Quelque chose ne tourne pas rond dans le secteur des télécommunications en Algérie. Quelques jours après les amendes record du régulateur à l’encontre des trois opérateurs de téléphonie mobile pour manquement aux obligations du cahier des charges, autrement dit pour qualité de service défaillante, un de ces opérateurs se targue d’avoir réalisé des bénéfices record. Où est l’erreur ?
Ooredoo Algérie a rendu public ce lundi 4 novembre des chiffres pompeux relatifs à ses résultats pendant les neuf premiers mois de 2024.
Les revenus de l’opérateur ont progressé de 15 % au troisième trimestre de l’exercice en cours, atteignant 77,4 milliards de dinars, incluant un ajustement positif de 529 millions de dinars, contre 67,5 milliards Da par rapport à la même période de 2023, indique le communiqué de l’opérateur qatari qui revendique des " indicateurs positifs comparativement à la même période de l’année 2023".
Le parc client de l’opérateur a progressé de 10 %, passant dans la même période de 13,2 à 14,5 millions d’abonnés et son EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) a bondi de 22 %, de 27,3 milliards de dinars pendant les neuf premiers mois de 2023 à 33,4 milliards Da (250 millions de dollars) lors des trois premiers trimestres de 2024.
En devises, cela donne des revenus de 580 millions de dollars et des profits bruts de 250 millions de dollars en seulement neuf mois. De tels bénéfices sont supposés impliquer, dans un environnement fortement concurrentiel, une qualité de service irréprochable.
Ooredoo Algérie annonce un gros bénéfice dix jours après avoir été épinglé par l’ARPCE
Roni Thome, directeur général de Ooredoo Algérie, cité dans le communiqué, souligne que "les neuf premiers mois de l’année 2024 ont été exceptionnels« , pour l’opérateur qui, annonce-t-il, »se réjouit d’entamer un nouveau challenge dans le cadre du Service Universel par le déploiement progressif de son réseau et l’offre d’une connectivité fiable et rapide sur 1.211 nouvelles localités, sur 40 wilayas".
Cela ressemble à un aveu limpide que 20 ans après son entrée sur le marché algérien en obtenant en 2004 la troisième licence de téléphonie mobile après l’opérateur historique Mobilis et Djezzy, Ooredoo ne couvre qu’une partie des villes et villages algériens.
Pendant ces deux dernières décennies pourtant, les annonces de bénéfices conséquents du Qatari ont été pourtant récurrentes.
Il y a bien déphasage entre ces gros bénéfices annoncés régulièrement et la qualité de service offerte aux clients. Et ce n’est point un jugement subjectif. Sans même les plaintes et réclamations des clients exprimées régulièrement sur les réseaux sociaux, il y a cette sentence de l’ARPCE (Autorité de régulation de la poste et des communications électroniques) qui reste irrécusable.
Le 23 octobre dernier, le gendarme des télécommunications en Algérie a, à l’issue d’une "campagne de contrôle et d’évaluation de la couverture et de la qualité de service (QoS) des réseaux GSM, 3G et 4G effectuée sur l’ensemble du territoire national", décrété des sanctions pécuniaires fermes et sans appel à l’encontre des trois opérateurs présents sur le marché : Mobilis, Djezzy et Ooredoo Algérie.
L’ARPCE a dit avoir constaté "des manquements à certaines exigences de couverture et de qualité de services, contenues dans les cahiers des charges respectifs", des trois opérateurs.
L’autorité est allée plus loin en indiquant que ses mises en demeure pour lever les défaillances constatées sont restées lettre morte, d’où sa décision d’infliger de fortes sanctions pécuniaires.
L’opérateur qui vient d’annoncer avoir empoché 250 millions de dollars de bénéfice en neuf mois n’a pas été épargné. Ooredoo Algérie a écopé d’une amende de 249 millions de dinars, tandis que l’ARPCE a infligé des sanctions de 721 millions de dinars à Mobilis et 82 millions de dinars à Djezzy. Ces deux derniers sont détenus par l’État.
Une juste façon de signifier que cette manière de se sucrer au grand jour sur le dos des clients n’a que trop duré. Ce qui est valable pour Ooredoo l’est aussi pour Djezzy qui publie régulièrement des résultats financiers en hausse, alors que la qualité de son réseau ne cesse de se détériorer. Pour Mobilis qui a écopé de la plus lourde amende du gendarme des télécoms, il ne rend pas public ses résultats financiers depuis des années.