Le discours à la nation du 6 juin du chef de l’Etat par intérim a surtout répondu à une exigence de procédure le confirmant dans sa charge, par suite de l’avis du conseil constitutionnel.
Qu’en est-il sur certains aspects de fond ?
- D’abord, à propos de « l’ampleur de la responsabilité » qui lui incombe. Celle-ci a été déposée sur les épaules du Chef de l’Etat par intérim par le conseil constitutionnel, pour une durée indéterminée, jusqu’à l’élection du nouveau Président de la République.
Or cette charge est écrasante pour diriger un pays malade de sa gouvernance. Elle en a souffert pendant les deux derniers mandats du Président Bouteflika. Le pire était à craindre n’eût été le sursaut de dignité du peuple algérien face à la conspiration du 5ème mandat. Que le pouvoir retienne la leçon des implications dramatiques pour la Nation d’un handicap physique lourd du Chef de l’Etat.
Aujourd’hui, plus que jamais, l’Algérie a besoin d’une gouvernance en bonne santé. D’un chef de l’Etat proche du peuple pour conduire cette transition vers l’élection présidentielle. Passer le relais à un homme d’Etat en pleine possession de ses capacités est un impératif d’Etat. Pareil geste de « sagesse » de sa part serait applaudi comme un signe de lucidité et de courage politique. Cela rendrait un grand service à la « patrie ». Il reviendrait au conseil constitutionnel d’inventer une « fatwa » pour pourvoir au remplacement.
- Au sujet du dialogue avec la société civile, je pense que le pouvoir a inversé la situation. En invitant la société civile et politique à désigner ses représentants, il voudrait diminuer son impact sachant que la réalisation d’un consensus en son sein sera des plus laborieux.
De son côté, l’Etat lui-même n’a plus en réserve de figure acceptable et crédible pour engager ce dialogue. Le « gouvernement » actuel a été nommé par effraction dans des conditions troubles par le président démissionné. Ce « gouvernement » est persona non grata à travers le territoire national. Maintenir ce gouvernement, c’est prolonger l’instabilité et mettre en jeu la sécurité nationale. La première des menaces est la faiblesse du pouvoir civil.
Face à un pouvoir évanescent, le peuple mène un monologue hebdomadaire dans la rue face aux forces de l’ordre. Face à cette impasse, il n’y a guère d’autre alternative qu’un changement de gouvernement. Seul un gouvernement composé de personnalités nationales et de compétences pourrait sortir le pays du tunnel « constitutionnaliste » dans lequel il a été engagé.
C’est une impasse dont on commence à suspecter le caractère volontaire.
- Depuis l’indépendance, l’épouvantail du complot extérieur est agité. Mais lorsqu’ on se tourne vers nos réalités, on se rend compte que ce sont les complots intérieurs qui ont plongé le pays dans ses multiples tourmentes.
Provoquant des victimes par dizaines de milliers. La dernière intrigue en date n’est rien d’autre que celle du 5ème mandat, désamorcée grâce au sursaut de dignité du peuple algérien.
- Je relève que dans ce discours à la nation, aucune mention n’ait été faite aux poursuites judiciaires en cours.
Pourquoi est-ce l’institution militaire qui évoque ces poursuites, et non le chef de l’Etat ? C’est pourtant une dimension essentielle dans un processus de mise en confiance dans le pouvoir.
- Plus inquiétant, les insubmersibles satellites du système se repositionnent dans la perspective de la prochaine élection, tandis que les figures potentiellement présidentiables restent en dehors d’un jeu piégé. C’est donc un front électoral lourd de conséquences.
Un chef de l’Etat payant de sa personne, fût-il intérimaire, devrait commencer par déminer le terrain pour que le scrutin présidentiel soit crédible. La mission d’un Chef de l’Etat va au-delà de celle d’un chargé de mission.
Le pouvoir se doit d’être à la hauteur de ce moment historique. Le Chef de l’Etat a la destinée du peuple algérien et les rênes de l’Etat entre les mains pour un temps indéterminé. Il faut espérer que l’échéance symbolique et politique du 5 juillet puisse être exploitée par le pouvoir comme une ultime sortie d’impasse prenant acte de la volonté populaire. Le sort de l’Algérie en dépend.
*Halim Benattalah est ancien Ambassadeur