Après avoir déposé plainte contre l’Algérie à l’Unesco sur l’origine du caftan, le Maroc a lancé une nouvelle offensive pour s’approprier cet habit traditionnel féminin commun au Maghreb.
Une autre dispute en perspective entre l’Algérie et le Maroc autour d’un élément du patrimoine. Après le Zellige, le couscous, la poterie ou encore la musique Rai, les Marocains reviennent à la charge pour le caftan, l’habit d’apparat traditionnel féminin, qu’ils tentent de s’approprier et de contester à l’Algérie.
Les échanges risquent d’être vifs comme lors des nombreuses polémiques de ces dernières années.
Du zellige au caftan
La polémique la plus vive a été sans doute celle du zellige, en octobre 2022. Les Marocains ont protesté contre l’utilisation par Adidas, équipementier de l’équipe d’Algérie de football, des motifs de la faïence traditionnelle d’un palais de Tlemcen, pour la confection du maillot de parade des Verts. Le gouvernement marocain s’était impliqué à travers son ministère de la Culture et même le roi Mohammed VI a évoqué indirectement le bras de fer.
En avril dernier, l’Algérie a déposé officiellement un dossier auprès de l’Unesco pour l’inscription du zellige comme élément du patrimoine immatériel algérien.
Quelques jours après, le ministre de la Culture marocain, Mehdi Bensaïd, s’est envolé à Genève pour rencontrer le directeur général de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), le Singapourien Daren Tang.
Dans une allusion claire à l’Algérie, le ministre marocain avait estimé que l’OMPI constituait « une opportunité pour le Maroc de protéger juridiquement les éléments de son patrimoine immatériel des attaques tant privées que celles provenant d’autres États ».
Depuis quelques années, ce sont pourtant les Marocains qui tentent de dénier à l’Algérie la possession du moindre élément de patrimoine. Sur fond de crise politique entre les deux pays, l’offensive marocaine ne s’est pas limitée au patrimoine commun comme le couscous et le Zellige.
Elle n’a pas épargné les éléments dont l’appartenance à l’Algérie est évidente, dont la musique Rai et les bijoux en argent de Beni Yenni, en Kabylie.
Les bijoux sont achetés en grande quantité auprès des bijoutiers de Béni Yenni puis revendus dans les échoppes de Fès ou Marrakech aux touristes européens comme étant fabriqués au Maroc suivant un savoir-faire ancestral.
Pour le raï, l’Algérie a clos le débat en le faisant inscrire en avril 2023 à l’Unesco.
Les internautes marocains ont parfois causé un énorme tort à tout le Maghreb par leurs agissements. En février 2024, ils ont assailli les Galeries Lafayette à Paris d’insultes et de menaces après la présentation au stand « Village oriental » consacré aux spécialités maghrébines, du Sellou, un plat commun à tout le Maghreb, par la cheffe Algérienne Sherazade Laoudedj. La réaction des Galeries parisiennes a été de fermer carrément le « Village oriental ».
Les agissements marocains relèvent d’une stratégie d’État qui a impliqué le roi Mohammed VI en personne.
En novembre 2022, juste après l’éclatement de l’affaire du zellige, Mohammed VI avait ciblé directement l’Algérie dans un message aux participants à une session de l’Unesco qui se tenait au Maroc sous la présidence de la directrice générale de l’organisation onusienne, Audrey Azoulay, fille du conseiller de Mohammed VI, André Azoulay,
Le roi avait appelé à « contrecarrer » ce qui était à ses yeux les « tentatives de détournement et d’accaparement » du patrimoine marocain.
Les Marocains reviennent à la charge pour le caftan
Une nouvelle polémique risque d’éclater, toujours à l’initiative des Marocains.
De nombreux titres de la presse du royaume ont lancé une campagne qui semble coordonnée pour contester de nouveau à l’Algérie la propriété du caftan. « Le Maroc protège son caftan contre l’Algérie », titre le site Bladi.
La nouvelle offensive marocaine est venue des autorités. Vendredi 11 octobre, un atelier a été organisé à Fès par le ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire pour l’ « examen et l’élaboration du cahier des charges et du règlement d’usage pour la création d’un label et d’une marque collective de certification du caftan marocain ».
Le Maroc cherche ainsi le moyen de contrecarrer l’Algérie qui a déposé en 2023 un dossier pour l’inscription à l’Unesco de deux variétés du caftan algérien, la « goundoura » et la « m’lehfa ».
En mai dernier, des médias marocains ont fait état d’un dépôt de plainte du Maroc à l’Unesco contre l’Algérie, accusée de voler « son » patrimoine, en l’occurrence le caftan.
Pendant le même mois, à la Foire de Paris 2024, des jeunes Marocains ont tenté de faire retirer des caftans exposés par la jeune couturière algérienne Lina Boussahi à Porte de Versailles, dans la capitale française.
« Dans le cas où il y a une procédure à l’Unesco, l’Algérie disposera des dossiers et des arguments solides pour répondre », a assuré Saïd Hamoudi, conseiller de la ministre de la Culture, dans une déclaration à TSA en juin dernier.
Quatre mois après, les Marocains ne lâchent pas prise et soutiennent contre tout bon sens que le caftan leur appartient alors qu’il est attesté qu’il est présent en Algérie depuis la période ottomane.
Lors de l’atelier de vendredi dernier à Fès, Moha Errich, directeur de la préservation du patrimoine, au ministère du Tourisme, a fait savoir que « face à une concurrence déloyale croissante, le ministère a lancé un projet de labellisation du caftan marocain ».
« Le Maroc a déposé auprès de l’Unesco une demande d’inscription du Caftan marocain au Patrimoine immatériel de l’humanité au titre de l’année 2025 », rapporte de son côté Le Matin.
Le journal ne cache pas la partie visée par toute cette agitation. Citant l’anthropologue marocain Mustapha Jlok, le média écrit qu’ « un grand nombre de Caftans marocains est exporté vers l’Algérie. Cette dernière a essayé d’accaparer le fameux Caftan Ntaâ de Fès et de l’inscrire au patrimoine immatériel algérien auprès de l’Unesco ».
« Il faut trouver une solution à l’exportation informelle du Caftan (marocain) et créer un label », suggère l’anthropologue.
L’accusation est évidemment fausse, l’Algérie a présenté un dossier pour les modèles qui lui appartiennent, la gandoura et la m’lehfa. L’agitation risque d’être vaine, comme les précédentes. L’Algérie a jusque-là reporté toutes les batailles autour de son patrimoine.
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