Économie

Part du blé français en Algérie : les raisons d’une chute vertigineuse

En Algérie, le blé d’origine France n’a plus la cote, les importations reculent inexorablement, en raison notamment des prix trop élevés par rapport aux blés russe et ceux en provenance de la mer Noire d’une manière générale, mais il y a d’autres raisons.

La position du blé français sur le marché algérien a connu une chute vertigineuse ces trois dernières années, selon le DG de Dijon Céréales, Christophe Richardot.

Chute vertigineuse de la part du blé français sur le marché algérien 

« Il y a trois ans, 80 % du blé importé par l’Algérie était français. Aujourd’hui, nous ne représentons plus que 2 %. De premier fournisseur, nous sommes devenus variable d’ajustement, ça fait réfléchir ! », s’est exclamé le patron de Dijon Céréales, dont les propos ont été rapportés la semaine dernière par le site Bien Public. 

En 2023, les exportations françaises de céréales vers l’Algérie ont drastiquement baissé à 166 millions d’euros contre 834 millions d’euros en 2022, soit un recul de 80 %, selon les chiffres de la mission économique de l’ambassade de France à Alger, qui a noté début septembre une reprise spectaculaire des importations algériennes de produits agricoles français de 90 %, dont des céréales.

Cette situation ne risque pas de changer cette année. Selon le site Terre-net, les exportations françaises de blé tendre vers les pays tiers, comme l’Algérie, « risquent ainsi de baisser de 26 % » sur la campagne 2024-2025.

En avril dernier, l’organisme public français FranceAgriMer en faisait le constat pour la campagne de commercialisation 2023/24 : « Le blé français manque de compétitivité sur l’Afrique du nord, en particulier sur l’Algérie ».

Ainsi, à la fin mars 2024, était-il indiqué que l’Algérie n’avait importé que 1,2 million de tonnes de blé tendre français depuis le début de la campagne, soit une baisse de 28 % par rapport à la campagne passée.

À la mi-septembre, le conseil spécialisé grandes cultures de FranceAgriMer a dressé un bilan de la récolte de 2024.

Il a conclu que « les volumes disponibles à l’exportation chutent de près de 40 % » mais tentait de rassurer : « Le maintien de la qualité des protéines de blé tendre devrait permettre à la France de répondre aux cahiers des charges de ses clients ».

En cause, une piètre récolte liée à des pluies persistantes tout au long du cycle de culture.

La collecte de blé tendre en France a été de 23,5Mt seulement, soit une baisse de 26 % par rapport à la campagne 2023/2024.

Quant à la collecte des orges, elle est en recul de 2 Mt par rapport à 2023/2024 ce qui devrait réduire les exportations qui devraient passer de 6,8 à 5 Mt. Les premiers pays impactés devraient être les pays tiers (hors UE) avec une baisse de 43 %.

La collecte de blé dur aurait été moins impactée avec une baisse de 7 % à 1,15 Mt mais une offre réduite de 18 % pour les pays tiers. Cependant, contrairement au blé tendre, « la qualité du blé dur est en moyenne assez dégradée cette année », selon AgriMer avec des taux de mouchetures plus élevés et une vitrosité en baisse.

Chute de la production et concurrence des blés de la mer Noire

Sous le titre « L’agriculture française a plongé en 2023 », le quotidien français Les Echos notait en février que suite à la diminution de 15 % des exportations agricoles, le solde de la balance commerciale « a été divisé par quatre ».  

Les exportations de l’ordre de 19 milliards d’euros ont été « entamées par des pertes de marché en Afrique ».

Une des raisons annoncées concerne la « concurrence accrue des céréales de la mer Noire en 2023 ».

L’année passée, la Russie a produit une récolte exceptionnelle de près de 100 millions de tonnes qui a dégagé un volume à l’export estimé à 40 millions de tonnes.

Plusieurs analystes notent que « la Russie a fait montre d’une agressivité commerciale extrême dans le Bassin méditerranéen, la destination privilégiée de l’Hexagone. Elle a des terres de grande qualité, qui requièrent peu d’engrais et des coûts de production nettement plus avantageux que la France ».

Une situation doublement problématique pour les céréaliers français. La faiblesse de leur récolte 2024 ne se traduit pas, actuellement, par une hausse des cours mondiaux du fait des excédents russes. Aussi s’agit-il pour eux d’une double peine : chute des cours mondiaux et forte concurrence des blés de la mer Noire.

Et la reprise des exportations de blé ukrainien n’est pas pour conforter les positions françaises. Si les difficultés de ce pays en 2022 à cause de la guerre avec la Russie ont favorisé les exportateurs français, ce n’est actuellement plus le cas.

Des observateurs notent que « Kiev a réorganisé sa production en ensemençant du blé dans l’ouest de son territoire un peu plus à l’abri de la guerre et réorientant ses flux commerciaux vers des voies terrestres » alors que le transport maritime de grains à travers la mer Noire a repris. 

Céréales : une percée russe en Algérie

En début d’année, lors d’une journée organisée par l’interprofession française sur le thème de « la filière céréalière française face à la menace russe », Roland Guiragossian, le représentant d’Intercéréales au Caire est intervenu sur le cas de l’Algérie. 

Il s’agit d’un « client historique de la France progressivement sorti de notre giron » a-t-il noté expliquant que la percée céréalière russe s’est consolidée à travers des volumes croissants ces dernières années.

