L’Algérie vit au rythme de pénuries et tensions sur les produits alimentaires de base et de hausse généralisée des prix. À défaut d’une stratégie globale de réforme, le gouvernement se contente de petites mesures qui ne s’avèrent pas toujours efficaces, avec même parfois un spectaculaire effet cobra.
Il n’y a pas que l’inflation (9,2 % selon les derniers chiffres de la Banque d’Algérie) et la dégradation du pouvoir d’achat qui posent problème. Certains produits de première nécessité viennent à manquer sur les étals.
Après l’huile de table, c’est au tour du lait UHT en boîte de connaître une tension : une rareté doublée d’une hausse des prix. Parallèlement, le prix du pain fait de nouveau débat et ceux de nombreux produits demeurent élevés (pomme de terre, sardine, viande de poulet…).
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Le premier constat qui n’échappe à personne, c’est qu’aucune catégorie (prix subventionnés ou libres, produits locaux ou importés) n’est épargnée par la pénurie ou la hausse des prix.
Difficile de ce fait d’imputer la situation à un seul facteur. C’est la conjugaison d’une somme d’éléments endogènes et exogènes allant de la flambée des prix sur les marchés internationaux aux décisions internes improvisées, en passant par la sécheresse, la dévaluation de la monnaie, l’obsolescence du système de subvention et peut-être aussi une entreprise délibérée de créer un climat de tension, comme le soutiennent les autorités.
Quoi qu’il en soit, l’image que donnent de l’Algérie toutes ces pénuries simultanées n’est pas reluisante, notamment ces longues files d’attente pour un bidon d’huile, un sachet de lait où, comme il y a quelques semaines, pour la pomme de terre saisie et vendue à un prix raisonnable.
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Dans le contexte socio-économique actuel, marqué par une forte inflation et la stagnation de l’investissement, de tels dysfonctionnements sont porteurs de danger pour la paix sociale et appellent des mesures fermes, dans le cadre d’une stratégie globale concertée. Ce qui semble faire défaut jusque-là.
Le gouvernement n’a aucune emprise sur certains facteurs, comme la hausse simultanée des matières premières des principaux produits alimentaires sur les marchés internationaux, ni sur la météo dont est fortement dépendante l’agriculture algérienne.
Mais il n’est pas toujours fait bon usage des quelques leviers disponibles. Dans certaines des pénuries constatées, des voix officielles ont mis en cause la spéculation et la pléthore d’intermédiaires. La première réforme qui pouvait éviter de telles situations et qui n’a pas été faite, est celle du secteur du commerce, dont l’activité est aujourd’hui atomisée en l’absence d’une grande distribution régulatrice, avec une part importante laissée carrément à l’informel. L’Algérie doit se doter de grandes centrales d’achat et laisser la grande distribution se développer pour réguler l’activité commerciale.
Demi-mesures et effet cobra
La première grande pénurie, celle de l’huile de table au printemps 2021, a été causée essentiellement par une décision gouvernementale censée mieux organiser et réguler la filière, lorsque le ministère du Commerce a tenté d’imposer brusquement la facturation aux gros et petits distributeurs.
On a assisté alors à une situation des plus paradoxales qui dure encore : les Algériens ne trouvent pas sur les étals un produit dans lequel l’industrie nationale est largement excédentaire. L’effet cobra, c’est lorsqu’on aggrave un problème par une décision destinée à le régler.
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Les mesures ultérieures n’ont pas été plus efficaces. En octobre dernier, le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane a décrété l’obligation aux industriels et professionnels d’utiliser l’huile de table en emballage de 10 litres, non concerné par la compensation. Or, il n’est pas facile de suivre l’application rigoureuse d’une telle disposition sur le terrain.
Une nouvelle mesure prise jeudi par le ministère du Commerce, interdisant la vente de l’huile de table aux mineurs, risque aussi de buter sur les difficultés de son application sur le terrain, tant qu’il n’est pas du rôle des commerçants de vérifier les cartes d’identité de leurs clients.
Cette question des subventions-compensations se pose comme un sérieux dilemme pour les autorités algériennes. Elles permettent toutes sortes d’abus et coûtent cher à la bourse publique (17 milliards de dollars au total, 287 millions rien que pour l’huile de soja selon le ministre du Commerce), mais leur levée subite risque de malmener davantage le pouvoir d’achat et d’aggraver la paupérisation de certaines franges de la population.
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D’où les tergiversations auxquelles on assiste depuis plusieurs années. Un mécanisme de compensation financière est prévu dans la Loi de finances 2022, mais sa mise en œuvre est problématique en l’absence d’une administration huilée et de statistiques précises concernant notamment la part de l’informel dans l’activité économique. Ce qui nous ramène à la sempiternelle question des réformes-mères que le pays ajourne indéfiniment.
En attendant ces réformes et une relance économique véritable, le souci déclaré des pouvoirs publics est de préserver les réserves de change par une politique de restriction des importations, en interdisant certains produits ou en surtaxant d’autres.
Le ministre du Commerce vient d’annoncer l’ajout de 1609 produits à la liste déjà longue des articles concernés par le DAPS (droit additionnel provisoire de sauvegarde) qui prévoit des taxes supplémentaires de 30 à 200 % sur certains produits importés. L’effet logique d’une telle mesure ne peut être que des prix plus élevés et moins de disponibilité des produits concernés, d’autant que la production locale est faible.
Enfin, il ne faut pas balayer d’un revers de main tous ces soupçons de spéculation et de « complots » exprimés par le président de la République et sur lesquels le Parlement vient d’annoncer son intention d’enquêter. Quand bien même de telles conjectures s’avéreraient fondées, il reste que le problème qui se pose à l’Algérie depuis quelques mois est d’une complexité qui appelle une stratégie globale précédée d’un large débat.