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Polémique Boudjedra- Kamel Daoud : les écrivains évoquent « la maladie intellectuelle »

Polémique Boudjedra- Kamel Daoud : les écrivains évoquent « la maladie intellectuelle »

La polémique suscitée par la publication du pamphlet de Rachid Boudjedra, « Les contrebandiers de l’Histoire », paru aux éditions Frantz Fanon, s’est invitée au 22Salon international du livre d’Alger (Sila) qui se déroule jusqu’au 05 novembre au Palais des expositions des Pins maritimes. Accusé d’avoir appartenu au GIA, dans les années 1990, l’écrivain Kamel Daoud a déposé une plainte contre Boudjedra.

Dans le pamphlet, disponible au Sila, l’auteur de « Les figuiers de Barbarie »  accuse plusieurs romanciers algériens d’être à la solde de l’ancienne puissance coloniale, la France, à travers leurs écrits et leurs prises de position publiques.

« C’est triste que la polémique atteigne le caniveau. Boudjedra est un écrivain de talent. Il n’avait pas besoin de rabaisser les autres. On peut avoir des différences d’opinion importantes. Mais de là à insulter les autres, il y a une limite à ne pas franchir », réagit le romancier Anouar Benmalek.

« Nous sommes un pays où il y a peu d’écrivains. Si en plus, on se met à s’insulter, c’est vraiment triste. D’autant plus triste pour quelqu’un comme Boudjedra qui aurait dû assumer une place de patriarche de la littérature algérienne », ajoute-t-il.

On peut, selon lui, dire des choses aux gens sans recourir à des mots blessants. « L’accusation d’avoir appartenu au GIA est très grave. C’est une accusation meurtrière. Les GIA étaient des assassins. Accuser un homme d’être un assassin, c’est grave surtout que cette personne a des enfants, une famille. On ne lui laisse pas de chance », condamne Anouar Benmalek. Il a estimé qu’il existe beaucoup de sujets qui méritent un débat en Algérie. « Et un débat acharné mais dans le respect», soutient-il.

« Ne pas toucher la dignité des gens »

Waciny Laredj, romancier et universitaire, va dans le même sens. « S’il y avait un vrai débat, on aurait dit que c’est positif, que la polémique est positive. Boudjedra a le droit d’aborder cette question mais qu’il le fasse dans le respect. Il ne faut pas toucher la dignité des gens », estime-t-il en marge d’une vente-dédicace de son nouveau roman « Les nuits de Isis Copia », paru aux éditions Enag à Alger.

Il n’y a pas, selon lui, que la littérature francophone qui a eu parfois « un traitement négatif » de l’Histoire algérienne. « Même la littérature arabophone a eu sa part. Seulement, il faut en discuter dans le cadre d’un échange. Je refuse les attaques contre les personnes », dit-il.

« Un écrivain n’est pas là pour représenter son pays »

La romancière Kaouther Adimi, elle, ne lira pas le pamphlet de Rachid Boudjedra. « Ce pamphlet-là ne me tente pas du tout. Ce qui me gêne, c’est surtout l’accusation de Boudjedra sur Kamel Daoud à propos de son appartenance au GIA. Je trouve cela atroce. Je comprends que Kamel Daoud ait déposé plainte. J’ai lu des extraits et je m’interroge ce que fait Boudjedra dans ce projet-là. Je ne comprends pas du tout l’objectif de son pamphlet et pourquoi il s’attaque aux écrivains », dénonce-t-elle.

« On peut aimer ou ne pas aimer ce qu’écrit Kamel Daoud ou ce que j’écris. Ce n’est pas un problème. Les écrivains ont une voix. Elle est peut-être singulière, mais c’est une voix. Nous n’empêchons personne d’écrire ou de publier. Ce qui m’interpelle dans cette affaire, c’est que les écrivains sont beaucoup plus critiqués que les politiques. C’est cela qui est extrêmement gênant », poursuit-elle.

Prenant la défense de Kamel Daoud, Kaouther Adimi a l’impression que quarante millions d’algériens attendent que l’auteur de « Zabor ou les psaumes » se plante pour qu’ils réagissent. « On a l’impression qu’il y a une espèce d’attente à l’égard des écrivains qui est anormale. Le curseur n’est pas au bon endroit. Un écrivain n’est pas là pour représenter son pays. Ce n’est pas un VRP de l’Algérie ou cadre du ministère du Tourisme », corrige-t-elle.

Jeu de ping-pong

Les interviews des auteurs algériens vivant en France relèvent, selon elle, d’un jeu compliqué. « C’est toujours un jeu de ping-pong entre les journalistes français et les écrivains étrangers surtout arabes, africains. Evidemment, on est toujours tendu quand on répond aux questions. Nous avons en face de nous des gens qui connaissent très mal le pays ou la situation. Du coup, il est difficile de répondre aux questions sans tomber dans le cliché. Quand on me pose la question : comment est l’Algérie aujourd’hui ? C’est une question sociologique, historique et politique. Une question vaste. Quoi que je réponde ça n’ira pas parce qu’on prendra cela comme une vérité générale. C’est cela le problème en France. Lorsqu’un écrivain algérien prend la parole en public, on considère cela comme une vérité générale. Un écrivain donne son avis à titre individuel. Ce que je dis, c’est ma vision à moi. Lorsqu’un écrivain français parle, on ne dit jamais qu’il donne une vision générale de la France. On sait qu’il est dans l’individualité », se défend Kaouther Adimi qui a signé au Sila son dernier roman « Nos richesses », paru aux éditions Barzakh à Alger.

« Absence des espaces de débat »

« Cette polémique ne sert à rien. Il y a une maladie intellectuelle qui est dû à l’absence des espaces de débat. Ces fléaux vont disparaître avec la multiplication des espaces de débat. Je respecte beaucoup Rachid Boudjedra mais à mon sens, il n’avait pas le droit de dire ce qu’il a affirmé sur notre ami Kamel Daoud. Il s’agit de deux grands écrivains que j’aime. Il faut qu’on se respecte. Je ne donne de leçon à personne. Boudjedra aurait dû faire une critique sur le texte et pas sur la personne », estime, pour sa part, Amin Zaoui. L’écrivain vient de publier un nouveau roman « L’enfant de l’œuf » aux éditions Barzakh à Alger.

« Je sens qu’il y a un peu d’enfantillage »

Rabéa Djalti, pour sa part, rappelle qu’elle a été la première à avoir défendu Kamel Daoud après les accusations de l’activiste salafiste Abdelfatah Hamadache en décembre 2014.

Hamadache avait notamment appelé à « condamner à mort » l’écrivain. « J’ai également défendu Rachid Boudjdra lorsqu’il a été attaqué dans une émission d’Ennahar TV (caméra cachée durant le mois du Ramadhan 2017). Tous les écrivains subissent l’arbitraire. Je sens qu’il y a un peu d’enfantillage dans cette affaire, dans cet échange d’accusations entre les écrivains. Kamel Daoud est un romancier algérien important. Il est créatif. Idem pour Rachid Boudjedra. Le mieux est que l’échange se fasse par les livres, par le travail et par la création », recommande-t-elle, tout en reprochant à Boudjedra d’être tombé bas. Écrire en arabe ou en français, selon elle, n’a aucune signification. « Nous avons tous besoin d’écrire sur notre société algérienne quelle que soit la langue. Nous devons défendre cette société en l’aidant à faire sortir sa tête de sous l’eau », estime Rabéa Djalti qui vient de publier un récit, « Parcours d’une passion » (Masiratou chaghaf) aux éditions Hibr à Alger.

 

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