« Alors qu’elle n’y exportait pas de blé avant 2021/22, la Russie représentait 40 % des achats algériens sur 2023/24 fin février, avec 1,6 Mt exportés » note cet expert.

Vis-à-vis de la Russie, Roland Guiragossian tente de rester confiant : « Elle a pris une bonne partie de la part de marché française, qui avoisinait les 85-90 % à certaines périodes mais chute depuis quatre ans. La France a exporté 5,6 Mt de blé tendre vers l’Algérie en 2019/20, puis entre 1,8 et 1,9 Mt sur les trois campagnes suivantes ».

La France risque d’avoir du mal à retrouver son influence sur le marché algérien des céréales, selon lui.

En cause, la modification du cahier des charges de l’Office algérien des céréales (OAIC) fin 2020 où le taux de punaises dans le blé a été relevé de 0,5 % pour passer à 1 %, ce qui a ouvert la porte du marché algérien aux blés de la mer Noire.

Cette mesure a été prise dans un contexte de tensions avec la France, mais aussi pour diversifier les fournisseurs de l’Algérie en ces produits stratégiques et au moment où les recettes en devises de l’Algérie ont fortement baissé après la chute des prix du pétrole. 

En 2020, les exportations algériennes d’hydrocarbures ont lourdement chuté à 20 milliards de dollars, en baisse de 40 % par rapport à 2019.

En observateur attentif des marchés, il ajoutait que « dans les conditions actuelles, on ne se bat pas avec les mêmes armes, à moins d’être performants niveaux prix ».

Bien que les prix du blé russe soient inférieurs de 30 à 40 dollars la tonne par rapport au blé français, il peut arriver que la conjoncture réduise ce différentiel.

Blé français : baisse de la récolte et perte de marchés

Pour FranceAgriMer ce sont seuls 10,1 Mt de grains qui devraient être exportés cette campagne, contre environ 16,6 Mt sur la moyenne des trois précédentes.

Cette baisse des disponibilités de blé tendre à l’export n’est pas pour consolider les positions françaises sur le marché mondial.

En effet, une récolte de blé tendre tombée à son plus bas depuis 41 ans devrait entraîner pour les céréaliers français une perte de parts de marché. 

Déjà l’analyste Marc Zribi de FranceAgrimer, rappelle « le précédent de la récolte 2016, qui s’était traduit par une fragilisation de l’offre française » et dans laquelle la Russie s’était engouffrée.

L’origine France est également en baisse vers la Tunisie. Ce pays est en pourparlers avec la Russie dans le but de conclure un accord bilatéral d’achat de céréales comme dans le cas de certains contrats avec l’Égypte.

« Mais quoi qu’il arrive, c’est quand même toujours le marché qui fait la loi », conclut Benoît Piètrement, président du conseil spécialisé grandes cultures de FranceAgriMer, espérant des réajustements conjoncturels permettant de réduire le différentiel de prix avec le blé russe.

L’Algérie vise l’autosuffisance en blé dur

Face à la dégradation de leur part de marché dans le monde, les céréaliers français recherchent des alternatives. En novembre 2022 à Paris, lors d’un forum consacré à l’agriculture et l’alimentation organisé par la publication « La Terre », des participants ont fait remarquer qu’au-delà de la vente de produits agricoles français, il devenait nécessaire d’offrir du conseil pour s’assurer de la fidélité des acheteurs.

 C’est ce qui semble se dessiner avec le Maroc pour lequel 8 accords agricoles avantageux ont été signés en 2024.

Non-endettement extérieur

Questionné sur cette stratégie « vente + conseil », le représentant de l’Agence française de Développement (AFD) a indiqué à TSA que cela était difficile car l’Algérie reste cantonnée dans l’orthodoxie d’une politique de non-endettement. 

Or, les accords de coopération techniques passés par la France à travers l’AFD se font à l’occasion de prêts.

Côté algérien, l’heure est à l’augmentation de la production en misant sur une augmentation des rendements et des superficies.

Cette année, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural table sur l’emblavement de 3,7 millions d’hectares et annonce la disponibilité prochaine de plus de 4 millions de quintaux de semences.

L’objectif de l’Algérie est d’arriver à l’autosuffisance en blé dur dans la mesure où la production assure déjà près de 90 % des besoins locaux et d’autant plus que les faibles disponibilités sur le marché mondial renchérit les prix.

Pour atteindre l’autosuffisance en ce produit de large consommation, l’Algérie s’est fixée comme objectif de produire 1,6 million de tonnes de blé dur. Un engagement pris par le président Abdelmadjid Tebboune lors de la campagne électorale pour les présidentielles du 7 septembre dernier.

Concernant le blé tendre, les besoins restent importants. L’aide que l’État accorde à la filière céréales est considérable. Cela a été le cas en 2023 avec les indemnisations accordées aux agriculteurs affectés par la sécheresse, les subventions sur les carburants, les semences et les engrais. 

C’est également le cas avec la prise en charge par les pouvoirs publics de l’élargissement des infrastructures de collecte et de stockage des céréales ainsi que de l’aide à l’équipement en matière d’irrigation des céréales dans le sud.

Reste le faible niveau technique d’une partie des exploitations céréalières confrontées à un environnement semi-aride particulièrement difficile.  

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