Économie

Pétrole, gazoduc GME, gaz algérien : entretien avec Francis Perrin

Francis Perrin est directeur de recherche à l’Iris Paris et expert auprès de l’Association pour le progrès du management (APM, Paris). Dans cet entretien accordé à TSA, ce spécialiste des questions énergétiques livre sa lecture des développements en cours sur le marché pétrolier et gazier mondial à la lumière de la guerre en Ukraine et la volonté de l’Europe de trouver d’autres alternatives aux livraisons russes.

Il s’exprime aussi sur le secteur des hydrocarbures en Algérie, notamment le gaz, très sollicité dans la conjoncture mondiale actuelle.

TSA. Tirés par la guerre en Ukraine, les prix  du pétrole se maintiennent au-dessus de la barre des 100 dollars, soit des niveaux jamais vus depuis 2014. Jusqu’où ira le prix du baril ? Les prévisions d’un baril à 200 dollars sont-elles réalistes ?

Francis Perrin. Un tel contexte, qui est évidemment la conséquence de la guerre en Ukraine, on entend des chiffres de 150, 200 dollars. Les autorités russes ont même évoqué le prix de 300 dollars par baril, ce qui est une manière évidente de faire pression sur les pays occidentaux pour qu’on ne sanctionne pas trop durement le pétrole russe.

Il faut tenir compte de ce genre de pression à travers des déclarations. La réalité est que, vu l’incertitude dans laquelle le monde est plongé actuellement, nous parlons de guerre, nous parlons de géopolitique mondiale, personne ne peut prévoir le prix du pétrole.

Déjà en temps « normal », c’est un exercice extrêmement difficile, avec une guerre, c’est mission impossible. Ce qui est sûr, c’est que cette guerre exerce des pressions importantes sur les prix.

La guerre a commencé le 24 février et ce jour-là, les prix ont dépassé les 100 dollars par baril. Et puis on est passé entre 100 dollars jusqu’à 139 dollars par baril pour les prix du Brent.

Tout va dépendre de la durée de la guerre, de ses conséquences en termes énergétiques, de la décision des pays européens pour savoir s’ils vont inclure le pétrole dans les sanctions contre la Russie, de ce qui se passe à Vienne dans les négociations sur le nucléaire de l’Iran, des perspectives d’ouverture diplomatique ou pas entre la Russie et l’Ukraine.

Mais tant que cette guerre durera, on va rester avec des pressions haussières sur les prix qui devrait les maintenir au-dessus de 100 dollars par baril, avec un potentiel d’aller beaucoup plus haut. C’est tout ce qu’on peut dire sérieusement aujourd’hui.

TSA. Dans quelle mesure les deux parties, Russie et Occident, sont prêtes à utiliser l’arme énergétique ?

Francis Perrin. La Russie peut bien sûr utiliser l’arme énergétique. La question c’est est-ce que c’est dans son intérêt, et la réponse courte à cette question est non.

Parce que la Russie est principalement un pays exportateur de matières premières, au premier chef hydrocarbures, par ordre décroissant en termes de recettes d’exportation, pétrole et gaz naturel, qui représentent 60% des recettes d’exportation de la Russie.

Donc les autorités russes n’ont certainement pas intérêt à couper eux-mêmes le robinet. Il y a deux scénarios plus vraisemblables que celui-ci. Le premier, dans le cadre de la guerre, des infrastructures énergétiques sont touchées, pas forcément volontairement, et ça fait des dégâts.

Autre scénario plus vraisemblable, les Occidentaux prennent des mesures de plus en plus dures contre la Russie concernant également le pétrole et le gaz naturel.

On a déjà eu un premier geste dans cette direction, le 8 mars, le président Joe Biden a interdit l’importation sur le marché américain du pétrole, des produits raffinés, du gaz et du charbon russes.

Les Américains peuvent le faire parce que c’est une grande puissance pétrolière et gazière et ne sont pas dépendants de la Russie. Du côté de l’Union européenne, jusqu’à aujourd’hui, -cela peut changer-, on dit : nous ne pouvons pas, demain, nous passer du pétrole et du gaz russes, mais nous allons mettre en place les politiques et les stratégies énergétiques pour pouvoir réduire assez rapidement et de façon significative nos importations notamment de gaz russe et nous allons nous mettre en situation de pouvoir à moyen terme, qui veut dire en gros cinq ans, nous passer complètement du pétrole et du gaz russes.

