CONTRIBUTION. Ce qu’a mis en lumière le micmac politique au sein de l’APN, c’est l’état de vacuité institutionnelle que connaît le pays depuis des décennies. Au-delà d’une simple « crise politique », le vaudeville à l’Algérienne qui a eu pour théâtre le lieu de la “représentation nationale” est le symptôme d’une impasse politique intégrale.
Entretenu ou non, le feuilleton Bouhadja a jeté un peu plus le discrédit sur une Assemblée squattée par la médiocrité politique et l’ « argent sale » et a livré, à l’extérieur, l’image d’une Algérie prisonnière d’une colonie de prédateurs prête à tout pour conserver d’indus privilèges, n’hésitant pas à violer la « légalité » et à pousser l’extravagance et le ridicule jusqu’au « cadenasser » les portes de l’APN.
La recomposition souterraine et silencieuse du « pouvoir profond », qui contraste avec le bruit et la fureur des figurants politiques et médiatiques, s’annonce en tout cas comme un prélude à un nouveau coup de force non point contre un Bouteflika en « phase finale » mais contre la volonté populaire.
Les différents scénarios secrètement échafaudés seront autant d’artifices destinés à donner l’illusion d’un toilettage politique nécessaire pour faire vivre une devanture « pluraliste » en la rafistolant au besoin. Quelques nouveaux visages, plutôt « jeunes », finiront par donner au système un élan de renouveau et accréditeront l’idée d’une transmission générationnelle du pouvoir promise par Bouteflika lors de son discours du 8 mai 2012 à Sétif. Tout doit changer pour que tout demeure en l’état, selon une formule consacrée.
La prochaine « Présidentielle », avec ou sans Bouteflika, consacrera la continuité d’un système de pouvoir incompatible avec toute idée d’autonomisation du champ politico-institutionnel. Perpétuant ainsi le « coup d’état permanent » contre la volonté populaire, instauré dès l’indépendance pour priver les Algériennes et les Algériens de leur droit d’ingérence dans leurs propres affaires.
Cette nouvelle fuite en avant est confortée par une forme d’apathie sociale, une opposition introuvable et une complaisance internationale inquiète à l’idée d’un effondrement brutal aux conséquences incalculables. Cette vision à court terme, -la stabilité à n’importe quel prix-, peut s’avérer imprudente, car elle sous-estime les potentielles dissidences latentes au sein de la population. Au nord ou au sud, à l’est ou comme à l’ouest, l’exaspération est grandissante et les signes d’une résurgence de particularismes tribaux et régionaux, sur fond de répartition inégale des richesses, bien réels.
L’absence de mécanismes démocratiques d’intégration politique fait donc pointer le spectre d’une dislocation de la Nation. Ni la répression ni la redistribution de la rente ne parviendront à contenir les forces centrifuges et une montée irrésistible aux extrêmes.
L’idée nationale, portée par le mouvement de libération, est aujourd’hui gravement mise en question. Son incarnation dans un Etat moderne et pérenne a été systématiquement contrariée, et ce, dès l’indépendance du pays avec l’interruption brutale du processus politique constituant.
La formation de l’État national, démocratique et social, esquissée par l’appel du premier novembre 1954 et formalisée au congrès de la Soummam s’est brisée sur les logiques néo-patrimoniale et militariste, condamnant ainsi le pays à vivre dans une situation d’instabilité politique structurelle et de précarité institutionnelle et entravant en conséquence tout projet sérieux de développement.
Ce refus de tout processus démocratique de constitutionnalisation et d’institutionnalisation du pouvoir politique a livré le pays à des groupes et des factions agissant dans l’impunité totale et disposant à leurs guises des richesses nationales. Les fastueuses années Bouteflika ont donné plus d’ampleur aux phénomènes de rapine. L’élargissement des circuits de la corruption a permis l’émergence de couches parasitaires et de ploutocrates en situation aujourd’hui de disputer le monopole exclusif de la désignation du “président” aux acteurs traditionnels organisés autour de l’élite militaro-sécuritaire.
Cette perspective sera assurément désastreuse pour le pays. Dans un monde rendu instable par les politiques néolibérales, et où les puissances reconfigurent à leur guise les cartes géopolitiques, reproduire l’impasse relève du suicide politique. La jeunesse algérienne privée d’avenir et qui regarde désespérée un « ailleurs » érigeant des murs pour contenir la « misère du monde » ne supportera pas longtemps cet exil intérieur.
À la veille des commémorations du premier novembre 1954, c’est à un examen de conscience que sont conviés ceux qui détiennent entre leurs mains le sort de toute une Nation. Faut-il rappeler que la puissance de la France coloniale avait fini par céder devant la détermination d’une poignée de jeunes issus de l’OS, lâchés par leur direction et poursuivi par la police coloniale ?
Les risques d’une future déflagration mettent clairement les acteurs du « pouvoir profond », en particulier l’Armée, devant leur responsabilité historique.
La « neutralité » vantée par son chef d’état-major, avec une pointe de mépris envers le politique, ne peut être interprétée que comme un encouragement aux forces antinationales et antisociales à s’emparer des leviers décisionnels et à imposer leur hégémonie sur le pays à l’occasion de la future présidentielle.
L’Armée algérienne, qui ne saurait se confondre avec une poignée de généraux sanguinaires et corrompus, a pourtant, au vu des événements actuels, l’occasion historique d’opérer une rupture avec l’héritage peu glorieux de l’Armée des frontières et réhabiliter le projet national. L’urgence des urgences est de renouer avec le processus politique constituant et la concrétisation, enfin, de la promesse historique de novembre, celle d’un État moderne, démocratique et social.
Face au dépérissement des structures étatiques formelles, il faut définir une nouvelle légalité à travers la conclusion d’un pacte national entre l’élite militaro-sécuritaire et les acteurs politiques crédibles, sans exclusives, autour de la mise en place d’organes transitoires et l’élaboration consensuelle d’une charte qui engage tout un chacun à respecter les principes et les règles démocratiques. Sans rentrer dans le détail de mesures, cette phase doit permettre le rétablissement sans conditions des droits et des libertés politiques et aboutir à l’organisation d’élections générales permettant de doter le pays d’institutions légitimées par le peuple.
Cela passe par la dissolution immédiate de l’Assemblée nationale et le report de l’élection présidentielle prévue au printemps 2019.