Le ministère de l’Agriculture et du Développement rural a annoncé la levée du gel des dérogations sanitaires d’importation (DSI) concernant la poudre de lait.
Cette annonce est particulièrement appréciée par les laiteries. Mais des industriels algériens évoquent des risques de rupture dans l’approvisionnement du marché et de hausse de prix.
“Nous avons acheté la matière première chez des revendeurs entre 750 et 800 DA/kg alors que celle importée est cotée à 450 DA/kg“, confie un professionnel au quotidien El Watan.
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Au-delà de la nécessité de mieux réglementer l’importation de la poudre de lait, il apparaît que le montant des subventions liées à ce produit constitue aujourd’hui un fardeau pour l’Algérie, qui est confrontée à la baisse de ses revenus pétroliers et à l’érosion de ses réserves de change.
À défaut d’augmentation de la production locale de lait, se pose la question d’alternatives aux importations et de la lutte contre l’inflation.
Ghardaïa un pôle laitier en zone désertique
« Notre élevage date de 2009, au début, on manquait de fourrages. Mais maintenant on est arrivé à produire du maïs et de la luzerne pour nos bêtes, explique en ce début mars 2020 Latrèche Nazim, jeune ingénieur agronome et éleveur installé à Ghardaïa. Les vaches ont une production journalière moyenne de 25 litres de lait, bien sûr en été c’est beaucoup moins ».
À ses côtés, un autre éleveur témoigne. Même profil de formation. En ce début mars 2020, tous deux sont montés à Alger, à l’appel de la Chambre nationale d’agriculture pour plancher sur l’avenir de la filière lait. En quelques années, Ghardaïa est devenue un pôle laitier qui compte et reste la seule région d’Algérie autosuffisante en fourrages.
Sa réussite, Ghardaïa ne la doit pas aux techniques ancestrales de captation de l’eau des crues d’oueds et de recharge de la nappe phréatique de la vallée du M’zab.
Elle la doit à d’imposants pivots d’irrigation alimentés par l’eau de forages profonds. Avec la chaleur du sud, le blé arrive tôt à maturité. Juste après la récolte, il est donc possible d’installer une culture de maïs-fourrage. Il s’agit de variétés à cycle court qui sont récoltées au bout de 90 jours. Aujourd’hui, sous pivot, les agriculteurs de la région arrivent donc à deux récoltes par an.
La révolution n’est pas venue du seul maïs, mais aussi de la technique de l’enrubannage. L’utilisation d’ensileuses qui coupent et hachent les plantes et de presses à poste fixe, permet aujourd’hui de conserver ce fourrage sous forme de balles rondes enrubannées.
D’un seul coup, il est devenu possible de cultiver des fourrages verts particulièrement appréciés par les vaches laitières, mais surtout, de les conserver jusqu’à deux ans.
Autre avantage pour les investisseurs, un mode de récolte entièrement mécanisé qui réduit les coûts de main d’œuvre. Actuellement, les producteurs de fourrages sous forme de balles enrubannées de Ghardaïa et d’El Ménéa livrent les wilayas environnantes par camions semi-remorques.
Une autosuffisance en fourrages hypothétique
Reproduire au niveau du territoire national et notamment au nord l’exploit de Ghardaïa nécessiterait d’étendre considérablement les superficies en maïs fourrage et donc l’irrigation. Réaliser une extension comme en Europe. En France, le long des voies de TGV menant en Bretagne, la culture du maïs s’étend à perte de vue.
En Algérie, au-delà des subventions nécessaires à l’équipement des surfaces irriguées se pose la concurrence entre cultures. À partir du printemps à quelles cultures donner la priorité : les pommes de terre, le blé, le maïs, la tomate industrielle ou les arbres fruitiers ?
Récemment, devant la presse, le wali de Tiaret a rassuré un agriculteur en indiquant que toutes les demandes de forages profonds avaient été validées. Mais quels effets cette mesure aura-t-elle sur les quantités d’eau disponibles chez les agriculteurs disposant de puits peu profonds ?
Il serait possible de produire des fourrages en sec sur les dizaines de milliers d’hectares de terres actuellement laissées en jachère. Cependant, si l’adoption de la technique des balles rondes a permis un saut quantitatif pour le maïs, les services agricoles n’ont pas trouvé les techniques permettant de semer à moindre coût et rapidement des fourrages cultivés en sec. Ce retard technique conjugué à l’irrégularité des pluies est la cause actuelle des graves tensions sur le foin, la paille et l’orge en grains.