Donc, l’embargo du côté américain est décidé avec effet immédiat, du côté européen il n’est pas décidé à court terme parce que ce serait très difficile. Mais par contre, il y a une orientation politique majeure, et c’est une première pour l’UE depuis une dizaine d’années, de dire que compte tenu de ce qu’a fait la Russie à compter du 24 février, cela ne peut plus être un partenaire économique normal comme cela a été le cas depuis longtemps, y compris pour le pétrole et le gaz naturel.

On ne peut pas le faire tout de suite, mais on va adopter les politiques et les stratégies énergétiques nécessaires pour nous permettre de nous en passer dans un horizon de moyen terme.

TSA. Quelles sont les conséquences immédiates et à venir de la guerre sur le secteur énergétique mondial ?

Francis Perrin. Il y a plusieurs conséquences possibles. La plus évidente, la plus immédiate, c’est l’augmentation des prix du pétrole et du gaz. Ce qui veut donc dire que ceux qui vendent du pétrole ou du gaz, ou les deux, sont avantagés.

Ce sont soit des compagnies privées, des compagnies nationales ou des pays producteurs et exportateurs. Ce sont les gagnants, parce que même s’ils ne peuvent pas augmenter leur production, chaque baril de pétrole ou mètre cube de gaz qu’ils exportent rapporte plus d’argent.

Deuxième conséquence, l’augmentation des prix favorise les investissements dans l’industrie pétrolière et gazière. Évidemment, plus les prix sont élevés, plus les investissements sont rentables.

Et de la part des compagnies pétrolières qui évidemment ont un œil très vigilant sur la rentabilité de leurs opérations, cela contribue à les pousser à investir.

De ce point de vue-là d’ailleurs, la guerre en Ukraine est un facteur supplémentaire dans un mouvement qui a commencé en 2021 puisque les prix du pétrole, du gaz, du charbon et de l’électricité augmentent fortement depuis 2021, et évidemment depuis l’automne et le début de la crise ukrainienne et depuis le 24 février et le début de la guerre, ils ont augmenté encore plus.

Mais ça s’inscrit dans un mouvement plus durable qui a commencé en 2021 avec le redressement de l’économie mondiale après la terrible année 2020 (pandémie de covid-19 et récession économique mondiale).

Autre élément, les pays producteurs et exportateurs de pétrole et de gaz qui auraient des capacités disponibles pour exporter plus sont actuellement très courtisés par les Européens et par les Américains.

Les Américains n’ont pas besoin de pétrole et de gaz parce qu’ils sont le premier producteur, mais ils sont soucieux de la situation de leurs alliés européens dans le contexte de la guerre en Ukraine et des sanctions occidentales contre la Russie.

Donc ils mènent des initiatives en allant voir différents pays producteurs pour savoir s’ils peuvent faire plus pour le marché européen si besoin était.

Par ailleurs, on constate dans la suite de cette guerre, que plusieurs compagnies pétrolières occidentales (BP, Shell, ExonMobil et Equinor) ont décidé très rapidement de se retirer de la Russie, ce qui est là encore une première.

En l’espace d’à peine quelques jours, quatre grands acteurs pétroliers mondiaux ont décidé de quitter la Russie, un pays qui est pourtant un géant pétrolier et gazier avec les plus grosses réserves prouvées de gaz naturel et les sixièmes plus grosses réserves prouvées de pétrole.

En dépit de ce potentiel, ces compagnies ont estimé que dans ce contexte de guerre en Ukraine, il n’était plus possible pour elles de continuer à travailler normalement comme certaines le faisaient depuis très longtemps.

Autre conséquence énergétique, c’est le devenir du projet Nord-Stream 2, un gazoduc qui relie la Russie à l’Allemagne en passant par la mer Baltique, un projet très important avec une capacité de transport de 55 milliards de mètres cubes de gaz par an.

Ce projet a été achevé en septembre 2021 et devait entrer en service pour desservir le marché allemand et européen. Sauf que, en février 2022, juste avant le début de la guerre, le chancelier allemand Olaf Sholz a indiqué que dans les conditions actuelles, il n’était pas possible à l’Allemagne de donner son feu vert à l’entrée en service de Nord-Stream 2.

Est-ce que le gazoduc entrera un jour en service ? C’est la question que l’on peut poser. Les autorités allemandes n’ont pas dit qu’elles refusaient Nord-Stream 2 pour toujours, elles ont juste dit que dans les conditions actuelles, ça ne peut pas se passer comme ça. Mais c’était juste avant la guerre.

