Chronique livresque. Mustapha Blidi fut un membre du mythique commando Ali Khodja. Blessé gravement, il resta 9 mois dans le coma. Ne survivant que par miracle. Son père et son frère périrent au champ d’honneur. C’est un pur et un dur qui ne pensait qu’au combat parmi ses frères.

De son ouvrage « Dans les maquis de la Liberté »*, la partie la plus déchirante et à laquelle on consacrera cette chronique, est celle de la désillusion de l’indépendance. Lui qui sortit invalide de la lutte fut à l’indépendance jeté en prison de la manière la plus arbitraire.

Refus de se rallier au groupe de Tlemcen

Nous sommes en 1962 à Alger. Dans une Algérie déchirée sur le point de céder à la force de l’armée des frontières qui n’a comme fait d’arme que d’avoir confisqué le pouvoir à ceux qui se sont battus héroïquement en terre algérienne pendant sept ans et demi.

Que va faire le moudjahid ? Abdiquer et se rallier, comme le lui demandaient les commandants Bousmaha et Bouregaa, à la loi du plus fort ? Pour Mustapha Blidi, il était hors de question de choisir le groupe de Tlemcen et l’illégalité. « J’étais aux côtés d’hommes illustres, avec qui j’ai partagé des moments forts et qui choisirent la voie de la légalité en soutenant le GPRA. Je ne pouvais prendre le parti de quiconque après avoir travaillé à Alger avec Azzedine, Omar Oussedik, Boualem Oussedik, Ali Lounissi et d’autres grands hommes qui avaient tout donné pour que la capitale ne succombe pas dans le chaos ».

Il payera cher cette position d’un patriote qui ignore l’opportunisme et les arlequinades politiciennes. Un peu plus tard, il enfoncera le clou qui va le crucifier. Contacté par un moudjahid qu’il connaissait bien, Omar Chabi, qui l’informera que les responsables du groupe de Tlemcen souhaiteraient qu’il s’allie à eux, il répondra avec superbe que ses patrons étaient les responsables de la Zone Autonome d’Alger, désignés par le GPRA. Il ajoutera, en toute candeur, qu’Alger était la capitale de tous les Algériens, ouverte à tous les Algériens.

Cette réponse, qui a du panache, sera perçue comme une provocation, pire, comme un crime de lèse-majesté, par Ben Bella, fraichement proclamé président. Ben Bella juché sur un char voit de haut les Algériens. Il a le regard d’un conquistador en milieu indigène. Extatique, en perpétuelle lévitation, il n‘entend d’autres voix que la sienne qui a toujours raison. Rien ne doit lui résister.

Un berger nommé Ben Bella

Mustapha Blidi était à la préfecture de Blida d’où il est originaire comme son nom l’indique, dans le bureau d’un certain Sayd, sans doute le préfet quand Ben Bella surgit sans se faire annoncer. C’était son style de surgir là où il n’était pas attendu pour créer la surprise en décontenançant, du coup, alliés, amis et adversaires. Le président était entouré de personnalités, de frères de combat de Blidi. Par respect pour le président, il décide de sortir. Avant même de franchir la porte du jardin on l’interpella pour l’informer que le président le cherchait.

Bigre, le président le cherche et pourquoi donc, se dit Blidi qui n’arrive pas à trouver la raison de cet honneur. Honneur ? Patience. Laissons-lui le soin de s’épancher : « En me présentant devant lui, Ben Bella me surprit en me prenant à la gorge et en criant : « Petit c…, tu te prends pour qui ? Tu n’es rien du tout ! » Ahmed El-Kaaouane se rapprocha du président et lui parla à l’oreille : « Monsieur le Président, Si Mustapha est un invalide de guerre », lui dit-il en le suppliant de me relâcher. À ce moment là, je réagissais en criant à mon tour : « Les Chaouias disent dans un chant patriotique : « ô combien je pense à l’Algérie devenue libre » (…) À aucun moment, je n’ai pensé que l’Algérie indépendante serait gouvernée par un berger comme toi, qui m’insulte et qui en plus porte la main sur moi ». Il payera son courage de la prison. Neuf mois au cachot.

Boumediène prend le pouvoir le 19 juin 1965. Blidi exulte. Pas pour longtemps. Surprise : on l’arrête pour on ne sait quel délit, lui-même l’ignorant. Mais à l’ère de l’arbitraire tout algérien était potentiellement coupable. On l’emmène au commissariat de Cavaignac où il fut interrogé d’une manière menaçante par une vieille connaissance : El Hadi Lakhdiri.

Il passera quatre mois en prison. Avec une satisfaction, et quelle satisfaction : son épouse « trouvait régulièrement dans notre boite aux lettres des sommes d’argent glissées dans les enveloppes. La solidarité entre les frères du combat libérateur continuait à fonctionner, malgré la répression et les trahisons ».

Il décéda en 2018 lui qui avait vécu avec un éclat d’obus à quelques centimètres du cœur. Ce cœur qui a toujours battu pour l’Algérie malgré Ben Bella et Boumediene…

*Abdelkader Blidi
Dans les maquis de la liberté
Récit d’un rescapé du Commando Ali Khodja
Edition Rafar