Société

Port du masque obligatoire : comment les Algériens s’adaptent

Afin de lutter contre la propagation du Covid-19, l’Algérie a décidé de rendre obligatoire le port des masques dans l’espace public depuis le 24 mai, premier jour de l’Aïd El-Fitr.

Les pouvoirs publics ont annoncé que les bavettes et autres masques seront disponibles à des prix ne dépassant pas les 40 DA.

Le port de cet accessoire s’est-il généralisé ? Son prix est-il accessible à tous ? Les Algériens ont-ils pris conscience de l’importance de porter un masque tout en maintenant la distanciation physique ? Comment s’adaptent-ils à cette nouvelle obligation ? Petit tour d’horizon au cœur de la capitale.

Premier constat : dans la rue et les espaces publics tels que les marchés et certains commerces, une personne sur deux porte une bavette, mais pas toujours selon les recommandations de l’OMS.

Les masques pendouillent sur le cou ou sont carrément fixés sur le front ou le menton. D’autres déambulent en les tenant à la main ou en les accrochant au bouton de leur chemise comme un étendard.

« Je le mets le matin, et au bout d’une demi-heure je suffoque, nous lance Mohamed, vendeur de fruits et légumes au marché Ferhat Boussaad (ex-Meissonnier), alors je le descends sur le menton pour mieux respirer », se justifie-t-il.

A un jet de pierre de ce marché, les bancs des deux placettes en face du cinéma Sierra Mastra sont tous occupés. Un côté pour les hommes et un autre pour les femmes. Quelques personnes seulement portent la bavette.

Un groupe de jeunes, visage découvert et sans aucun respect des gestes barrières, se raconte des blagues en riant aux éclats. Fouad (27 ans) arrive à bord de son scooter. Il ne porte pas de bavette. Quand nous lui demandons s’il n’a pas peur d’être infecté par le Covid-19, il nous sort un masque tout chiffonné de sa poche et le triture dans tous les sens.

« Je le garde à proximité juste comme ça. Je ne crois pas à l’existence de cette maladie. Le coronavirus prendrait peur et se taillerait sans demander son reste, s’il venait faire un tour en Algérie », se moque-t-il.

Partage de bavettes

A la rue Akli Said, Abdelwahab (65 ans) tient une boutique de textile et linge de maison. Sur sa vitrine, il a placardé une affichette « Pas plus de 3 personnes et port du masque obligatoire ».

Le sexagénaire porte lui-même un masque. « Je ne badine pas avec le protocole sanitaire. Aucun client ne passe le seuil de ma boutique sans bavette. Moi-même j’achète des masques que je porte toute la journée en dépit du fait que ça gène ma respiration. La santé n’a pas de prix”, explique-t-il.

Et d’ajouter : “Je suis sidéré de voir tous ces gens qui ne portent pas de bavette et qui s’agglutinent entre eux dans les lieux publics. Certains se les échangent aussi pour pouvoir rentrer dans des lieux publics comme les postes ou les mairies. C’est très grave ! Où sont les sanctions contre les contrevenants ? Les autorités devraient dresser des amendes ! C’est le seul moyen de nous en sortir avec ce satané virus ».

Prix abordables, dites-vous ?

Dans les pharmacies les masques sont disponibles mais pas à la portée de tous.

A la pharmacie Mimouna (Sacré Cœur), les masques en tissu (lavables) sont proposés à 300 DA, et entre 50 à 65 DA pour les jetables. Par ailleurs, ils ne sont pas toujours disponibles ! Lors de notre passage, il ne restait plus que les masques en tissu.

« Les grossistes fixent les prix et les revendeurs prennent leur marge à leur tour. Nous en achetons au compte-goutte », explique Lamia Mimouna, la patronne de cette officine.« Et dire qu’avant la pandémie du Covid-19, leur prix ne dépassait guère les 10 DA ! » constate- elle.

Dans cette pharmacie, des autocollants et des bandes adhésives ont été collés au sol pour signaler aux clients la nécessité de maintenir la distance sociale entre eux.

Des vitres en plexiglas ont également été installées sur le comptoir afin d’éviter tout risque de contamination pour les employés.

« Les clients qui rentrent chez nous sont dans l’obligation de porter un masque. Un vigile, installé à l’entrée y veille scrupuleusement. C’est la loi, et il faut la respecter pour la santé de tout le monde », note la pharmacienne

Masques en plexiglas à 4.500 DA

Good Pharma (à proximité de l’annexe de l’APC de Sidi M’hamed) dispose de toute une panoplie de masques. Bavette jetable : 80 DA ; masque en tissu lavable : 130 DA ; masque avec filtre : 350 DA (recharge : 1.900 DA, à changer tous les trois mois)…

Dans cette enseigne, on trouve également des visières en plexiglas d’importation vendues 4.500 DA. Abdelkader Boussouf, gérant de cette enseigne, nous assure que ce genre de produit est très demandé actuellement.

« Des médecins et des particuliers m’en achètent pour se protéger du coronavirus. Ces visières constituent une vraie barrière contre les gouttelettes et protègent tout le visage » précise-t-il.

Abdelkader pointe du doigt l’augmentation des prix des masques chez les revendeurs depuis le début de la crise sanitaire « A titre d’exemple, les masques filtrants de type FFP2 étaient proposés à 150 DA, contre 500 DA l’unité aujourd’hui. D’où les prix élevés de ces accessoires dans certaines pharmacies ».

Les prix des bavettes et autres masques ne répondent à aucune logique. Un pharmacien situé sur le Boulevard Krim Belkacem (Telemly) se dit outré par la spéculation des grossistes.

« Ils sont passés m’en proposer à 70 DA alors que chez le kiosque tabac-journaux à côté, les bavettes sont vendues à 40 DA seulement. C’est juste une aberration ! ».

“Je n’a pas les moyens”

Pour d’autres citoyens, acheter des masques de protection n’est pas dans leurs moyens. « Je suis un petit smicard qui arrive à peine à joindre les deux bouts. Je n’ai vraiment pas les moyens d’acheter ces accessoires ni pour moi, ni pour mes enfants. Je m’en remets à Dieu pour me protéger », confie Saïd (55 ans).

Nous avons également fait un tour à Ain Naadja. Dans le quartier “Safsafa”, les commerces de matériaux de construction (dalles de sol, faïences…) ont rouvert leurs portes.

Ils attirent des dizaines de clients par jour. Pas de limitation de personnes dans les magasins ni d’obligation du port de masque. La plupart des vendeurs, lorsqu’ils ont en un, le mettent au niveau du front ou du menton ou le suspendent à l’oreille.

Dans un dépôt de matériaux de construction, nous avons rencontré Amar. C’est lui qui charge les cartons de marchandise dans les voitures des clients. Le quinquagénaire ne porte pas de masque.

« C’est au patron de m’en fournir. Je gagne à peine trois sous, il ne manquerait plus que je consacre un budget pour ce genre de babioles, au lieu de nourrir mes enfants », lâche-t-il.

Les sanctions contre le non-port du masque dans les espaces publics durant cette crise sanitaire sont prévues. Selon le Code pénal, les contrevenants s’exposent jusqu’à cinq ans de prison et 500.000 DA d’amende.

Entre ceux qui refusent de s’étouffer sous un bout de tissu et ceux qui le portent sous le menton ou sur le front, les agents de l’ordre ont de quoi faire ! Pour le moment, les autorités semblent avoir opté pour la sensibilisation à la place de la répression, pour inciter les citoyens à porter le masque en dehors de la maison, mais la situation peut changer si le gouvernement décide d’entamer le déconfinement.


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