Près d’Alger, Ibtissem et Amira, deux jeunes diplômées, se sont lancées dans le maraîchage bio. « On gagne moins qu’un enseignant de lycée ou qu’un délégué médical, mais on aime le travail de la terre », déclarent-elles. Récit d’une aventure peu commune en Algérie où l’agriculture est dominée par les hommes.
Avec leur chapeau et leur lunette de soleil, on pourrait les prendre pour deux touristes sous le soleil de Dubaï.
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Mais cette tenue est destinée à se protéger du soleil de la Mitidja durant les longues journées passées à semer, sarcler et arroser leur potager de Douaouda.
Au volant de leur camionnette bâchée, Amira conduit d’une main assurée. Les deux associées rejoignent leur potager. « L’agriculture n’est pas faite que pour les hommes », confient-t-elles à Ennahar TV.
Le projet : un potager bio
Tout en faisant découvrir le potager, ces deux agricultrices atypiques détaillent leur parcours. Ibtissem, 28 ans, détentrice d’un master 2 de biodiversité en écologie végétale.
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Amira, 26 ans, également diplômée en écologie à l’université de Bab Ezzouar (Alger). Durant leurs études, toutes les deux mènent des travaux sur le genévrier thurifère des Aurès. Un travail de terrain qui est l’occasion d’apprendre à travailler ensemble.
Dans une de leurs deux serres, ces deux agricultrices préparent les semis. Le geste est précis et assuré. Elles poursuivent la discussion.
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Ibtissem : « Il s’agit d’agriculture bio sans engrais chimique ni pesticides. Tous les jours, on est présente au niveau du potager où on fait le même travail, même si on peut avoir des tâches différentes ».
Questionnée sur leur entourage, elle ajoute : « Certaines personnes sont en admiration devant notre travail. Elles nous font remarquer que le travail de la terre est difficile et que parfois, même des hommes n’y arrivent pas. On manie la binette et la tchapa (houe). C’est vrai que les journées sont longues. On est souvent parties tôt et rentrées tard ».
Elle ajoute en riant : « Et en plus, on conduit El Harbin (la camionnette) sans difficultés ».
Amira confirme : « Nous n’avons pas de difficultés pour conduire le véhicule. Quand on va vendre nos produits, les clients sont admiratifs et ont du mal à croire que c’est nous qui cultivons toutes seules ».
Ibtissam poursuit : « Parfois, on est quelque peu découragé et on se dit qu’on va arrêter cette activité agricole. Elle est fatigante et on risque d’y laisser notre santé. Mais on s’y est habitué et on n’a pas envie d’en changer ».
À ses côtés, Amira confirme ce goût pour le travail : « L’agriculture, depuis que j’ai touché à la terre, chose que je n’avais jamais faite avant 2018, j’ai aimé cette activité. Je ne pourrais jamais faire autre chose ».
Les débuts grâce à « ami Achour »
En 2018, les deux jeunes femmes soutiennent avec succès leur mémoire de fin d’études consacré à l’écologie. Leur intérêt pour la nature les fait adhérer à l’association Torba qui prône la permaculture. Elles bénéficient de la formation Pot’Alger. Une session d’une semaine tournée vers le maraîchage bio.
C’est alors que progressivement naît l’idée de pratiquer ce qu’elles ont appris et ce qui a motivé le choix de leurs études à l’université de Bab Ezzouar.
Fin 2019, l’opportunité de lancer leur propre potager leur est offerte par ‘ami (oncle) Achour, l’un des formateurs du stage Pot’Alger. Voyant la détermination des 2 stagiaires, il leur propose une parcelle de 1000 m2 dans son verger : « Et nous a permis de concrétiser notre projet », confient-elles à TSA. « On tient à ce que le nom de ‘ami Achour apparaisse dans l’article. C’est comme notre père au djnan (jardin) ».
Quand on interroge les deux agricultrices sur la position de leur famille, elles répondent : « Elles nous encouragent à continuer ».
Besoin d’une plus grande surface
Chaussées de bottes et en salopettes, les deux jeunes agricultrices exploitent le moindre mètre carré de terre. Le potager est entouré d’une haie de roseaux et séparé en différents carrés sur lesquels on distingue de frêles pousses. Plus loin des billons recouverts de film plastique noir au-dessus desquels poussent des blettes et de la roquette.
Ibtissem : « On tire un revenu, mais il est très faible. Il nous faut augmenter la surface. Si l’État peut nous aider avec un lopin de terre pour agrandir notre projet, on pourrait augmenter la production et baisser les prix ».
Amira acquiesce : « À la ferme pédagogique de Zéralda, chaque vendredi matin, on dispose d’une table de vente de 8 h à 12 h 30. Parfois, les clients viennent sur place. On a commencé à zéro et petit à petit ».
Elles vendent leurs produits sur différents marchés à Tafas et à Zeralda; des marchés bio initiés par l’association Torba.
Utilisation de semences paysannes
Leur succès, ces agricultrices le doivent à leur production bio mais également à une offre originale : « On s’est spécialisée dans les variétés qui n’existaient pas sur le marché algérien ».
Elles listent les espèces et variétés produites : tomates rouges, vertes, jaunes, blanches, carottes jaunes, blanches, noires, violettes, betteraves blanches, jaunes, brocoli, choux chinois, chou de Bruxelles, chou rave, céleri rave, ciboulette et même roquette.
En plus de variétés modernes, elles utilisent des semences paysannes données par des agriculteurs. « Il n’y en pas beaucoup, aussi essaye-t-on de les multiplier pour les garder », nous confient-t-elles.
Des variétés nouvelles sur le marché algérien
En 2019, après les premiers semis, la production a été abondante. Pour la vendre, il a fallu la transporter. Mais comme le projet ne rentrait pas dans le cadre des aides à l’emploi des jeunes de l’ex-Ansej, les deux jeunes femmes n’ont pu bénéficier d’aide de la part de l’État.
Aussi, c’est dans le véhicule de leurs parents ou du propriétaire du terrain que les premiers cageots de légumes ont été transportés. Une petite camionnette d’occasion a été achetée par les deux associées mais le véhicule n’est pas en très bon état. « On doit le réparer à chaque fois. On a dû emprunter pour l’acheter », expliquent Amira et Ibtissam.
Avec les produits de leur potager bio, les deux agricultrices se sont lancées dans la transformation de leurs légumes et proposent harissa, coulis de tomate, darssa, purée de poivron rouge, confiture de grenade, cédrat, paprika, ail séché, coriandre et olives en conserve. « Le tout 100 % naturel bien sûr, sans additif ou conservateurs », affirment les deux agricultrices.
Un combat de tous les jours
Bien que dotées d’un optimisme à toute épreuve et d’une mentalité de battantes, Amira et Ibtissam ne cachent pas les difficultés : « C’est un travail très difficile qui demande beaucoup d’efforts physiques et mental à toute épreuve ».
Elles expliquent : « On programme le semis des cultures et on réalise les suivis. On produit, on fait la vente, les livraisons. Bref, c’est un combat de tous les jours ».
Grâce à « ami » Achour et Torba, la tradition du maraîchage en Mitidja semble assurée.