TRIBUNE. La relation médecin-justice est pour l’essentiel normale et nécessaire. La médecine est indispensable dans l’exercice quotidien de la justice, expertise psychiatrique, médecine légale, certificats. Le médecin est dans ce cas un auxiliaire de justice.
Cependant du fait de l’intrusion du droit pénal dans les affaires de responsabilité des médecins au titre de l’article 289 du Code pénal, les rapports entre justice et les médecins connaissent depuis quelques années des tensions.
Par ailleurs, les médecins sont confrontés à une judiciarisation croissante de l’exercice médical. Les condamnations pénales de médecins créent quasiment à chaque fois une onde de choc au sein du corps médical avec une colère s’exprimant largement et lourdement contre les magistrats.
Cette situation n’est pas tant, du moins en partie, l’expression du syndrome de la robe noire contre la blouse blanche, du magistrat contre le médecin, mais plutôt et surtout une inadéquation du Droit pénal, Code pénal et Code de procédure pénale, à la spécificité de l’exercice médical.
L’acte médical a ses spécificités, dans l’intentionnalité de bienfaisance, et des circonstances de gravité ou d’urgence dans lequel il peut intervenir, notion que les juges ne prennent pas ou très insuffisamment en considération dans leurs jugements. L’emprisonnement d’un médecin pour des blessures involontaires est douloureusement vécu par le médecin alors que son intention est de soulager, guérir et sauver des vies.
Cette réalité justifie, voire rend nécessaire une refondation de la relation médecin – justice sans remettre en cause le droit constitutionnel du citoyen à recourir à la justice de son pays et bien entendu sans revendiquer une quelconque irresponsabilité pour une faute médicale.
Cette redéfinition concernerait l’exonération du médecin de sa responsabilité pénale au titre de l’article 289 du Code pénal (CP), pour blessures involontaires, et quelques amendements du Code de procédure pénale, notamment en matière d’accès du citoyen à la voie pénale, de l’expertise médicale d’une part et d’autre part la création d’un cadre de règlements extra judiciaire des contentieux médecin et système de santé et patients..
Dépénalisation du médecin au titre de l’article 289 du Code pénal
L’article 289, parmi les plus retenus contre le médecin, dispose que « quiconque, par défaut d’adresse ou défaut de précaution, commet involontairement des blessures entraînant une incapacité totale de travail supérieure à 3 mois, est puni d’un emprisonnement de 2 mois à 2 ans ou une amende de 1000 à 20 000 DA. »
Nombre d’arguments peuvent être légitimement avancés pour soutenir l’exonération du médecin de la responsabilité pénale en cas de blessures involontaires.
1 – Ambiguïté et inadéquation de l’article 289 du Code pénal
Il est à relever d’emblée que le médecin est assimilé à quiconque au titre de l’impersonnalité du droit commun alors que dans la vraie vie le médecin, dans le cadre de l’exercice médical, ne peut être assimilé à quiconque.
L’activité médicale comporte au quotidien des blessures et des atteintes à l’intégrité corporelle des malades prévues à l’article 289 du Code pénal. Au regard d’une lecture littérale de cet article, l’activité médicale tout entière, tout particulièrement en chirurgie, est intrinsèquement délictuelle.
L’activité médicale, dans son écrasante majorité, peut être qualifiée d’infraction pénale. Donc médecins et surtout tous les chirurgiens devraient être poursuivis et condamnés pour blessures involontaires. Dans la réalité, il n’en est rien.
Le médecin est la seule personne autorisée à porter volontairement atteinte à l’intégrité du corps humain, quand bien même il en résulterait une ITT supérieure à 3 mois, sans être sanctionné par la loi pénale alors que pour ce même délit quiconque serait condamné. C’est reconnaître que le médecin, dans son exercice professionnel, ne peut être assimilé au quiconque visé dans l’article 289 et que ce dernier est inadapté. Cet article est en inadéquation avec la spécificité de l’exercice médical.
2 : Le contexte dans lequel interviennent ces blessures :
La rencontre médecin-patient se fait dans un cadre volontaire, professionnel, à la demande du patient ou l’intention première du médecin et celle de la bienfaisance, d’améliorer l’état de santé du malade, de soulager, guérir et sauver des vies dans des situations de gravité ou d’urgence.
Le médecin tout autant que le malade, quand il y a blessures involontaires, compatit avec lui. Le corps médical ne peut comprendre que dans ces circonstances, un médecin soit mis en prison. Il ressent un sentiment d’incompréhension de la part des magistrats et d’ingratitude de la société.
3 : Le risque zéro n’existe pas dans toutes les professions. En faire un préalable ou un objectif constitue une illusion. Il en est de même en médecine, notamment dans certaines spécialités, dans des situations d’urgence ou des situations complexes où le médecin doit prendre des décisions rapides et souvent difficiles.
Les médecins suivent des protocoles et des normes de bonne pratique médicale pour minimiser les risques de blessures involontaires. Cependant, il est impossible d’éliminer complètement tous les risques car chaque patient est unique. Le médecin peut involontairement et dans des situations exceptionnelles de gravité ou d’urgence commettre des blessures involontaires au titre de l’article 289.