La solution pourrait venir de Nouvelle-Zélande où des éleveurs ont mis au point le semoir “Aïtchison”, un semoir rustique permettant un “sursemis” rapide des prairies.
Danone, cap vers les laits végétaux
En l’absence actuelle d’autonomie fourragère, force est d’explorer d’autres voies. À la mi-novembre, les 187 éleveurs laitiers du Gers (France) se sont inquiétés de l’arrêt de l’activité de la laiterie Danone à qui ils livrent annuellement 67 millions de litres de lait.
Ils ont été invités à s’adapter à la situation. Le motif de cet arrêt est étonnant. La laiterie va arrêter de produire des yaourts et commencer la production de lait végétal pour le compte de la société Alpro. Un lait végétal principalement produit à base d’avoine et un autre à base de riz.
En 2022, Danone va investir 43 millions d’euros sur son site de Villecomtal-sur-Arros. L’usine bascule donc dans les productions de boissons végétales. Le but est de faire de cette usine un site de référence en France et en Europe.
L’usine devrait comporter deux lignes de dernière génération et ainsi augmenter ses capacités de production de boissons végétales UHT de + 25 % d’ici 2025. Selon le groupe, le marché de l’alimentation végétale a triplé au cours de ces 7 dernières années et devrait croître de 50 % d’ici 2025.
L’attentisme des industriels locaux
Un tel intérêt pour les laits végétaux n’existe pas en Algérie. Et pour cause, les consommateurs ne les connaissent pas. Pourtant, chez les adultes, ils pourraient remplacer partiellement le lait de vache.
En effet, si les industriels arrivent, plus ou moins, à imiter le goût et la saveur du lait de vache à partir d’avoine, de riz, d’épeautre, de soja ou d’amande, ces boissons végétales n’ont pas la même valeur nutritive.
D’ailleurs, à l’étranger, la législation oblige les industriels à respecter l’appellation “boisson végétale“. Le terme de “lait” leur étant interdit.
Il n’en reste pas moins que ces boissons peuvent convenir aux adultes. Des recherches sont activement menées dans le monde afin de les enrichir en protéines végétales extraites du petit pois ou du pois chiche.
Les nouveaux procédés de séparation par voie humide entre protéines et amidon des graines de légumineuses visent à faire disparaître tout goût végétal. Des brevets ont été déposés pour protéger ces innovations. Le coût de 9 ou 10 euros le kilogramme de protéines laitières est nettement plus élevé que celles du concentré de protéines de pois à 2,50 ou 3 euros le kilogramme.
Au-delà des boissons, de nombreuses firmes travaillent sur la production de yaourts végétaux et même de la viande végétale. Dans ce dernier cas, les extraits de protéines de pois sous forme de poudre sont mélangés à de l’eau et de l’huile puis introduits dans des presses extrudeuses. De tels traitements permettent d’obtenir un produit ressemblant à de la viande de poulet et de produire des substituts de nuggets, d’aiguillettes et de steaks pour burgers.
Si en Algérie, les établissements Bellat proposent de la mortadelle pour végétariens, force et de constater qu’aucune entreprise locale n’investit dans les “laits” végétaux. On aurait pu s’attendre à ce que Danone-Djurdjura, dont la maison mère est un leader mondial en la matière, propose au consommateur algérien ces boissons végétales.
Au-delà de la technique, la marge de l’éleveur…
Pour l’agroéconomiste Slimane Bedrani, interrogé en janvier dernier par El Watan, la solution pourrait être d’augmenter le prix du sachet de lait. Les montants ainsi dégagés seraient alors alloués aux producteurs de lait locaux sous forme d’une prime substantielle.
Mais cet expert prévient : “Cette mesure pourrait être acceptée par les consommateurs si ses raisons leur sont intelligemment expliquées et si des mesures de compensation sont mises en place en faveur des ménages à faibles revenus“.
Et d’ajouter que le mécanisme actuel “ne favorise que les ménages les plus aisés, les entreprises qui utilisent le lait reconstitué pour produire des dérivés à haute valeur ajoutée (biscuiterie, pâtisserie, fromages et autres yaourts) et, enfin, les producteurs de lait étrangers“.