Horaires administratifs, tarifs inaccessibles, insécurité, la piscine El Kettani de Bab El Oued est juste une illusion de bonheur. À 17 heures tapantes, le portail se ferme. Les deniers baigneurs traînent les tangues et tirent la tronche, déçus de voir leur journée écourtée. À cette heure-ci, le soleil tape encore fort. Une piscine publique qui ferme à 17 heures en plein été, c’est juste surréaliste !
Les horaires et les tarifs sont affichés à l’entrée. 10h – 17h. Adulte : 400 da, enfant : 200 da. Datant de l’époque coloniale, la piscine El Kettani (Ex-Padovani) dispose de trois bassins alimentés directement par l’eau de mer. Deux autres piscines ont été inaugurées en 2017. Hormis quelques chaises en plastique, la piscine publique ne dispose pas de parasols pour s’abriter des rayons mordants du soleil. Il faut alors se résigner à louer un parasol et des chaises chez Bilel, le propriétaire du snack de la piscine « Les tarifs sont de 300 da pour un parasol et trois chaises », nous apprend-il.
Attention aux pickpockets
Planqué derrière le comptoir de son snack, Bilel en voit de toutes les couleurs, chaque jour d’été que Dieu fait. « Les vols sont légion ici. Une horde d’adolescents, sans foi ni loi, guettent les baigneurs. Dès qu’ils piquent une tête, ils subtilisent leurs affaires. Ils piquent tout ce qui peut tomber sous leur main : fringue, sandales, téléphones portables, argent… Une véritable faune sauvage ».
Recherchant un peu de calme, les familles préfèrent se retirer vers l’une des deux nouvelles piscines. « Il n’y a jamais de jeunes filles ici, souligne notre interlocuteur. Celles qui s’y sont aventurées ont en eu pour leur grade. Insultes et pluie de grossièretés copieusement servies par des adolescents survoltés, les ont dissuadées de ne plus remettre les pieds à la piscine El Kettani ».
Fils Barbelés… La Bataille d’Alger-bis
Sur place, nous rencontrons Mustapha. À 52 ans, il est pompier bénévole. Une alerte à la noyade côté plage le fait surgir précipitamment du poste de la protection civile jouxtant la piscine. Finalement, il apprend qu’il s’agit d’une agression pour vol qui a eu lieu sur la plage d’El Kettani. Il stoppe net sa course effrénée et tente de reprendre son souffle « C’est l’affaire de la police », nous dit-il.
Mustapha en a gros sur la patate. « Regardez ce que cette piscine est devenue. Enfant, j’y venais avec mon père ! Ya hasra ! C’était un joyau. Il suffit de lever la tête pour admirer Notre Dame d’Afrique. Mustapha nous montre les fils barbelés qui séparent la plage de la piscine « Tous les jours, des adolescents et des enfants désargentés tentent de rejoindre la piscine en escaladant ce mur. Ils se déchirent la peau avec ces fils barbelés et se retrouvent aux urgences hospitalières. Les tarifs sont exorbitants pour une piscine publique. Le prix ne devrait pas excéder 50 da. Qui peut se payer un accès à 400 et 200 da, sachant que les familles algériennes sont nombreuses. La frustration pousse les jeunes à escalader le murs au péril de leur vie ».
Les fils barbelés rappelant la bataille d’Alger encerclent également le plongeoir de la piscine « Il a été condamné afin d’empêcher les baigneurs de se jeter de la haut. Il y a eu beaucoup de blessés », nous apprend Mustapha.
Gaspillage d’eau douce
Du côté des douches, c’est la désolation. L’hygiène fait cruellement défaut mais ce n’est pas tout. L’eau, coule sans arrêt. Ce liquide précieux se perd sans qu’aucun agent ne s’en soucie. De véritables chutes du Niagara à la piscine d’El Kettani de Bab El Oued !
Plage polluée et pourtant…
Nous quittons la piscine El Kettani et longeons la plage. De gros blocs de béton ont été aménagés tout autour de la plage. Il ne reste plus qu’une minuscule bande de sable sur laquelle s’entassent de nombreuses familles, parasol contre parasol. Le reste a été bouffé par d’énormes blocs de béton.
Des centaines d’enfants, insouciants et joyeux, s’ébrouent dans une sorte de bassin pollué. Sachets en plastiques, emballages et déjections humaines flottent à la surface de l’eau. Les narines sont saturées par des relents d’égouts.
Larbi, la cinquantaine a planté son parasol dans cette jungle. Il ne quitte pas des yeux ses enfants qui se baignent dans cette eau douteuse. « Oui, cela sent les égouts, oui la mer est polluée mais c’est la seule possibilité pour moi d’offrir un peu de bonheur à mes mômes. J’habite Bab El Oued, je n’ai pas de voiture et c’est l’une des rares plages gratuites à Alger. Même la piscine d’El Kettani est inaccessible ! 200 da le ticket par enfant. Et 400 da par adulte ! Qui peut venir tous les jours, avec ces prix-là, dites-moi ? », enrage-t-il.
Les espaces de baignade rétrécissent comme peau de chagrin. Entre piscine publique infréquentable et plage polluée, les estivants qui n’ont pas un gros pouvoir d’achat rongent leur frein en attendant des jours meilleurs.