4 – Les mises en examen et les condamnations pénales des médecins au titre du 289 du Code pénal ont des conséquences négatives pour les soins de santé et la pratique médicale.
Nous assistons à une désaffection des médecins pour certaines spécialités très pourvoyeuses d’affaires médico-légales, notamment la gynécologie-obstétrique et la chirurgie, pourtant autrefois très prisées.
Les médecins peuvent être dissuadés de prendre des risques nécessaires pour sauver des vies ou d’améliorer la santé des patients de peur de faire face à des poursuites pénales, le risque judiciaire devient plus important que le risque médical.
Cela peut entraîner une diminution de la qualité des soins de santé, car les médecins peuvent être incités à prescrire des traitements plus sûrs mais moins efficaces ou à éviter de traiter des patients atteints de maladies graves qui présentent un risque plus élevé de complications.
Alternative à la dépénalisation du médecin pour blessures involontaires (art. 289 du CP)
Pour toutes ces raisons, le médecin devrait être exonéré de sa responsabilité pénale au titre de l’article 289 du CP. Par conséquent, en cas de faute avec blessures involontaires il faudra privilégier la responsabilité indemnitaire, civile ou administrative, il faudrait privilégier le préjudice et sa réparation plutôt que l’infraction pénale et la punition.
Il est important de noter qu’en Europe et aux Etats-Unis, la plupart des litiges médicaux sont traités sur le plan civil ou disciplinaire. Les tribunaux pénaux ne sont généralement impliqués que dans les cas d’homicide, volontaire ou involontaire
Judiciarisation de l’exercice médical
La judiciarisation de la médecine et le choix de la voie pénale sont liés à la facilité de l’accès à la voie pénale.
1- Il suffit pour le plaignant de déposer plainte auprès d’un officier de police judiciaire, du procureur de la République ou du juge d’instruction ;
2 – elle ne coûte rien au plaignant, l’instruction et les frais inhérents sont supportés par le tribunal ;
3 – en cas de condamnation, le plaignant s’étant porté partie civile, peut bénéficier d’une indemnisation financière conséquente.
Cette facilité de l’accès à la voie pénale explique que le citoyen est tenté de recourir à la voie pénale pour régler des contentieux de santé de gravité minime ou moyenne. Les dépôts de plainte sont dans la majorité suivis d’une mise en examen par le procureur puis d’une ordonnance de renvoi vers la chambre d’accusation par le juge d’instruction et donc la tenue du procès.
L’accès à la voie pénale devrait être encadré autrement afin d’enrayer cette judiciarisation. Cet accès est souvent abusif. Fort heureusement, le procès se termine par une relaxe.
Même relaxé, la mise en examen, le parcours dans les dédales de la justice pénale pendant une durée qui paraît interminable pour le médecin et le procès sont un traumatisme qui laissera toujours des séquelles sur le médecin, sa notoriété et sa carrière professionnelle.
Mise en place d’un cadre officiel de règlement des préjudices par blessures involontaires
La déjudiciarisation passerait par la mise en place d’un cadre officiel extrajudiciaire pour la réparation du préjudice lié aux blessures involontaires par une indemnisation financière.
Ce cadre permettrait d’indemniser les aléas thérapeutiques et les accidents iatrogènes non pris en charge actuellement ni par le droit civil ni par le droit administratif. Cette alternative aux tribunaux permettrait de décharger ces derniers et un règlement plus rapide des contentieux médecins – patients.
Le recours aux tribunaux de droit commun et administratif serait toujours possible en cas d’échec du cadre extra-judiciaire.
Expertise médicale
Bien que tout médecin expert auprès des tribunaux puisse être requis pour une expertise judiciaire, en pratique, les magistrats confient quasi systématiquement les expertises médicales, toutes spécialités médicales confondues, aux médecins légistes, qui le plus souvent ne font pas appel à des sapiteurs.
Par ailleurs, les magistrats ne sont pas tenus d’entériner les conclusions des rapports d’expertises pour leur jugement.
Des amendements dans le Code de procédures pénales devraient obliger les magistrats à juger en fonction de l’expertise et de désigner un collège composé d’au moins deux médecins, un spécialiste dans la spécialité concernée, pour les questions en rapport avec la faute présumée ou réelle et un médecin légiste pour les questions de conformité rédactionnelle de l’expertise médicale.
Conclusion
Eu égard à la spécificité de la profession médicale et des circonstances de gravité et/ou d’urgence dans lesquelles une faute médicale engagerait la responsabilité d’un médecin dans des cas de blessures involontaires, une refondation de la relation médecin – justice devrait pouvoir être envisagée.
Cette refondation devrait passer par une exonération de la responsabilité pénale du médecin en cas de fautes ayant causé des blessures involontaires, donc une dépénalisation du médecin au titre de l’article 289 du Code pénal et le recours à la responsabilité indemnitaire. L’accès à la voie pénale devait être autrement encadré.
La création d’un cadre et des procédures d’indemnisation extrajudiciaire des préjudices liés aux accidents iatrogènes et aux aléas thérapeutiques permettrait de soulager. L’Ordre des médecins devrait être acteur dans cette refondation et au partenaire dans cette nouvelle relation.
*Président du Conseil régional de l’Ordre des médecins de Blida.
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