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« On ne peut pas inventer une langue commune à tous les amazighophones »

« On ne peut pas inventer une langue commune à tous les amazighophones »

Capture d'écran/Youtube
Abderrazak Dourari, chercheur, anthropologue et linguiste

ENTRETIEN. Le professeur Abderrazak Dourari est un chercheur, anthropologue et linguiste. Il a démissionné de l’Académie algérienne de la langue amazighe, deux jours après sa désignation membre de cette institution, début janvier dernier.

La question de la transcription de tamazight fait l’objet d’une polémique. Certains souhaitent qu’elle soit faite en tifinagh, d’autres en latin ou en arabe. Quel graphisme choisir ?

Je vous donne une réponse d’un linguiste et après celle d’un sociolinguiste. Au niveau linguistique, il n’y a absolument aucun problème de transcrire n’importe quelle langue dans n’importe quelle graphie. C’est-à-dire que la graphie est accessoire car c’est un codage ou un transcodage pour rendre le phonétisme de la langue visible. Donc à ce niveau-là, la graphie importe peu.

Au niveau sociolinguistique interviennent les représentations sociales et culturelles. Et à ce moment-là, la graphie n’est plus seulement un transcodage du phonétisme en graphies visibles, mais le côté symbolique de la graphie. D’une manière générale, des gens préféreraient la graphie arabe pour des raisons culturelles quand d’autres diraient que le caractère latin est un caractère qui rattache à la modernité. Ceux qui plaident pour le caractère latin se rappellent le travail qu’a fait Atatürk en 1924 en Turquie qui a fait basculer la graphie ottomane de la graphie arabe vers la graphie latine. C’est comme si on prenait le train de la modernité quand on prendrait la graphie latine. D’autres cherchent une espèce d’authenticité amazighe très ancienne en adoptant la graphie tifinagh.

En Algérie, nous avons plusieurs variétés de tamazight qui sont très autonomes les unes des autres, culturellement et linguistiquement. Mieux que cela, les représentations diffèrent d’une région à une autre. Les Touaregs sont extrêmement attachés à la graphie tifinagh. Ils pensent que l’authenticité de tamazight est liée à tifinagh. Et ils ne peuvent pas concevoir d’écrire leur langue autrement qu’en tifinagh.

Chez les Mozabites, ils ne peuvent pas imaginer écrire leur langue en dehors de la graphie arabe car pour eux, l’arabe est sacré. Chez les Chaouis, il y a une infime partie qui souhaite la transcription en arabe, mais la grande majorité veut que ce soit en latin. En Kabylie, il y a une tradition d’écriture en graphie latine. Pour les élites de cette région, il est clair qu’on ne peut pas imaginer transcrire tamazight dans une autre graphie que la graphie latine.

Donc, vous avez vu qu’il y a dans chaque population amazighe un attachement à des graphies spéciales.

Justement face à cette variété des locuteurs, quelle est la démarche du linguiste ?

Le linguiste observe et respecte le choix des variétés des locuteurs qui les parlent. C’est-à-dire que pour le mozabitophone, il a le droit d’écrire sa langue maternelle dans la graphie qu’il souhaite et l’Etat doit lui donner les moyens pour cela. Pour les kabylophones, c’est le latin et l’Etat doit les aider à élaborer cette graphie en latin, etc. C’est cela la politique linguistique, elle doit absolument être plurielle et pluraliste. On ne peut pas penser qu’il y a une seule langue amazighe. Non, il y en a plusieurs et elles ont pour nom générique « tamazight ».

Mais une langue a tendance à unifier un peuple. Dans le cas de tamazight, si on venait à la transcrire avec différents caractères, est-ce que ce n’est pas de nature à désunir le peuple ?

Celle-là est une idéologie du 19e siècle. Avec la naissance de la grande Allemagne, il fallait unifier l’Allemand en changeant la grammaire, la syntaxe. C’est l’idéologie de la naissance des Etats-Nations. Nous ne sommes plus à cette époque. Aujourd’hui, l’Algérien parle déjà l’algérien qui unifie la totalité de la population. La langue de l’administration est celle de l’arabe scolaire et enfin le français est la langue de la science, la recherche et la diplomatie. On est donc dans une vision plurielle.

Une fois élaborée, tamazight sera dédié à quoi ?

Elle sera la langue maternelle et non pas une langue unifiée. On ne peut pas inventer une langue commune à tous les amazighophones. L’Etat doit maintenant répondre à une demande sociale et cette demande est diverse. Donc l’Etat doit répondre à chacune des demandes qui s’expriment.

Comment devrait intervenir l’enseignement de tamazight ?

On enseignera le kabyle en Kabylie, le chaoui, dans la zone chaouiophone, le targui dans la zone targuiophone, etc. C’est-à-dire que les processus d’élaboration et d’unification doivent pouvoir être justifiés sociologiquement, politiquement et économiquement. Quand vous avez une demande de reconnaissance d’une population de sa langue et de sa culture, l’Etat doit se réorganiser afin de la prendre en charge. L’Etat doit se réorganiser pour être multiculturel et multilingue.

