Économie

Pastèque ou cultures stratégiques : l’Algérie a fait son choix

Décidément, la pastèque n’a plus la cote en Algérie. Les services agricoles ont décidé d’interdire la culture de ce fruit dans les fermes d’État où se trouvent les terres les plus fertiles du pays.

En février dernier, à l’occasion d’un conseil des ministres, le président Abdelmadjid Tebboune a instruit le principe d’accorder la priorité à la culture des légumes secs et des oléagineux au niveau de ces structures d’État.

Face aux tensions sur les prix qu’a connus le marché des légumes secs, l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) a prévu un plan de relance de la culture de pois chiche et de lentilles.

Leur culture devrait s’étendre sur 150.000 hectares et permettre de répondre à la demande locale. Trente-quatre fermes pilotes devraient cultiver 35.000 hectares afin d’assurer les besoins locaux en semences.

L’Algérie, premier producteur de pastèque en Afrique

Le procès fait à la culture de la pastèque, dont l’Algérie est le premier producteur en Afrique et le 5ᵉ au monde avec 2,2 millions de tonnes par an, concerne sa forte dépendance à l’irrigation et l’utilisation de l’eau initialement destinée aux cultures dites stratégiques : céréales, légumes secs, oléagineux, fourrages et pomme de terre.

Avec plus de 70% d’utilisation des ressources en eau, en Algérie, le secteur agricole réduit d’autant la part réservée à l’adduction en eau potable.

Dans de nombreuses villes du pays, sur les balcons, les antennes paraboliques ont été remplacées par des réservoirs de 200 litres en plastique destinés à constituer des réserves en cas d’éventuelles coupures d’eau.

Cette annonce contre la culture de la pastèque que rapporte le média Ennahar n’est pas nouvelle. Ce mois-ci, lors du lancement de la campagne de moisson des céréales à Adrar, Larbi Bahloul, le wali, a indiqué que seuls onze hectares étaient consacrés à la culture des pastèques dans sa wilaya.

Les réserves en eau souterraine dont bénéficie Adrar sont essentiellement destinées aux cultures stratégiques.

La wilaya d’Adrar a, en effet, été choisie pour la réalisation d’un projet algéro-qatari qui devrait permettre la création d’une ferme géante (117.000 hectares) pour produire du lait. Une superficie de 36.000 autres hectares devrait être consacrée à la production de blé dur dans le cadre de la coopération algéro-italienne.

Les terres les plus fertiles d’Algérie réservées aux cultures stratégiques

Au début du printemps, c’est Ali Bouguerra, le wali de Tiaret qui déclarait qu’il n’accorderait aucune aide aux promoteurs de projets destinés à cultiver de la pastèque.

La wilaya de Tiaret connaît un manque de pluies qui a considérablement réduit le niveau du barrage de Bekhedda et celui des nappes d’eau souterraines. Malgré les efforts des services de l’hydraulique, dans certaines communes, les habitants n’ont de l’eau au robinet qu’une fois par semaine.

La situation est telle que dans cette wilaya plusieurs zones ont été désignées comme « rouges » et interdites pour tout forage agricole.

Des forages, auparavant généreusement attribués par les services de wilaya, et aujourd’hui gelés jusqu’à nouvel ordre. Les services de l’hydraulique avaient constaté que les irrigants qui avaient reçu une autorisation de forage pour prélever un débit de 3 litres par seconde en prélevaient en fait 10, voire 15.

À Tiaret, la demande en eau est fortement accrue par le développement de la culture de la pomme de terre et des oignons, notamment à Rechaïga, ainsi que celle du maïs ensilage commercialisé sous forme de balles rondes. La mécanisation de ces cultures a certes permis leur extension mais dans plusieurs wilayas, on assiste au développement d’un marché informel de l’eau issue des forages.

L’intention de n’autoriser que les projets destinés aux cultures stratégiques est louable, mais comment contrôler, sur le terrain, l’utilisation qui est faite de l’eau et des subventions ayant permis l’édification des stations de pompage et des réservoirs d’eau de grandes dimensions ?

Avec le Plan Maroc Vert (PMV), le voisin marocain a connu ce type de dérive liée aux subventions pour le matériel d’irrigation s’apparentant à une quasi-gratuité au niveau des exploitations.

Une dérive encouragée par une politique d’exportation à outrance de fruits et légumes vers l’Europe. Résultat, des nappes d’eau souterraines quasiment à sec car non rechargées par la pluie du fait de plusieurs années de sécheresse qui frappe de plein fouet le Maroc.

Le cas le plus emblématique est celui de Zagora, dans le sud marocain. Dans cette région aride, le climat permet de produire dès le printemps des pastèques qui auparavant n’arrivaient sur le marché que durant les mois d’été. En quelques années, les surfaces ont explosé jusqu’à provoquer une baisse dramatique des réserves locales en eau et le mécontentement de la population locale.

Pastèque : une culture de la « rente »

Les économistes classent la pastèque dans la catégorie des « cultures de rente » du fait des forts revenus qu’elle génère. Le niveau technique atteint par les producteurs a de quoi faire pâlir les céréaliers.

Les grainetiers, approvisionnés par les grossistes qui se fournissent auprès des grandes firmes multinationales, proposent à la vente des variétés élites à haut rendement.

Depuis peu sont apparus les plants des pastèques greffés sur des plants de courge. Si le consommateur y perd en goût, l’agriculteur y gagne en tonnage.

La plantation est aujourd’hui mécanisée ; des machines fabriquées par des artisans locaux à partir de modèles européens permettent de dérouler au sol un film plastique de couleur noire empêchant la croissance des mauvaises herbes, un tuyau assurant l’irrigation localisée par goutte à goutte, voire des engrais et du terreau horticole.

Une technologie qui permet de réduire les coûts de main-d’œuvre. L’utilisation de l’irrigation localisée permet des économies d’eau. Mais étrangement, au grand dam des services de l’hydraulique, elles ne profitent pas aux habitants des villes.

En cause : le ré-investissement de l’eau économisée dans l’extension des surfaces plantées de pastèques.

Betteraves à sucre contre pastèques

Déjà en 1980, les agriculteurs de la région de Khemis Miliana en Algérie avaient boudé la culture de la betterave sucrière au profit de la pastèque, laissant aux fermes d’État le soin d’approvisionner la raffinerie locale de sucre.

La faiblesse de la production avait fini par sonner le glas de cette tentative de produire du sucre à partir de betteraves en Algérie. Les installations avaient alors été converties pour permettre le raffinage du sucre roux importé depuis le Brésil.

Dans une période où le manque de pluies devient préoccupant et que la crise ukrainienne a montré l’importance d’améliorer la sécurité alimentaire du pays, les producteurs algériens de pastèques risquent donc d’être, plus que jamais, dans la ligne de mire des pouvoirs publics.

En Algérie, pour les services agricoles, le défi est d’arriver à contrôler l’utilisation de l’eau qui sort des canalisations acquises ces dernières années par les agriculteurs grâce aux subventions publiques, et de cultiver des cultures stratégiques pour assurer la sécurité alimentaire du pays.

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