Maintenant il y a une guerre et des sanctions contre la Russie, et on peut se poser des questions sur l’avenir de ce gazoduc de très grande taille qui était l’un des projets les plus importants stratégiquement pour la Russie et le géant mondial de gaz Gazprom. Nord-Stream 2 est peut-être mort, en tout cas il est à l’arrêt, ça c’est certain.

L’autre conséquence possible de la situation, c’est l’accélération de la transition énergétique, c’est-à-dire la montée en puissance des énergies non carbonées qui peuvent être les énergies renouvelables, solaire, éolien, biomasse, l’hydroélectricité et dans certains pays l’énergie nucléaire.

Lorsque l’Union européenne a décidé, en termes d’orientation politique, de se passer des hydrocarbures russes dans un délai d’environ 5 ans, quels sont ses leviers d’action ? Premier levier, aller chercher du gaz et du pétrole ailleurs qu’en Russie.

Deuxième levier, utiliser d’autres sources d’énergie que le gaz pour produire l’électricité, et notamment le solaire-éolien. Troisième levier d’action, consommer moins de gaz, donc faire des économies d’énergie. En tout cas, cette guerre en Ukraine, qui a commencé depuis un mois, aura des conséquences énergétiques multiformes.

TSA. L’Europe peut-elle réellement se passer du gaz russe ?

Francis Perrin. Ma réponse est oui. L’union européenne peut, si elle en a la volonté politique, réduire de façon importante ses importations de gaz russe dans un délai d’un an, et sur plusieurs années, elle peut se passer du gaz russe.

Il y a donc deux horizons temporels différents avec deux objectifs différents. Quels sont les pays qui ont été contactés ? États-Unis au premier chef, le plus gros exportateur mondial de gaz naturel liquéfié. Et la filière GNL a l’avantage d’une plus grande souplesse que la filière gazoduc, parce que c’est du gaz transporté par bateau.

D’ailleurs, depuis plusieurs mois, on voit que les exportations de GNL américain vers le marché européen augmentent fortement. En janvier 2022, pour la première fois dans l’histoire, les exportations de GNL américain vers l’Union européenne ont été plus importantes que les exportations de gaz russe acheminées par gazoduc vers le marché de l’Union européenne.

Le Qatar, l’un des plus gros exportateurs mondiaux de GNL avec les Etats-Unis et l’Australie, a été aussi contacté. Il a donné son accord de principe à condition que ses clients asiatiques ne soient pas lésés.

Les Américains ont donc négocié avec le Qatar, le Japon et la Corée du Sud et il y a un accord de principe de ces deux pays asiatiques pour que des cargaisons puissent être, si besoin était, détournées de l’Asie vers l’Europe.

En Afrique, trois pays ont été contactés, par ordre alphabétique, Algérie, Égypte, Nigeria. On pourra également penser au Mozambique qui va devenir en 2022 exportateur de gaz, et peut-être même le Sénégal et la Mauritanie.

En Europe, la Norvège a évidemment été contactée de même que l’Azerbaïdjan. Ce sont des pays qui exportent du gaz par gazoduc vers l’Union européenne et qui peuvent avoir une petite marge supplémentaire. On peut également penser, ça n’a pas encore été fait, à la Méditerranée orientale où il y a eu des découvertes de gaz au large de l’Égypte, d’Israël et de Chypre.

TSA. L’Algérie peut-elle livrer les quantités supplémentaires que réclame l’Europe ?

Francis Perrin. A court terme, l’Algérie pourrait, si elle le décidait, exporter un peu plus de gaz vers l’Europe principalement à travers le Transmed (Algérie-Italie, ndlr), quelques milliards de mètres cubes supplémentaires sont possibles.

A moyen terme, des volumes supplémentaires plus importants sont possibles, mais cela demandera un développement des capacités de production.

Les réserves ne sont pas la contrainte à mon sens à moyen terme, les capacités d’exportation ne sont pas la contrainte à court et moyen termes puisque le Transmed et les complexes de liquéfaction d’Arzew et de Skikda sont sous-utilisés. Donc, la contrainte majeure à moyen terme c’est les capacités de production.

Le GME (gazoduc Maghreb Europe, reliant l’Algérie à l’Espagne via le Maroc, ndlr) est fermé depuis le 1er novembre 2021. La question a été abordée dans des discussions entre responsables européens et responsables algériens.

Est-ce que politiquement les responsables algériens seraient prêts à ouvrir le GME par exemple au printemps 2022 après l’avoir fermé quelques mois auparavant ? Ce n’est pas évident politiquement.

Par ailleurs, si on met à part le GME, les capacités d’exportation de gaz algérien vers l’Europe existent. La contrainte est plus dans les moyens de production. Supposons que le Transmed soit saturé ainsi que les capacités algériennes d’exportation de GNL, la question du GME se poserait avec une acuité d’autant plus grande.