Est-ce que l’Académie algérienne de la langue amazighe est à même de satisfaire l’ambition d’élaborer les langues maternelles des Amazighs selon les exigences de notre époque ?

La loi organique qui définit son activité va dans ce sens, même si par la suite elle a été triturée et a subi les contraintes du politique et de la vision du gouvernement actuel. L’article 4 de la Constitution de 2016 le dit clairement : tamazight est langue nationale et officielle dans ses différentes variétés parlées sur tout le territoire national. Donc chacune des variétés est officielle. Ce n’est pas une langue nationale et officielle qui s’appelle le tamazight dans l’abstrait et au singulier. Le tamazight est un terme générique qui signifie qu’il y a plusieurs variétés.

Avez-vous regretté d’avoir claqué la porte de l’Académie ?

J’avais dit que ça ne m’intéressais plus et que je ne pouvais pas figurer dans la composante de cette Académie dès lors que le texte de loi inhérent à sa création avait été trituré par le gouvernement. Ça ne me convenait plus. Mon nom a été mis dans la composante de l’Académie malgré moi et je ne l’ai su que par voie de presse et donc quand j’avais décidé de partir j’ai choisi aussi de le faire par voie de presse. Mais pourquoi voulez-vous que je regrette mon départ de l’Académie ? Le gouvernement a fait ses choix politiques et moi je ne m’inscris pas dedans pour ce cas précis. Mais je ne suis pas le seul, il y en a d’autres.

D’autres membres de l’Académie avaient décidé de partir ?

D’autres membres de l’Académie qui faisaient partie de la commission ad hoc avaient en effet dit, en juin dernier, que ça ne les intéressaient pas de figurer dans la composante de l’Académie. Mais pour ma part, ce n’était pas juste de m’impliquer dans une Académie qui était dirigée par quelqu’un qui était étudiant quand moi j’étais professeur. Ça pose un problème pour le fonctionnement même de l’Académie. C’est l’argument que j’avais soulevé. En plus du fait que le statut de l’Académie ne me convient pas.

Qu’est ce qui pose problème dans le statut de l’Académie ?

Le statut est inadéquat, ne ressemble pas à celui d’une Académie et il n’est même pas au niveau du statut de l’Académie arabe promulgué en 1986. Le statut de l’Académie de la langue amazighe est trop étroit pour remplir ses missions qui sont d’une extrême complexité. Tamazight a été manipulé par les partis au pouvoir et particulièrement par le FLN depuis l’indépendance. Je le nomme et je le dis, le FLN c’est lui qui a donné la légitimité à tous les gouvernants depuis l’indépendance et il a une façon étriquée de voir le champ culturel et linguistique.

Qu’est-ce que le FLN a manipulé ?

Le FLN a manipulé la question identitaire et linguistique. Depuis l’indépendance, il n’a fait que ça. C’est par opposition au discours officiel tenu notamment par le FLN que s’est constituée toute la mouvance de revendication de tamazight, de la culture et de la démocratie. Même les extrémismes dans le domaine identitaire, ils se sont formés en s’opposant au discours du FLN qui était un discours fantasmatique de l’identité algérienne qu’il avait déréalisé. Le FLN ne s’inscrivait pas dans l’histoire du pays qui est la berbérité.

Maintenant on le sait à travers les dernières découvertes archéologique à Sétif. Les origines de la population nord-africaine vont jusqu’à 2,4 millions d’années avant JC. Donc nous avons une continuité anthropologique de ce peuple aujourd’hui. Le FLN nous a inventés une origine yéménite ou arabe. Donc toute l’idéologie arabo-islamique avec laquelle a fonctionné l’Etat algérien depuis l’indépendance et qui était l’axe central de la politique du FLN est une politique totalement déréalisée. Elle n’a rien à voir avec le pays.

Est-ce que les membres de l’académie amazighe ont les compétences nécessaires pour siéger dans cette institution ?

Non. Justement c’est cela le problème du statut de l’Académie. Quand vous mettez dans le statut de l’Académie un article dans lequel vous dites que tout universitaire peut être membre de cette Académie, cela signifie que toute personne titulaire d’une licence peut y être. Et il y a des gens qui n’ont qu’un magistère. Avec un magistère, ce n’est vraiment pas possible de faire de la recherche à un niveau académique. Vu le niveau des universités algériennes qui est vraiment à terre, même certains professeurs n’ont pas le niveau pour siéger dans cette académie. Mais de là à aller accepter des gens avec une simple licence ou avec un magistère dans l’académie, ça, c’est une folie furieuse. Mieux que cela quand on voit les gens retenus comme membres dans cette académie, c’est déjà une manière de l’évaluer. Aussi, quand on voit les gens qui n’ont pas été retenus, c’est encore plus grave, ce sont des professeurs qui ont formé une bonne partie des membres de l’actuelle académie. Leurs élèves y siègent et eux n’y siègent pas. Ce n’est pas normal.

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