Encore une modification du cadre juridique en perspective pour l’industrie du montage automobile. Après les licences d’importation introduites début 2016, l’interruption totale des importations et les cahiers des charges de 2017, le gouvernement Bedoui prépare désormais un contingentement des importations de kits CKD/SKD destinés au montage des voitures de tourisme.
La nouvelle a été annoncée, de façon un peu théâtrale, à la fin de la semaine dernière par l’agence officielle. Elle précise que des « décisions importantes » ont été prises lors d’une réunion du Conseil du gouvernement, présidée par le Premier ministre Noureddine Bedoui.
Au cours de cette réunion placée sous le signe d’un exposé du ministre des Finances sur « les mesures à prendre pour réduire le déficit de la balance des paiements et la préservation des réserves de change », ce dernier a été chargé dans la foulée de faire « des propositions concrètes et pratiques, applicables lors du prochain conseil du gouvernement » .
Ce samedi, c’était au tour du ministre du Commerce, Said Djellab, de confirmer cette nouvelle démarche en estimant devant la presse que « le pays n’est plus en mesure de financer la facture d’importation de kits CKD/ SKD comme en témoigne la dernière facture qui s’est rapprochée des 3 milliards de dollars ».
« À ce niveau d’importation qui, d’ailleurs, est appelé à augmenter, des mesures urgentes sont nécessaires », a ajouté M. Djellab qui a précisé que « la première mesure à prendre, c’est d’aller coûte que coûte vers une diminution sensible des importations de kits SKD/CKD dans l’attente d’autres mesures ».
Une facture très salée
On pouvait s’y attendre. La facture des importations des kits destinés à l’industrie du montage automobile est en augmentation exponentielle au cours des deux dernières années. Elle a atteint près de 3 milliards de dollars en 2018 contre 1,67 milliard de dollars en 2017, selon les chiffres des Douanes algériennes.
Jusqu’aux dernières annonces du gouvernement Bedoui, on considérait généralement que la montée en régime progressive des différents projets de montage automobile devait provoquer une augmentation rapide de la production nationale au cours des toutes prochaines années. À la fin de l’année dernière, l’ancien ministre de l’Industrie, Youcef Yousfi, indiquait encore que « la production des véhicules assemblés en Algérie devrait atteindre 400.000 unités d’ici 2020, dont une partie sera destinée à l’exportation ».
Le ministre avait précisé que le nombre des véhicules assemblés localement a atteint 110.000 unités en 2017. Les chiffres définitifs pour l’année 2018, qui n’ont pas été communiqués officiellement, devraient se situer dans une fourchette de 180 000 à 200 000 véhicules.
L’extrapolation de ces chiffres à une production de 400 000 véhicules en 2020 donne une facture supérieure à 6 milliards de dollars. Auxquels il faut ajouter près d’un milliard de dollars supplémentaire pour l’importation des pièces détachées nécessaires à la maintenance d’un parc automobile de près de 6 millions de véhicules.
C’est une addition qui s’annonçait donc très salée et qui avait déjà toutes les chances d’être surveillée comme le lait sur le feu par les pouvoirs publics algériens à un moment où la balance des paiements devrait connaître de vives tensions.
Entre urgence et improvisation
Si l’émergence d’une forte contrainte financière était donc prévisible de longue date, on ne s’attendait pas à une réaction aussi précipitée et surtout pas de la part d’un gouvernement chargé uniquement d’« expédier les affaires courantes ».
Beaucoup d’observateurs s’inquiètent aujourd’hui du sceau de l’urgence et du caractère improvisé qui semble marquer les mesures annoncées par le gouvernement Bedoui. En une quinzaine de jours, le temps de préparer la prochaine réunion de l’Exécutif, le gouvernement s’apprête donc à modifier une nouvelle fois, de façon apparemment radicale, les règles du jeu qui ont été définies par ses prédécesseurs voici un peu plus de deux ans.
De telles mesures, surtout si on prend au sérieux les annonces à propos de la volonté du gouvernement d’obtenir « rapidement et coûte que coûte une diminution sensible de la facture d’importation » pourraient avoir une série de conséquences très dommageables.
Outre la révision en forte baisse des objectifs de la production nationale pour les prochaines années, les mesures annoncées par le gouvernement Bedoui pour les prochaines semaines courent le risque de compromettre définitivement les chances de voir se développer une industrie de sous-traitance automobile dans notre pays.
Comment imaginer le « respect strict », réclamé par le gouvernement, des dispositions des cahiers des charges sur l’augmentation des taux d’intégration dans le cas d’une production nationale plafonnée à 200 000 véhicules répartis entre les huit constructeurs déjà agréés par le Conseil national de l’investissement ?
Les mesures annoncées par le gouvernement font également planer un doute très sérieux sur la concrétisation des derniers investissements très importants annoncés par les groupe Peugeot et Nissan pour l’année 2019.
Comment réaliser des investissements de plusieurs centaines de millions de dollars, ainsi que c’est le cas pour ces deux derniers projets en date, si les approvisionnements des usines concernées ne sont pas garantis ?
L’ensemble des industries de montage concerné
Même si elle n’a pas vraiment retenu l’attention des médias nationaux, la démarche du gouvernement Bedoui ne concerne pas seulement la filière automobile. Les « importantes décisions qui ont été prises » portent également sur la réduction de la facture annuelle d’importation concernent les kits destinés à la fabrication des produits électroménagers, électroniques et des téléphones mobiles.
Ce sont donc des centaines d’entreprises employant des dizaines de milliers de personnes et qui forment actuellement le plus clair de ce qui était appelé à concrétiser l’ambition de diversifier l’économie nationale qui retient son souffle en attendant les mesures qui doivent être élaborées en quelques jours par les services du ministère des Finances avant d’être adoptées par le prochain Conseil du gouvernement.
Une gouvernance économique illisible
On peut s’interroger plus généralement sur la répercussion des mesures annoncées en matière de réputation de la gouvernance économique de notre pays.
Dans le but de consolider une filière automobile naissante, le gouvernement algérien était appelé par beaucoup de spécialistes à s’appuyer sur un nombre limité de grands constructeurs plutôt que de continuer à compter sur une multiplicité d’intervenants. Dans le cas de la filière automobile, les interlocuteurs, voire les partenaires des autorités algériennes dans le cas des EPE constituées dans le secteur, sont des groupes de taille mondiale qui s’appellent Renault-Nissan , Volkswagen ou encore Peugeot pour ne citer que les plus importants d’entre eux .
L’instabilité chronique qui caractérise le cadre réglementaire au cours des dernières années vient s’ajouter aux fortes contraintes déjà connues et analysées du cadre juridique. Quelles conséquences auraient pour le climat des affaires et la possibilité d’attirer à l’avenir des flux significatifs d’investissements étrangers, le renoncement éventuel ou la tentation de jeter l’éponge de partenaires et d’investisseurs de cette envergure ?