C’est là une caractéristique propre du gouvernement algérien : ne jamais se dédire. Son adage : avoir toujours raison et, souvent, envers et contre tous.
L’option prise, au lendemain du retour d’Ahmed Ouyahia à la tête de l’Exécutif, pour le financement non conventionnel pour combler les déficits budgétaires et, disait-on, booster l’économie algérienne, en est une parfaite illustration.
Les critiques ont beau fuser de partout, y compris de certaines personnalités qui ne peuvent aucunement être soupçonnées d’avoir des atomes crochus avec l’opposition, Chakib Khellil et Abderrahmane Benkhalfa pour ne citer que ces deux anciens ministres, Ouyahia et son équipe restent droits dans leurs bottes. Sourds et placides.
Pas plus loin que lundi 3 juillet lors de son passage à la radio chaine3, le ministre des Finances Abderrahmane Raouya a défendu contre vents et marrées la justesse du choix du gouvernement de recourir à la planche à billets en rejetant, à nouveau, d’un revers de la main tout recours à l’endettement extérieur, sauf pour financer les grands projets comme le nouveau port de Hamdania, à Tipasa.
Quid des poussées inflationnistes qui découleraient d’une telle option qui, de son propre aveu, « n’est pas sans risques »? Imperturbable, le premier argentier du pays a assuré que le « risque est mesuré » et que le gouvernement a « pris l’ensemble des règles de rigueur, pour pouvoir maîtriser cet aspect du financement non conventionnel ».
« Pour l’instant, nous sommes sur ce crédit interne, nous le maîtrisons, bien évidemment en essayant d’utiliser l’ensemble des voies et moyens, que ce soit le recours aux prêts bancaires ou par le biais du Fonds national d’investissement », insistait-il, non sans un chiffre pour conférer plus de crédibilité à sa thèse : « Jusqu’à maintenant, nous avons un taux d’inflation qui tourne autour de 4% ».
Façon à lui de joindre sa voix à celle du patron de l’Exécutif qui s’était ouvertement gaussé des mises en gardes des experts qui ont prévu un taux d’inflation à deux chiffres, en lâchant, un tantinet triomphaliste : « Cette tendance à la baisse de l’inflation montre que la planche à billets, contrairement à l’avis des experts, n’est pas inflationniste. Ils se sont trompés ».
Sauf que nombre de spécialistes ont douté de la méthode de calcul du taux d’inflation sur la base d’un panier de la ménagère non actualisé.
« Quand on prend en considération les produits de large consommation, on n’est pas à 5%, mais à 10, voire 15% d’inflation. Il ne faut pas oublier que l’augmentation des carburants a fait boule de neige : augmentation des tarifs de transport urbain, augmentation des prix des grossistes et des détaillants, laquelle n’est guère proportionnelle au niveau des hausses des carburants ou du tickets de bus », a expliqué le consultant Zoheir Boudehri sur les colonnes de Liberté.
Un autre expert a lui désigné du doigt le recours abusif du gouvernement à la planche à billets. Le professeur d’économie Nour Meddahi, lui, a plutôt reproché au gouvernement d’avoir fait dans l’excès dans son recours à la planche à billets en ne s’expliquant pas l’ « énorme » gap de 1700 milliards de dinars de dépenses retenues dans la loi de finances 2018 par rapport aux prévisions de 2017 pour l’année en cours.
« Lorsqu’un malade va voir un médecin et que ce dernier lui dit de prendre un comprimé d’un médicament et que le patient en prend trois, alors c’est le problème du patient pas celui du médecin », a-t-il schématisé dans un entretien accordé mi-juin dernier à Radio M.
Fait important : les détracteurs du gouvernement ne se recrutent pas seulement dans les seuls rangs des experts. D’anciens ministres ont été de la partie.
En décembre dernier déjà, l’ancien ministre de l’Énergie Chakib Khelil ne s’est pas privé de porter la contradiction à Ahmed Ouyahia en avertissant sur les effets néfastes du recours (dépréciation du dinars et taux d’inflation) au financement non conventionnel. Ne s’arrêtant pas là, il a estimé que le gouvernement aurait dû privilégier d’autres solutions comme le recours à l’endettement interne (émission des bons du Trésor sur le marché financier local), l’amélioration des recouvrements fiscaux et absorption des fonds de l’informel.
Et à Chakib Khelil de faire part de sa recette miracle : le passage à un nouveau dinar qui, selon lui, aura le don de canaliser les fonds de l’informel et de limiter l’inflation.
Des critiques qui ont laissé de marbre un Ahmed Ouyahia qui, engoncé dans ses certitudes, ne compte pas abandonner, en cours de route, la solution dont il dit qu’elle émane du président Bouteflika, en assurant, en avril dernier, qu’« il reste encore un long chemin à parcourir d’autant plus que nous sommes engagés à atteindre un équilibre du budget en 2022 ».
La Banque Mondiale, dans son rapport publié en avril, a mis en garde qu’il « sera toutefois difficile de résister à la tentation de retarder à nouveau ce rééquilibrage, même si le pays se dirige vers une crise financière déclenchée par le recours au seigneuriage pour financer le déficit budgétaire ».
Et c’est avec le même détachement, pour ne pas dire mépris, que sont accueillis les mises en garde du Fonds monétaire international (FMI) qui, dans un rapport publié en mars dernier, a soutenu que le recours à la planche à billets risque d’ « aggraver les déséquilibres, accentuer les tensions inflationnistes et accélérer la perte de réserves de changes ».
L’alternative ? Les experts de l’institution de Bretton Woods ont alors proposé de « recourir à un large éventail d’instruments de financement, notamment l’émission de titres de dette publique au taux du marché, des partenariats public-privé, des ventes d’actifs et, idéalement, d’emprunts extérieurs pour financer des projets d’investissements bien choisis ».
Sacrilège! Cette dernière proposition a fait dresser les cheveux d’Ouyahia et de son ministre de l’économie qui ont rejeté d’un revers de la main tout emprunt extérieur en invoquant la souveraineté de l’Algérie dans ses choix économiques.
« Nous sommes souverains à choisir notre voie », s’est exclamé, lundi, M. Raouya avant de lancer, presque cassant : « tout endettement externe est carrément exclu ».
Sauf, a-t-il nuancé, dans le cas exceptionnel « d’investissements forts avec des rendements appréciables ». Clair, net et précis : pas de prise risques dans une conjoncture difficile et fort imprévisible.
Quid du bon sens économique qui recommande, même en période de crise, d’investir au lieu de thésauriser et de faire preuve d’audace au lieu de rester figé dans ses peurs ? Ça pourrait attendre.
Les décideurs économiques ne veulent pas oser. Pour schématiser, le gouvernement donne l’air d’un conducteur pusillanime qui, par crainte d’accident, préfère rouler à moins de 100 Km/h, avec cette réconfortante assurance de maitriser son véhicule, pendant que le reste des automobilistes roulaient à 140 ou 160 Km/h. Question : le gouvernement, avec sa hantise de préserver la paix sociale, ne fait-il pas dans le court-termisme et de parer au plus pressé au lieu de privilégier des solutions réelles, peut-être douloureuses et coûteuses présentement mais sont à même de remettre le pays, à moyen terme, sur de bons rails ? C’est en tout cas le sentiment que donne sa gestion des affaires économiques.