Le PLFC 2018 a été finalement adopté hier lundi par les députés de l’APN. Rarement un projet de loi budgétaire aura connu autant de péripéties.
Tout le monde s’y est mis. D’abord un veto présidentiel à deux reprises, sur la concession des terres agricoles aux étrangers et sur les tarifs des documents biométriques.
Même les députés, d’habitude si dociles, se sont révoltés en annulant le projet de rétablissement de la TVA sur les véhicules assemblés en Algérie.
Le projet de loi présenté au début du mois de mai n’aura en fin de compte été adopté par les députés qu’en fin juin. Son parcours parlementaire n’est pas achevé et il lui reste encore à passer devant les sénateurs. Autant dire que la loi aura bien du mal à entrer en vigueur comme prévu au 1er juillet 2018.
L’ensemble du processus a été accompagné d’une véritable guerre de communication à laquelle ont participé à la fois les « fuites médiatiques », les réactions du Premier ministère et des membres du gouvernement ainsi que celles des partis politiques.
Au bout du compte, les conséquences sur la politique budgétaire du gouvernement sont sérieusement embrouillées et méritent certainement une tentative d’éclaircissement.
La Bérézina du ministère des Finances
On peut d’abord noter que le projet initial du gouvernement avait pour mérite essentiel, dans un contexte de redressement des cours pétroliers, de chercher à maintenir le cap sur l’augmentation des recettes de la fiscalité ordinaire.
Peu de commentateurs semblent avoir noté dans ce domaine que les recettes de la fiscalité ordinaire ont baissé au cours des premiers mois de l’année selon des informations livrées très officiellement par le ministère des Finances voici quelques semaines.
Une performance en total décalage avec les objectifs officiels du gouvernement qui table sur une augmentation de près de 10% par an d’ici 2020. C’est sans doute d’ailleurs le motif essentiel qui a poussé le ministère des Finances à proposer une loi de finances complémentaire dès le printemps dernier.
Malheureusement, le ministère des Finances s’est compliqué la vie. Au lieu de s’attaquer au gisement de la fiscalité sur les carburants, quasiment indolore et extrêmement productif en matière de recettes, il a préféré se tourner vers des solutions qui se sont avérées de véritables impasses.
L’augmentation considérable, et déraisonnable, des droits de timbre sur les documents biométriques ou le rétablissement, très impopulaire, de la TVA au taux maximal sur les voitures ont été logiquement censurés.
En bout de course, le résultat pour les recettes ordinaires de l’État a toutes les apparences d’une véritable Bérézina. L’ancien DG des impôts qu’est Abderahmane Raouya, qui a porté et défendu son projet jusqu’au bout, a de bonnes raisons de se faire du souci : 2018 ne sera pas une bonne année pour la fiscalité ordinaire.
Il pourra toujours se consoler en constatant l’augmentation de la fiscalité pétrolière. C’est d’ailleurs ce qu’il vient de faire voici 48 heures à peine devant les députés.
M. Raouya a annoncé que « le recouvrement fiscal a enregistré une hausse de 18% durant les quatre premiers mois de 2018, réalisant ainsi une nette amélioration qui réduira les pressions du financement du trésor public ». Le ministre n’a pas jugé utile de préciser que cette amélioration est imputable en totalité à la hausse du prix du baril.
Le tour de magie de l’augmentation des dépenses
Les nouvelles taxes, proposées puis finalement abandonnées, ont capté l’essentiel de l’attention du public et des commentateurs durant près de 2 mois .Pendant ce temps, le volet dépenses de la loi de finances complémentaire est à peu près passé inaperçu.
C’était d’ailleurs un peu l’objectif du gouvernement qui s’est livré dans ce domaine à un véritable tour de passe-passe.
Il faut commencer par rappeler que la loi de finances initiale pour 2018 est caractérisée principalement par une véritable explosion des dépenses publiques, prévue en hausse de 25%, avec des dépenses d’équipement qui devraient augmenter de près de 60%.
