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Omniprésent dans les médias français, Eric Zemmour banalise le racisme anti-musulmans

Le journaliste et essayiste français Eric Zemmour, connu par ses idées favorables aux thèses de la droite populiste, suscite la polémique actuellement après des propos sur le militant anticolonialiste communiste Maurice Audin, tué en prison par les paras français en Algérie.

« J’étais scandalisé par le comportement d’Emmanuel Macron. Je pense que ce monsieur Audin est mort dans des conditions tragiques évidemment mais c’était une guerre d’Algérie furieuse. Si on peut reconnaître qu’il a été torturé, moi je pense qu’il méritait douze balles dans la peau. C’était un traitre, un type qui était contre la France, un type qui aidait le FLN à tuer des français et à massacrer accessoirement des harkis et des musulmans. Je veux dire que c’était la guerre contre la France », a-t-il déclaré à la web émission du journal français L’ Opinion.

Pour Eric Zemmour, Audin a pris les armes contre la France. « Donc, c’était tout à fait normal qu’il fut exécuté. La torture a permis d’arrêter les attentats », a-t-il affirmé pour justifier un assassinat, reconnu comme « crime d’État » par le président français.

Sur RTL, Eric Zemmour a enfoncé le clou en évoquant « la repentance » (expression souvent utilisée lorsque le passé colonial de la France en Algérie est évoqué). Selon lui, le président français n’a pas reconnu un fait historique en parlant de la responsabilité de l’État dans la disparition puis la mort de Maurice Audin. « Il reconnait la responsabilité de la France, ce n’est pas la même chose. Il n’y avait aucune responsabilité de la France. On n’a rien fait de mal. C’était légal. Il fallait arrêter le terrorisme inouï », a-t-il dit.

« La culpabilité française »

Malgré ses nombreux dérapages réguliers, Eric Zemmour est omniprésent dans les médias français. Il s’exprime sur tout, refait l’Histoire à sa manière, sans être historien, en affirmant par exemple que l’armée française a « gagné la guerre » en Algérie.

Il s’est attaqué, dans la foulée, aux « porteurs de valises » (ceux qui faisaient partie du réseau Jeanson et qui collectaient des fonds pour aider le FLN durant la guerre de libération nationale). « Ils étaient alliés avec des gens qui tuaient les français et qui portaient les armes contre la France. Cela s’appelle une trahison », a-t-il tranché.

Autrement dit, il évacue complètement le contexte de l’occupation de l’Algérie et la lutte des algériens pour l’indépendance de leur pays. La question est accessoire, à ses yeux. « Ça va aggraver la culpabilité française », a-t-il justifié. A entendre Éric Zemmour, la colonisation n’a jamais existé ! « Si la colonisation française en Algérie est un crime contre l’humanité alors c’est toute l’histoire de l’humanité qui est un crime. Tous les peuples de la Terre ont été alternativement colonisés et colonisateurs », a-t-il soutenu lorsqu’il était chroniqueur matinal à RTL. Bien sûr, il s’agit d’une immense contre vérité historique : aucun africain n’a colonisé l’Europe et les asiatiques n’ont jamais occupé l’Amérique.

Sans craindre de verser dans le discours farfelu, Éric Zemmour a ajouté que l’Algérie a été colonisée par les Romains, les Espagnols, les Arabes et les Turcs. Et la France ? « La France a envoyé ses armées pour mettre un terme à des siècles de pillage, de razzia par des barbaresques qui fournissaient les harems d’Arabie en esclaves européens. La France n’a pas seulement colonisé l’Algérie, elle l’a fondé », a-t-il clamé.

Selon cette logique, celle des Ultras de l’Algérie française, l’armée française était en promenade de santé en Algérie pendant 132 ans d’occupation. Les morts, les exécutions extrajudiciaires, la torture, la dépossession des terres, les enfumades, les disparitions, les camps de regroupement et les bombardements des villages, faisaient partie « d’une mission civilisatrice », d’après cette thèse.

« Votre prénom est une insulte à la France » !

Sur les plateaux de télévision, Éric Zemmour ne se contente par de refaire l’histoire. Il y a quelques jours, il s’est attaqué, sans aucune élégance, à la chroniqueuse Hapsatou Sy de l’émission « Terriens du Dimanche » de Thierry Ardisson sur C8.

« Chez moi, on doit donner des prénoms dans ce qu’on appelle le calendrier, c’est-à-dire, les saints chrétiens », a-t-il honteusement conseillé. « Je m’appelle Hapsatou, moi », réplique la chroniqueuse. « Votre mère a eu tort », a lâché Zemmour. « Ah, bon, vous voudriez que je m’appelle comment ? », a demandé choquée Hapsatou Sy. « Corinne, ça vous va très bien », a répondu froidement Zemmour.

La production de l’émission a coupé des passages. Curieusement, Thierry Ardison a défendu Zemmour en banalisant presque son propos malgré sa teneur raciste. « On connait Zemmour. Il a dit à Nicolas Sarkozy que sa fille ne devrait pas s’appeler Julia », a-t-il déclaré à C News. Il a confirmé la censure de la séquence controversée « à la demande du service juridique» de C8.

