En plein mois de ramadan, le prix des oignons flambe au Maroc. Payé 2,5 DH le kilo aux agriculteurs, il se retrouve jusqu’à 12 DH (1,2 euros) sur les marchés. Cette inflation est liée à une politique d’exportation à outrance des produits agricoles aux dépens des consommateurs. Elle signe l’échec du modèle agricole marocain.
Maroc : flambée du prix de l’oignon
Le 12 mars dernier le média marocain Hespress s’alarmait que « l’inflation alimentaire ne faiblisse pas », en citant l’oignon comme le « dernier exemple criant ».
Le média ajoutait que « si la sécheresse et les aléas climatiques sont souvent pointés du doigt, ils ne suffisent pas à expliquer une telle flambée ».
La spéculation est montrée du doigt de même que la « multiplication des intermédiaires » selon la même source.
À aucun moment ne sont mentionnées les quantités d’oignons soustraites au marché du fait des exportations.
Maroc, un modèle agricole tourné vers l’export
Cette situation n’est pas nouvelle. Déjà, en octobre 2023, Medias24 avouait que « la flambée des prix de l’oignon sur le marché national a obligé le gouvernement à suspendre les exportations vers les pays d’Afrique subsaharienne ».
Ce média marocain faisait état de prix atteignant les 15 DH le kg d’oignon et avait recueilli le témoignage de Rachid Benali, le président de la puissante Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (COMADER).
« Nous avons aujourd’hui un excédent d’oignons, malheureusement les prix sur le marché national sont encore trop élevés pour les consommateurs, déplorait-il. La crainte est de voir ces prix s’envoler encore plus, en cas de reprise des exportations ».
« Aujourd’hui, l’oignon est acheté chez l’agriculteur à 2,5 DH le kilo pour être vendu sur le marché à 9 DH le kilo. Si les exportations reprennent, la situation risque d’empirer, et le kilo pourrait atteindre jusqu’à 12 DH », poursuivait-il.
À l’époque, les agriculteurs appelaient de leurs vœux la reprise des exportations suspendues depuis le mois de février dont ils bénéficient de meilleurs prix. Les oignons destinés aux pays d’Afrique subsaharienne leur sont achetés entre 4 à 5 DH le kilo.
Signe du niveau actuel des exportations, en février dernier EastFruit, une publication spécialisée, indiquait qu’en 2024, les exportateurs marocains ont expédié plus de 5.500 tonnes d’oignons aux Émirats Arabes Unis (EAU) contre 500 tonnes habituellement.
Des expéditions qui placent les EAU derrière la Mauritanie et la Côte d’Ivoire sur une liste comprenant 31 pays importateurs d’oignon. La presse marocaine se félicite d’exportations qui progressent également au Mali et au Sénégal.
Le Maroc fait face à l’épuisement des nappes phréatiques
Chaque année au Maroc, les consommateurs sont pris en étau entre la volonté d’exportation de grands groupes privés et d’agriculteurs craignant d’être ruinés par les prix non rémunérateurs imposés par des intermédiaires.
Une situation très mal vécue par les producteurs. « Si l’oignon coûte cher [au détail], quel est le tort des producteurs qui vendent le kilo entre 2,5 DH et 3 DH ? Ils ne sont pas responsables de cette situation », confiait en octobre 2023 à Medias24 Abdennabi Zirari, le responsable de l’Association des producteurs d’oignons d’El Hadjeb et de Boufakrane. Des régions à l’origine de plus de 50 % de la production marocaine.
Aux prix imposés par des intermédiaires peu scrupuleux, s’ajoutent le poids des charges de production. En 2023, selon Medias24, à Berrechid et Meknès l’hectare d’oignon revient à 50 000 DH dont 30 % pour les engrais, 25 % pour les phytos, main d’œuvre et matériel, 20 % pour les semences et jusqu’à 25 % pour l’irrigation.
Lors d’un reportage en février 2023 Medias24 faisait remarquer que la majorité des exploitants louent des puits éloignés de deux, trois, voire quatre km de leurs terres.