Un chiffre sans précédent connu dans l’histoire économique de notre pays et qui a conduit le FMI à évoquer dans ses derniers rapports une politique budgétaire « expansionniste ».
C’est sur cette toile de fonds que la LFC 2018 a rajouté une nouvelle couche de dépenses de 500 milliards de dinars (environ 4,5 milliards de dollars).
Il ne s’agit pas de nouvelles dépenses, assure avec véhémence le Premier ministre. Juste de nouvelles « autorisations de programmes ». Ou est la différence ? « Les dépenses ne seront pas financées par le budget de l’État mais par le Fonds National d’Investissement (FNI) ».
Explications : jusqu’à la fin de l’année dernière , le FNI tirait ses ressources des dotations du budget de l’État. Depuis la loi sur le financement non conventionnel adoptée en octobre dernier, c’est la planche à billets qui a pris le relais pour une période de 5 ans.
L’État finance donc des programmes d’équipement mais sans que ces dépenses ne soient inscrites au budget. Un tour de magie digne des meilleurs illusionnistes.
Mohamed Loukal évoque le « défi de la stabilité des prix »
L’épisode le plus récent de ce feuilleton financier s’est déroulé hier lund. Le jour-même où les députés adoptaient le PLFC 2018, l’agence officielle indiquait que le Gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Loukal, a déclaré devant les PDG des banques, au cours d’une réunion organisée jeudi, que le principal défi pour son institution était de continuer à « assurer la stabilité des prix dans un environnement de surplus de liquidités substantiels et persistants causés notamment par le financement non conventionnel » .
Le Gouverneur de la Banque d’Algérie livre quelques chiffres très éclairants. À fin octobre dernier la liquidité bancaire était au plus bas à 480 milliards de dinars et le solde du Trésor public à la Banque d’Algérie ne dépassait pas 51 milliards de dinars. À peine de quoi assurer quelques semaines de dépenses.
La planche à billets a tout changé et le gouvernement en a déjà exploité abondamment toutes les possibilités en moins d’un semestre : paiements, dans l’urgence, des arriérés dus aux entreprises dès la fin 2017.
Remboursement, début 2018, des montants dus à Sonatrach au titre de la subvention des carburants et « sauvetage » de la BNA dont les comptes étaient plombés par les dettes de Sonelgaz. Avec la LFC 2018, c’est désormais la possibilité de financer les investissements du FNI qui vient de recevoir un feu vert.
Commentaire de M. Loukal : « L’impact immédiat et le plus visible du recours au financement non conventionnel est la transition rapide d’un déficit de liquidité du système bancaire, dans son ensemble, vers un excédent substantiel de liquidité qui s’est élevé à environ 1.500 milliards de DA dans les premiers mois de 2018 ».
En même temps, le compte du Trésor à la Banque d’Algérie a été approvisionné très généreusement et son solde s’élèverait actuellement suivant différentes sources à près de 900 milliards de dinars.
La Banque d’Algérie dans le rôle du pompier
Pour contenir le risque inflationniste, dont le gouvernement continue avec obstination de nier l’existence, la Banque d’Algérie assure, depuis le début de l’année en cours, le rôle du pompier.
Les opérations de reprise de liquidité ont débuté depuis le 8 janvier dernier. En janvier 2018, toujours, la Banque d’Algérie a augmenté le taux des réserves obligatoires de 4% à 8% avant de le faire passer à 10% en mai dernier.
M. Loukal se veut rassurant : « L’utilisation appropriée de ces instruments devrait permettre de stériliser l’excédent de liquidité induit par le programme de financement monétaire ».
Au cours des prochains mois, a-t-il tenu à préciser, la Banque d’Algérie « continuera à suivre de près tous les développements macroéconomiques et monétaires et ajustera, si nécessaire, les paramètres de l’ensemble des instruments à sa disposition pour assurer la stabilité des prix ».