Cet échange suscite actuellement une vive polémique en France (et en Afrique francophone). Hapsatou Sy a annoncé, sur son compte Twitter, envisager de déposer plainte contre l’essayiste. « Sur le plateau, j’ai subi des insultes graves ainsi que mes parents », a-t-elle écrit. Elle a publié sur Youtube les extraits « coupés » de l’émission où elle dit : « jamais je n’ai entendu quelque chose d’aussi blessant. Parce que, pour moi qui aime la France, que cela vous plaise ou vous déplaise, je trouve que ce vous venez de dire n’est pas une insulte à mon égard, mais une insulte à la France ».

Le public présent dans les studios a fortement applaudi cette réplique. Non perturbé, Eric Zemmour a repris sans être rappelé à l’ordre par Thierry Ardison : « votre prénom est une insulte à la France ». Hapsatou Sy a confié que l’essayiste a quitté le plateau en « ricanant, en me regardant impunément comme si rien ne s’était passé alors qu’il venait de m’insulter».

Destin français ?

Plusieurs médias, comme l’Express et Le Point, ont pris la défense d’Éric Zemmour en accusant Hapsatou Sy d’avoir « provoqué le scandale ». Ce qu’a dit Zemmour n’a pas choqué cette presse souvent favorable aux thèses de l’essayiste et à ses propos, porteurs de haine, ou sur ses livres, bourrés d’approximations et de thèses xénophobes.

LCI a qualifié le dernier essai d’Éric Zemmour « Destin français » de « livre choc » alors que Yves Calvi, animateur de la tranche matinale de RTL qui invite souvent Zemmour sur son plateau, parle de « livre événement ».

Un livre de 600 pages avec une quarantaine de portraits de personnalités française qui s’inscrit dans la continuité de ses précédents essais « Mélancolie française » (2010) et « Le suicide français » (2014) où il culpabilise la société et l’État français d’avoir permis la remise en cause de ses valeurs et d’avoir été permissive avec la migration.

« Le tout renvoie à notre situation présente. Se dessine un Zemmour plus monarchiste que républicain, ardent défenseur de la religion catholique et nostalgique d’une certaine France », écrit Le Point. Pour lui, la France doit redevenir grande. Il reprend, dans la foulée, le slogan électoral de Donald Trump, « Make America great again » (rendre l’Amérique à nouveau grande).

« C’était mieux avant » !

« Le général De Gaulle disait la France a été quelque chose d’énorme, il faudrait le redevenir. On oublie cela, on se prend pour un petit pays européen. Au XVIIIème siècle, on nous appelait la Chine de l’Europe », a expliqué à RTL, dégageant une certaine nostalgie du « C’était mieux avant » que défend habituellement la philosophe réactionnaire.

Bien entendu, Éric Zemmour « reconstruit » l’Histoire de France à sa façon avec des « idées nauséabondes », comme le souligne Maurice Ulrich, éditorialiste à l’Humanité. Zemmour s’est par exemple moqué de l’Équipe de France (qui a décroché la coupe du monde en Russie). « Imaginez l’équipe du Nigeria avec huit joueurs blancs sur onze », a-t-il ironisé sur LCI. Éric Zemmour tire sur les symboles de la France et prétend la défendre. Éric Zemmour n’aime pas les noirs, les arabes, les musulmans, les migrants, les communistes, les intellectuels de gauche et tous ceux qui ne partagent pas ses opinions.

L’essayiste rejette l’autre, revendique « une certaine pureté » de l’origine européenne, fatalement blanche et chrétienne. Il défend avec acharnement la montée du populisme d’extrême droite en Europe. « C’est le cri de survie des peuples européens qui ne veulent pas mourir et qui se révoltent », a-t-il justifié à L’Opinion.

Menace sur « la personnalité culturelle »

Malgré cela, il habite les plateaux de télé et de radio où il déverse son rejet de l’autre en toute impunité. Maurice Ulrich a accusé certains médias français de complaisance avec Zemmour et de servir « une nouvelle droite » qui, depuis les années 1980, entreprend de déstructurer « les valeurs de la République et de la démocratie ».

Laurent Joffrin, directeur de Libération, a accusé Éric Zemmour de vouloir faire passer « les droits de l’identité » (nationale ou ethnique) avant les droits humains. Droits perçus désormais comme « une menace pour la personnalité culturelle et ethnique des peuples ». D’où l’instance de Zemmour à parler de « peuples européens » et à évoquer « les prénoms chrétiens ». « Les droits humains postulent qu’on a le droit d’appeler son enfant Mohammed ou Mamadou ; les droits de l’identité s’y opposent. Il faut donc faire reculer l’universel pour y substituer le particulier. Viktor Orbán ne dit pas autre chose quand il récuse le devoir d’accueillir les réfugiés, principe universel inscrit dans des conventions internationales, en expliquant qu’il doit défendre l’identité chrétienne de la société hongroise », a dénoncé Laurent Joffrin.

Autrement dit, Éric Zemmour et les intellectuels qui lui ressemblent craignent que « les peuples européens » (ou occidentaux) soient « submergés » par les peuples d’origine étrangère. C’est la matrice même du racisme et de la xénophobie qui, par le passé, avait plongé l’Europe dans les ténèbres.

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