dans un climat qui s’envenime de jour en jour.
« Il est apparu nécessaire que le gouvernement turc comprenne immédiatement et directement l’indignation et l’incompréhension du gouvernement allemand », a déclaré à la presse le porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, Martin Schäfer.
Objet du courroux du gouvernement allemand : le maintien en détention en Turquie la veille d’un militant allemand connu des droits de l’homme, Peter Steudtner. Il avait été arrêté le 5 juillet aux côtés de dix militants turcs des droits de l’homme, dont la directrice d’Amnesty International pour la Turquie, Idil Eser, alors qu’il participait comme instructeur à un séminaire.
– ‘Absurdes’ –
Un tribunal turc l’a accusé d’avoir « commis un crime au nom d’une organisation terroriste ». Une expression qui désigne le plus souvent pour les autorités turques les partisans du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d’avoir fomenté le putsch manqué du 15 juillet, ou les séparatistes kurdes du PKK. Berlin a qualifié ces accusations « d’absurdes ».
Le porte-parole de la chancelière Angela Merkel, Steffen Seibert, a lui prévenu la Turquie qu’elle ne pouvait espérer aucune avancée dans ses négociations d’adhésion à l’UE, actuellement au point mort. Dans le contexte actuel, des progrès « ne sont pas à l’ordre du jour », a-t-il dit.
Signe de la volonté de Berlin de dramatiser le bras de fer, le chef de la diplomatie allemande, Sigmar Gabriel, a décidé d’interrompre ses vacances pour tenir jeudi une réunion « d’urgence » sur les « actions à entreprendre » face à la détérioration des libertés publiques en Turquie.
Au total, neuf Allemands, dont quatre turco-allemands, sont détenus en Turquie depuis le putsch raté contre le président turc Recep Tayyip Erdogan selon les autorités allemandes.
L’Allemagne et la Turquie, pays historiquement proches en raison de la présence en Allemagne de la plus grande diaspora turque au monde – 3 millions de personnes -, sont peu ou prou depuis plus d’un an dans un état de contentieux diplomatique permanent.
Une situation symptomatique, plus largement, de l’état des relations entre Ankara et l’Union européenne.
– Visites interdites –
Ce fut d’abord l’an dernier une émission satirique anti-Erdogan à la télévision allemande qui provoqua l’ire du président turc. Puis vint le vote d’une motion par les députés condamnant le « génocide » arménien et enfin les critiques allemandes contres les purges ayant suivi en Turquie la tentative de coup d’Etat.
Ces dernières ont poussé Berlin à interdire à plusieurs responsables turcs de faire campagne en Allemagne contre la récente réforme constitutionnelle renforçant les pouvoirs du chef de l’Etat. En retour, Recep Tayyip Erdogan a accusé l’Allemagne et l’Europe toute entière de pratiques dignes du « nazisme ».
Pour marquer son mécontentement, Ankara a d’abord interdit aux députés allemands de venir visiter la base militaire turque d’Incirlik, où des soldats allemands participent à des missions de surveillance et ravitaillement de la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique.
L’Allemagne, pour qui ces visites sont obligatoires car son armée est étroitement contrôlée par le Parlement, a décidé de transférer ses militaires en Jordanie.
Et la Turquie vient de rajouter de l’huile sur le feu en interdisant une visite similaire cette fois-ci sur une base de l’Otan sur son territoire, où sont stationnés d’autres soldats allemands, faisant prendre à cette crise une dimension encore plus internationale.
Dernier levier pour Ankara: le remise en cause du pacte passé avec l’Europe pour bloquer chez elle – en échange d’argent – les migrants venant du Moyen-Orient et souhaitant se rendre en Europe.
La Turquie a menacé à plusieurs reprises de rouvrir les vannes, mais sans jusqu’ici passer à l’action.