Comment avez-vous réagi à l’acceptation de la liberté provisoire pour Abdellah Benaoum ?
Abdelghani Badi, avocat de Benaoum. Les lois algériennes permettent d’accorder la liberté provisoire à tout détenu. Mais, il est exceptionnel que la justice réponde favorablement à une demande de liberté provisoire. Cette fois-ci, la justice dans son acceptation à la liberté provisoire en faveur de Benaoum, a du s’appuyer sur deux paramètres : d’un coté, la prise en considération des 84 jours de grève de la faim observés par Benaoum et de l’autre coté, la prise en considération du cas Fekhar. À mon sens, la justice s’est sentie contrainte de donner la liberté provisoire à Benahoum compte tenu du précédent de Fekhar, mais n’empêche nous nous réjouissons de sa libération. J’espère que dans l’avenir le pouvoir judiciaire accordera plus de liberté provisoire aux justiciables. Ceci pour une raison simple : du point de vue des lois « la liberté provisoire constitue la règle et la détention préventive est l’exception. »Sauf que chez nous, il y a eu une inversion des choses. Dans le cas Fekhar, ils auraient pu éviter son décès s’ils ne l’avaient pas mis en détention provisoire. Aujourd’hui, on était à deux doigts d’assister au décès de Benaoum. Je m’explique : jeudi dernier je lui ai rendu visite en prison et j’avais constaté qu’il avait perdu pratiquement 50 kilos de son poids depuis sa grève de la faim.
Il a perdu 50 kilos ?
Il a fait une grève de la faim de 84 jours et il a perdu 48 kg, pratiquement 50kg.
Peut-on revenir à la genèse de l’affaire Benaoum. Pourquoi a-t-il été emprisonné ?
Il était de toutes les manifestations à Relizane. De plus, il participait beaucoup aux contestations des familles de disparus. Il parlait de décennie noire, évoquait l’impunité et dénonçait les services de sécurité et les dépassements dont ils étaient à l’origine pendant cette période.
Pour quel motif a-t-il été incarcéré ?
Ils se sont appuyés sur l’article 46 de la charte pour la paix et la réconciliation qui énonce que « sont punis ceux qui dénoncent la décennie noire depuis que c’est devenu la tragédie nationale ». La sanction est définie à travers un emprisonnement entre 3 et 5 ans.
Existe-t-il d’autres cas de personnes inculpées sur la base de l’article 46 de la charte pour la paix et la réconciliation nationale ?
Non. Benaoum est le seul sur le territoire national qui a été poursuivi à travers cet article 46, lui reprochant d’évoquer encore ce qui s’est passé durant la décennie noire. C’est ce qui constitue le motif principal de sa poursuite judiciaire. D’autres chefs d’inculpation étaient tout autant endossés à Benaoum à l’instar d’atteinte au chef de l’État, la diffamation…De plus, l’Algérie, au niveau international quant elle est présente dans les organismes internationaux de défense des droits de l’Homme, elle explique qu’elle n’applique pas l’article 46 de la charte pour la paix et la réconciliation. Mais, la réalité est qu’elle l’a appliquée et c’est justement à travers l’article 46 qu’elle a incarcéré Benaoum. C’est celle-là l’histoire de son incarcération.
Quand est-ce qu’il avait entamé la grève de la faim ?
Une fois en prison, il avait entamé une grève de la faim, mais je l’ai convaincu de l’arrêter. Mais peu de temps après, soit avec le début du mouvement de contestation du 22 février dernier, Benaoum a repris la grève de la faim. Il me disait que « vous, vous contestez le régime lors des manifestations de rue et moi, je mène ma propre contestation en prison ».
Quelle sera la suite de son affaire, maintenant qu’il a obtenu la liberté provisoire ?
Son dossier est au niveau de la Cour suprême. Et c’est à elle de décider des suites à donner à l’affaire.
Que revendiquez-vous dans cette affaire, en tant qu’avocat chargé de sa défense ?
Si vraiment l’Algérie veut passer à une nouvelle ère, toutes ces accusations qui lui sont reprochées doivent être revues. Parce qu’il est temps de réviser la charte pour la paix et la réconciliation nationale.
Pourquoi revendiquez-vous une révision de la charte pour la paix et la réconciliation nationale ?
Parce que ceux qui ont été à l’origine de dépassements de part et d’autre lors de la décennie noire ont bénéficié d’une impunité et n’ont même pas demandé pardon au peuple.
Pensez-vous que cette révision soit possible ?
S’il y a une véritable rupture avec l’ancien régime et qu’il y a suffisamment de volonté politique, il faut aller vers une révision des articles 45 et 46 de cette charte.
Qu’est ce qui pourrait justifier la révision de ces articles ?
Pour ne pas rester dans l’impunité et aussi pour permettre aux gens de s’exprimer sur la décennie noire. L’article 46 interdit toute expression s’agissant de cette période, alors que Constitutionnellement parlant, les gens ont droit de s’exprimer. C’était Bouteflika qui protégeait la charte pour la paix et la réconciliations qu’ils ont voulu considérer comme un texte sacré.