Squelettes d’immeubles à l’abandon et tours fantômes ponctuent le paysage urbain au Liban, où la crise de l’immobilier fait craindre l’effondrement d’un secteur fondamental pour l’économie, déjà vacillante.
Sous l’effet de la guerre en Syrie voisine, débutée il y a sept ans, et de la contraction de la demande interne, l’immobilier libanais connait une phase de stagnation, après une envolée vertigineuse entre 2008 et 2011.
A l’origine de cette brève euphorie, les expatriés et la riche clientèle arabe du Golfe ont depuis déserté le marché libanais en raison de l’instabilité mais aussi de la chute des cours mondiaux du pétrole à partir de 2014.
Résultat : des milliers d’appartements ne trouvent pas acquéreur tandis que des projets amorcés au début de la crise politique –le Liban étant encore dépourvu de gouvernement depuis plus de six mois– ont été gelés.
Selon Guillaume Boudisseau, expert immobilier au cabinet Ramco à Beyrouth, quelque 3.600 appartements restent à ce jour invendus dans la capitale.
Une réalité perceptible pour qui se promène en ville. En face du port, un immeuble de luxe baptisé « La Côte » surplombe les bateaux amarrés. Sur les 21 appartements qu’il comporte, seuls deux ont été vendus en quatre ans.
« Lorsque nous avons lancé les travaux en 2010, le contexte était très différent », explique son propriétaire Hussein Abdallah, qui a dû céder huit appartements à sa banque pour obtenir l’effacement de sa dette.
Une dizaine de mètres plus loin, un autre projet est à l’arrêt depuis deux ans. Seule la structure en béton de l’immeuble est achevée.
« Nous avons vendu un seul appartement sur plan », confie son propriétaire, sous couvert de l’anonymat. Afin de débloquer la situation, le prix de vente a été réduit de 20% « mais cela n’a eu aucun effet », regrette-t-il.
Immeubles neufs et inhabités
Dans le centre de la capitale, le projet « Beb Beirut » se résume depuis mi-2015 à des fondations en béton.
« Nous avons décidé de tout arrêter en attendant de voir comment la situation va évoluer », confie Mireille Choufany, directrice du projet.
Les premiers piliers, d’où dépassent des armatures en acier rouillé, sont entourés d’immeubles flambant neufs mais presque tous inhabités. Et cette réalité ne concerne pas uniquement la capitale libanaise.
A Nabatiyeh, dans le sud du pays, les ventes ont baissé de 19% sur les dix premiers mois de 2018, et la tendance est similaire dans le nord, selon le registre foncier.
La Banque centrale a par ailleurs suspendu en début d’année ses subventions aux banques qui leur permettaient d’octroyer aux ménages modestes des prêts à des taux d’intérêt réduits, ce qui fait craindre un ramollissement d’une demande déjà atone.
« J’ai signé un contrat d’achat en janvier et appris le lendemain que les prêts subventionnés étaient suspendus », déplore Marwan, un employé de banque de 33 ans n’ayant pas souhaité donner son nom.
Son contrat stipulait, dans un premier temps, le paiement de 20% du prix de l’appartement. Pour les 80% restants, Marwan misait sur un emprunt qui, n’étant plus subventionné, est désormais hors de sa portée. « Je risque de perdre la somme déjà versée sans avoir acquis l’appartement », s’inquiète-t-il.
Bouée contre la noyade
La suspension, jusqu’à nouvel ordre, des prêts subventionnés s’est accompagnée d’une hausse des taux d’intérêt –qui culminent à 10%– dopée par l’instabilité politique et les craintes d’une dévaluation monétaire. Certains craignent un effondrement de l’immobilier qui se répercuterait sur le secteur bancaire, un autre pilier de l’économie libanaise.
Des retards de paiement et des rééchelonnements de dette immobilière ont déjà eu lieu: les constructeurs et les acheteurs doivent rembourser environ 21 milliards d’euros aux banques, soit plus du tiers des crédits du secteur privé, indique à l’AFP une source bancaire souhaitant garder l’anonymat.
Pour éviter un scénario catastrophe, des banquiers et des sociétés immobilières ont lancé en octobre « Legacy One », une plateforme d’investissements d’environ 220 millions d’euros avec pour objectif « d’acheter plus de 200 appartements dans le Grand-Beyrouth et de les revendre sur les marchés étrangers », explique Massaad Farès, président de la structure.
Les investissements prévus représentent toutefois moins de 10% du total des invendus dans la seule capitale, « estimés entre 2,2 et 3,1 milliards d’euros », indique Waël el-Zein, directeur général de la Lucid Investment Bank, partie prenante du projet.
Selon lui, « il s’agit d’une bouée pour éviter la noyade, en attendant l’éclaircie politique ».
Pour Jihad Hokayem, enseignant en investissement immobilier à la Lebanese American University, la chute parait inéluctable. Ces mesures « maquillent des faillites en cours ou potentielles. C’est le début d’un effondrement » du secteur, prévient-il.