Mais comme le Transmed n’est pas rempli et que Arzew et Skikda ne fonctionnent pas à pleine capacité, il n’y a pas forcément une pression majeure sur les dirigeants algériens pour dire : si on veut exporter plus de gaz vers le l’Europe, on n’a qu’un choix, rouvrir le GME. Les autorités algériennes ont plusieurs choix.

TSA. L’Algérie a rappelé son ambassadeur en Espagne à cause d’un problème politique lié à la question du Sahara occidental.  Quels effets cela pourrait-il avoir sur les livraisons de gaz ? 

Francis Perrin. C’est vraiment une crise politique autour d’un sujet clé. Elle pourrait avoir des conséquences énergétiques et gazières, mais ce n’est pas une crise gazière ou énergétique.

L’Espagne importait du gaz algérien à travers le GME et le Medgaz et à l’été 2021, quand l’Algérie a rompu ses relations avec le Maroc, il y a eu une inquiétude à Madrid en se disant le GME, c’est mal parti. Ils l’ont vu venir plusieurs mois en avance.

Donc il y a eu des visites de plusieurs responsables espagnols à Alger pour s’entretenir avec les responsables algériens et Sonatrach sur ce qui allait se passer pour les livraisons de gaz algérien sur le marché espagnol, l’Espagne étant un pays très dépendant vis-à-vis des livraisons de gaz algérien.

Les Algériens ont répondu : ne vous inquiétez pas, nous avons un autre gazoduc, le Medgaz, nous allons augmenter un peu sa capacité pour passer à 10,5 milliards de mètres cubes par an et puis, par ailleurs, nous avons des usines de liquéfaction, donc vous ne manquerez pas de gaz.

Mais on a bien senti depuis cette période-là une inquiétude des responsables et des milieux économiques espagnols par rapport à leurs approvisionnements gaziers compte tenu du fait qu’ils sont fortement dépendants du gaz algérien.

Et d’ailleurs, on le voit sur le début de l’année 2022, le GNL américain est devenu la première source des approvisionnements de l’Espagne en gaz. C’est un tournant important et ça reflète bien cette inquiétude qui remonte à l’été 2021.

Mais la crise actuelle est politique et il faudra voir si elle a des conséquences gazières. On ne peut qu’espérer que les différents politiques, quelle que soit leur importance et leur gravité, n’aient pas dans les circonstances actuelles trop de conséquences énergétiques pour l’Algérie et pour l’Espagne et l’Union européenne.

Parce que les liens énergétiques entre les deux rives de la Méditerranée et notamment entre l’Algérie et l’Europe méditerranéenne (Espagne, Portugal et Italie), sont des relations anciennes, extrêmement fortes et importantes pour les deux rives de la Méditerranée.

Ces pays ont besoin d’importer du gaz, l’Algérie a besoin d’exporter du gaz, donc comme souvent en matière énergétique, il y a une interdépendance qui s’inscrit dans le long terme.

TSA. Si l’Algérie ne peut pas répondre à toute la demande supplémentaire à cause, comme vous le dites, des contraintes de ses capacités de production, n’est-ce pas un peu par la faute des Européens qui n’ont pas consenti les investissements nécessaires dans le secteur énergétique algérien ?

Francis Perrin. Il est toujours difficile de refaire l’histoire, mais il est certain qu’aucun pays ne sera la solution aux problèmes énergétiques que connaît l’Europe dans la situation de la guerre en Ukraine.

Mais plusieurs pays peuvent chacun être une partie de la solution et c’est le cas de l’Algérie. L’Algérie a trois gazoducs qui la relient à l’Union européenne, le Transmed à l’Italie, et vers l’Espagne le Medgaz et le gazoduc Maghreb-Europe (GME) qui a été fermé en novembre 2021.

Elle voulait construire un quatrième gazoduc, le Galsi vers l’Italie, mais ce gazoduc n’a jamais été construit faute de demande gazière suffisante à l’époque sur le marché italien.

C’est évidemment une chose qui au regard de la situation actuelle et future, prend une résonance importante. L’Algérie a les complexes de liquéfaction d’Arzew et Skikda, qui sont tournés vers l’Europe et qui ne fonctionnent pas, et de loin, à pleine capacité.

Les Européens sont évidemment intéressés par le potentiel algérien, des discussions sont engagées et il faut voir sur quoi débouchent ces discussions, mais il est clair que l’Algérie a une carte à jouer importante et intéressante dans ce contexte nouveau lié à la guerre en Ukraine et à ses conséquences durables.

