Depuis quelques jours, la planche à billets, qui n’avait déjà pas très bonne presse, est en passe de perdre ses derniers défenseurs qui prennent tour à tour leurs distances. Le sujet donne lieu à de vifs échanges entre les acteurs impliqués dans le dossier.
Le 1er avril dernier, peu de jours avant de quitter la Banque d’Algérie pour rejoindre le ministère des Finances, Mohamed Loukal avait jugé utile de faire publier une note dans laquelle la Banque centrale sort de sa réserve habituelle en révélant qu’elle avait exprimé, voici près de 2 ans, son opposition à l’amendement de l’ordonnance sur la monnaie et le crédit qui a ouvert la voie à la mise en œuvre de la planche à billets.
Le document, rédigé sous la supervision de M. Loukal, cite longuement les arguments présentés à l’époque au gouvernement et qui désapprouvaient cette démarche.
L’ancien Gouverneur de la Banque d’Algérie confirme également avoir présenté des propositions alternatives s’appuyant sur la conviction que « les instruments conventionnels de politique monétaire n’avaient pas atteint leurs limites ».
On connait la suite. Le gouvernement Ouyahia, ignorant les objections de la Banque centrale, a imposé en octobre 2017 l’introduction de l’article 45 bis dans l’Ordonnance sur la monnaie et le crédit, ouvrant la voie à « l’impression » de quantités énormes d’argent : l’équivalent de 55 milliards de dollars, selon le dernier décompte.
Quand Mohamed Loukal tente de laver les mains de l’Exécutif
Malheureusement, Mohamed Loukal ne se contente pas d’apporter ces révélations importantes. Dans ce qui s’apparente beaucoup à un règlement de compte et à une tentative maladroite de laver les mains de l’Exécutif, il attribue la principale responsabilité de la mise en œuvre de la planche à billets à « certains experts, faisant partie d’une task force installée auprès de la Primature » qui ont eu, selon lui, le tort d’avoir, dès avril 2017, « recommandé, avec insistance, comme une des solutions, face à la détérioration de la liquidité bancaire et aux difficultés de financement de l’économie, le recours au financement dit non conventionnel ».
Selon nos informations, dans son document, Mohamed Loukal cible particulièrement deux experts : Raouf Boucekkine et Nour Meddahi. Le premier en tant que membre de la fameuse task force. Le second pour avoir écrit dans une tribune publiée début mars : « La politique budgétaire de l’Exécutif et la politique monétaire de la Banque d’Algérie mènent de manière certaine le pays vers l’effondrement sur le plan économique et le recours au FMI ». Une phrase qui avait suscité une vive colère de l’ancien Gouverneur de la Banque d’Algérie.
Curieusement, la responsabilité, éminente, du gouvernement Ouyahia n’est jamais évoquée explicitement par l’ancien Gouverneur qui préfère s’en prendre à ses conseillers présumés.
La démarche de l’actuel ministre des Finances consistant non seulement à dégager la responsabilité de la Banque d’Algérie mais également à minimiser celle du gouvernement Ouyahia a certainement de quoi choquer et présente toutes les apparences d’une fuite de l’Exécutif devant ses responsabilités.
Boucekkine et Meddahi dénoncent
Dans une lettre intitulée « Enfumages et petites vengeances », les économistes Raouf Boucekkine et Nour Meddahi réagissent, ce jeudi 18 avril, à leur mise en cause directe par l’ancien Gouverneur de la Banque d’Algérie.
Dans leur lettre, les deux experts dénoncent avec vigueur l’attitude qui vise à les présenter comme « les mains sales qui ont poussé à embrasser ce mode de financement comme religion exclusive ».
Les deux professeurs algériens assument leur propositions formulées au printemps 2017 et affirment : « Non seulement nous sommes les auteurs de la note classée, dévoilée sans vergogne par M. Loukal, mais nous revendiquons encore aujourd’hui que dans les circonstances de cette sombre période, le financement monétaire était indispensable ».
Mais, la précision est bien sûr essentielle, Boucekkine et Meddahi rappellent que « le recours à ce financement doit être fait sous des conditions drastiques (et certainement pas au montant ahurissant qui a été tiré), et surtout dans le cadre d’une politique macroéconomique globale reposant sur l’ajustement budgétaire graduel et la diversification des sources de financement de l’économie ».
Ils ajoutent d’ailleurs que les chiffres communiqués par la dernière note de la Banque d’Algérie constituent un nouvel « enfumage » et minimisent les montants de financement réellement injectés dans l’économie.
Ce qu’on peut retenir pour l’instant de plus positif de cette polémique provoquée par l’actuel ministre des Finances, c’est que la planche à billets n’a plus beaucoup de supporters et a apparemment perdu le dernier d’entre eux avec le départ d’Ahmed Ouyahia.
S’agit-il du prélude à son abandon ou au moins au ralentissement du rythme du financement purement monétaire de l’économie ? La réponse est pour l’heure entre les mains de l’actuel gouvernement.
Document : la note d’avril 2017 envoyée par Meddahi et Boucekkine à Sellal