L’Algérie veut développer le paiement électronique pour absorber la masse monétaire en circulation en dehors des banques et lutter contre l’informel qui gangrène son économie. C’est ce qu’a dit jeudi 23 décembre le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane.
Pour le Premier ministre, l’avenir du commerce électronique en Algérie dépend « de la réussite de la généralisation de l’utilisation des moyens de paiement électronique dans les différentes transactions ».
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Comment ou pourquoi ce moyen de paiement moderne, à l’aune des développements technologiques qui bouleversent le commerce mondial, peine-t-il à amorcer son décollage en Algérie ?
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L’ « absence de confiance » est l’argument avancé par l’économiste Smail Lalmas pour expliquer le fait que le commerce informel persiste et que des pans entiers de l’économie tournent autour de ce créneau.
« Rien n’a été fait pour corriger cette situation, regrette l’expert financier. Cela a encouragé les commerçants et les opérateurs à privilégier le choix de l’informel ».
Selon M. Lalmas, ce constat a été fait « depuis longtemps », et les choses n’ont pas changé « malgré les tentatives prises par les précédents gouvernements, mais qui se sont juste limitées à des effets d’annonces ».
« Tout est encore soumis à autorisation »
« On ne peut pas continuer à faire la même chose et s’attendre à des résultats différents. Rien n’a été fait pour construire les passerelles de la confiance à même de rassurer les commerçants. Au niveau de la réglementation, rien n’a été fait pour justement susciter l’intérêt des opérateurs », développe Smail Lalmas.
Il met en avant l’impossibilité de lancer le paiement électronique « dans une sphère économique dominée par l’informel ». « Cela veut dire utiliser un outil de traçabilité dans une économie qui justement fonctionne par l’absence de traçabilité », remarque M. Lalmas.
L’économiste rappelle l’échec de la démarche entreprise auprès des commerçants pour les exhorter à se doter de Terminaux de paiement électronique (TPE).
« Le commerçant n’a pas intérêt à utiliser ce moyen de paiement dès lors qu’il s’en sort beaucoup mieux sans, en l’absence de traçabilité. Cela aurait dû être accompagné par d’autres mesures », pointe Smail Lalmas.
Aujourd’hui, l’économie informelle est difficilement quantifiable en termes de masses monétaires en circulation, note l’économiste, même si des chiffres sont avancés. En mars 2021, la Banque d’Algérie a avancé le montant de 6140,7 milliards de dinars (près de 60 milliards de dollars) à la fin de l’année 2020.
Fin septembre, le président Abdelmadjid Tebboune a affirmé que l’économie informelle représentait la somme colossale de « 10.000 milliards de dinars », soit un peu plus de 70 milliards de dollars.
La lutte contre l’informel implique aussi, selon M. Lalmas, un changement du modèle économique. « On oublie qu’actuellement on pratique le modèle classique, rentier. Il n’y a que dans les discours qu’on entend parler de diversification. Tout est encore soumis à autorisation et à la bureaucratie, etc., alors que l’économie diversifiée ne croit pas en tout cela », relève Smail Lalmas.
Le président de l’Association des consommateurs Apoce, Mustapha Zebdi, fait quant à lui remarquer qu’il y a une amélioration en matière de transactions électroniques.
« Le nombre d’opérations par paiement électronique a doublé en une année, de 3 à 6 millions », fait-il valoir.
Cependant, M. Zebdi estime qu’ « on est encore au-dessous de ce qui doit être fait pour être à la hauteur des pays développés ». M. Zebdi révèle que les transactions électroniques ne dépassent pas les 2 % en Algérie.
« Il est vrai qu’il y a une évolution d’une année à une autre mais on est encore très loin du compte », pointe le président de l’Apoce qui fait observer que cette réticence et le non décollage du paiement électronique ont leurs raisons.
« Malgré le fait qu’il y a eu une loi obligeant les commerçants à mettre à la disposition du client les outils nécessaires de paiement électronique, il n’y a pas eu d’effet. L’application de la loi a été reportée“, rappelle-t-il.
Le président de l’Apoce explique pourquoi les commerçants boudent le paiement électronique. “Il y a la crainte des opérateurs économiques par rapport aux impôts. S’il y a paiement électronique, il y a forcément le chiffre d’affaires déclaré ce qui ne les arrange pas“, expose Zebdi qui propose entre autres de soumettre ce mode de paiement à certaines catégories libérales (avocats, notaires, médecins libéraux…).