TSA. La première de ces conséquences sera-t-elle de booster les investissements énergétiques en Algérie ?

Francis Perrin. L’orientation politique européenne majeure consistant à vouloir se passer complètement dans le moyen terme des hydrocarbures russes est une orientation qui sera prise en compte dans les processus de prise de décision des grandes compagnies pétrolières.

Dans cette perspective-là, entre le potentiel algérien en hydrocarbures qui est important, entre la loi récente sur les hydrocarbures qui a amélioré l’attractivité économique du pays pour les investisseurs dans le secteur du pétrole et du gaz, et entre aussi la remontée des prix depuis 2021, bien avant la crise en Ukraine.

Il y a donc une conjonction d’éléments qui pourrait entraîner un réexamen de certaines grandes compagnies pétrolières de la place que l’Algérie pourrait avoir dans leurs priorités d’investissement.

On le verra sans doute dans les prochains mois et années. Parmi les grandes compagnies internationales, il y en a déjà une, la compagnie italienne ENI, qui a décidé, pas seulement en 2022, de relancer une dynamique d’investissement en Algérie comme on le voit à travers ses accords avec Sonatrach.

Il sera intéressant d’observer dans les mois et années qui viennent si d’autres compagnies pétrolières adoptent des stratégies qui iront un peu dans cette même direction.

TSA. L’Algérie ne doit-elle pas, à la lumière des retombées de la situation actuelle, penser sérieusement à exploiter son potentiel de gaz de schiste ?

Francis Perrin. C’est un problème de nature politique, au moins en partie. Ce qui est certain, c’est que, au-delà de la guerre en Ukraine et des besoins du marché européen, l’Algérie est confrontée en termes de politique gazière à des contraintes qui portent sur le fait qu’elle veut réaliser deux objectifs en même temps.

Premièrement, satisfaire ses besoins internes qui sont croissants. Deuxièmement, rester un exportateur significatif de gaz naturel notamment vers le marché européen pour financer son développement. Comme la consommation nationale augmente et la production de gaz conventionnel n’augmente pas rapidement, la question de l’accès aux ressources non conventionnelles de l’Algérie, au gaz de schiste, se pose non pas dans une optique de court terme mais dans une optique de moyen et de long termes.

Comme le potentiel de gaz non conventionnel de l’Algérie est considérable, c’est bien sûr une question majeure qui est dans la tête des responsables algériens et de Sonatrach. Ensuite, il appartient à ces responsables de prendre une décision dans un sens ou dans un autre pour ouvrir ou pas cette porte du non conventionnel.

TSA. Les Européens ont toujours négocié ferme les contrats de longue durée, avec une préférence pour les livraisons spot. La situation actuelle va-t-elle changer les choses ?

Francis Perrin. Il y a différents intérêts en jeu. Un pays exportateur de gaz a envie de sécuriser ses débouchés sur le long terme, donc il va avoir une priorité fréquente pour les contrats de long terme.

En même temps, si ce pays a des capacités disponibles à court terme et que les coûts du gaz sont très élevés, il va se dire qu’il est intéressant de placer des cargaisons spot pour profiter d’un prix très élevé. Donc, il n’y a pas d’opposition toujours entre le court terme et le long terme.

Du côté des pays importateurs, on est aussi attaché à la sécurisation des approvisionnements à long terme, donc on est aussi intéressé par des contrats à long terme.

Sauf que, actuellement avec ce qui se passe dans la guerre en Ukraine, l’UE peut avoir des besoins supplémentaires à court terme et elle ne voudrait pas forcément signer de nouveaux contrats à long terme qui l’engageraient pour longtemps alors que ses besoins supplémentaires sont sur le court terme.

Donc on voit bien la divergence des intérêts. Par ailleurs, l’Union européenne est engagée comme d’autres pays dans le monde dans cette fameuse transition énergétique.

Elle s’est fixé comme objectif d’être en 2050 une zone à neutralité carbone et pour cela, elle veut diminuer fortement la part des énergies fossiles dans son bilan énergétique.

Donc par rapport à la situation actuelle, l’Europe cherche des solutions à court et moyen termes mais ne veut forcément pas se lier les mains à long terme.

Donc c’est un jeu assez complexe où on a sur la table à la fois, la géopolitique européenne et mondiale, la situation du marché gazier mondial et l’objectif de la transition énergétique. Comment articuler tous ces éléments, c’est un sujet très complexe pour les dirigeants européens.

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