Une distance qui nécessite l’emploi de tubes PVC. Or, faisait remarquer un agriculteur qui amenait l’eau depuis un puits à 2 km, « ces dernières années, le mètre de PVC est passé de 23 DH à 45 ou 50 DH. Il est indispensable ».
Des puits dont la location annuelle atteignait en 2021 la somme de 80.000 à 90 000 DH selon des témoignages d’agriculteurs. Un prix qui est à la hausse depuis l’apparition de difficultés « d’obtenir des autorisations de forage » selon Medias24. En cause, le tarissement de l’eau de la nappe de Berrechid au Sud de Casablanca.
Pour faire face au manque d’eau, les agriculteurs marocains ont généralisé l’irrigation localisée. En 2019, lors d’un colloque international à Oujda, des universitaires ont fait état qu’en 1996, elle ne concernait que 6 % des surfaces, alors que le pourcentage des exploitations équipées par le mode d’aspersion et gravitaire était respectivement de 57 % et 37 %. À partir de 2003, les exploitations équipées en irrigation localisée ont bondi à 57 % puis à 80 % en 1980.
Cette modification des modes d’irrigation ne semble pas avoir réduit la demande en eau du fait de l’extension des surfaces consacrées au maraîchage. En septembre 2022, l’agence locale de bassin révélait que le niveau de la nappe s’était abaissé à 120 mètres de profondeur contre 30 à 40 mètres au milieu des années 1980. Elle ajoutait que plus de 50 % des réserves en eau sont épuisées.
Bien que les forages soient soumis à l’obtention d’une autorisation, une étude du ministère de l’Équipement et de l’eau indique que « 91 % des puits au Maroc sont illégaux ».
Pour la chercheuse Romaïssa Ouassissou, « à partir du milieu 1990, les agriculteurs propriétaires ont loué leurs parcelles à d’autres agriculteurs, qui ont délaissé les cultures pluviales pour favoriser des cultures maraîchères, à haute valeur ajoutée mais consommatrices d’eau ».
L’eau dessalée dix fois plus chère
Reste la solution du dessalement de l’eau de mer pour pallier au manque d’eau. C’est l’alternative dans la région d’Agadir où la station de dessalement d’eau de mer de Chtouka produit 275 000 m3/jour dont 200 000 m3 sont destinés à l’irrigation. La capacité de la station devrait être portée à 400 000 m3 à l’avenir.
Selon une étude du ministère marocain de l’équipement et de l’eau portant sur « Les ressources en eau souterraine au Maroc : enjeux et défis », la nappe locale de cette région est pratiquement épuisée.
En 1969, son niveau se situait à 22 mètres de profondeur et il est passé à 52 mètres en 2015. À ses débuts, la baisse du niveau de l’eau était de 0,3 m par an, puis elle est passée à plus d’un mètre par an.
En janvier Media24 alertait sur le coût de l’eau dessalée au Maroc : « Avec une consommation moyenne de 4 à 6 kWh d’électricité par litre produit, l’eau dessalée coûte plus de 6 DH le m3 soit dix fois plus cher que l’eau souterraine ».
Un coût que seuls les exportateurs de tomates cerises peuvent amortir, tel le groupe franco-marocain Azura. En juillet 2024, à l’occasion d’une conférence de presse, Abir Lemseffer, la directrice générale adjointe du groupe, assurait qu’Azura irrigue la totalité de ses serres uniquement avec de l’eau dessalée : « Nous avons été le premier groupe à en faire la démarche, bien qu’il s’agisse d’une eau relativement chère par rapport à l’eau de barrage : l’équivalent de 0,5 €/m3 contre 0,10 à 0,20 €/m3 ». Qu’en est-il pour les producteurs d’oignons de plein champ ?
Un modèle agricole en crise
Au Maroc, la ressource en eau a été mise au service de l’exportation agricole et s’est considérablement tarie sans espoir de reconstitution rapide malgré les dernières pluies. Il semble illusoire de penser que le dessalement de l’eau de mer puisse constituer une alternative en agriculture étant donné son coût.
Aussi, la flambée des prix des oignons au Maroc illustre une crise sans issue du modèle agricole. « Si je pouvais changer de métier, je le ferais », confiait à Medias24 en juin 2023 Mohammed Rbaiti, un agriculteur à Berrechid.