Il y a 20 ans, le 11 novembre 2001, des inondations ont endeuillé le quartier de Bab el Oued à Alger, faisant un millier de morts. Vingt ans, la capitale n’est pas totalement sécurisée face aux inondations. Deux architectes expliquent les raisons de cette vulnérabilité d’Alger face aux intempéries.
En l’espace de 24 heures six personnes sont mortes suite à l’effondrement de leurs maisons, aux quartiers de Bologhine mardi et de Rais Hamidou mercredi, sur la côte ouest d’Alger.
La décrépitude des bâtisses et la multiplication des constructions anarchiques ajoutées au manque d’entretien des immeubles expliquent selon les spécialistes la récurrence de ce genre de drames.
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« Il ne faut pas s’attendre à des miracles »
« A la Casbah, il y a tout d’abord le manque d’entretien qui conduit à ces drames. Il y a aussi le fait que la population n’est pas sensibilisée au patrimoine ni aux gestes à adopter vis-à-vis de ce patrimoine. Ensuite viennent les affres du temps : quand il n’y a pas d’entretien et quand on laisse des maçonneries anciennes en terre cuite ou en chaux face aux aléas climatiques, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Petit à petit, elles s’effritent et disparaissent, ce qui conduit à des effondrements inévitables », pointe l’architecte Mehdi Ali Pacha.
À la tête d’une agence d’architecture spécialisée dans la restauration et la réhabilitation du patrimoine ancien, M. Ali Pacha est catégorique : « C’est le constat qu’on a fait sur 90% des bâtisses de la Casbah. Les 20% restants sont le fait de l’homme, qui par son intervention soit par ignorance ou volontairement a conduit à des dégâts ».
L’architecte met en cause également les constructions anarchiques. « Si on parle par exemple du quartier de Bologhine (Alger), la plupart des constructions sont des bâtis datant de l’ère coloniale du 19e siècle sur lesquels on est venu surélever des bâtis avec des matériaux inadéquats, puisqu’on a introduit du béton sur des structures qui ne peuvent pas supporter le poids. Ce qui finit par rajouter une surcharge », souligne-t-il. L’architecte évoque aussi les constructions sur des lits d’oueds qui sont à l’origine de bien des drames.
Mehdi Ali Pacha déplore le peu de cas faits à la profession d’urbaniste en Algérie.
« On oublie l’urbanisme. La ville s’urbanise d’abord ; on a des plans d’urbanisme qui prennent en charge tous les problèmes d’évacuation des eaux des pluies, leur cheminement, leur stockage, leur traitement, etc. Autrement dit, on construit des villes et en fait on oublie toute l’infrastructure : que ce soit le réseau télécom, le réseau électrique, etc. On est au 21e siècle et les villes sont de plus en plus intelligentes », dit-il.
Le cas de la capitale est particulier. L’explosion démographique qui ne s’est pas accompagnée nécessairement d’une extension des réseaux d’évacuation des eaux de pluies a fait décupler les attentes et les besoins.
« Alger s’est sur-densifiée. Tous les dimensionnements du 19e siècle n’y répondent plus. Les réseaux d’eaux pluviales sont aujourd’hui mélangés aux eaux usées et à un moment donné ça va boucher les conduites et là on revient au b.a.-ba, c’est-à-dire l’entretien. C’est comme une voiture, si vous ne l’entretenez pas, au bout d’un moment elle vous lâche », relève Mehdi Ali Pacha.
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Une « urbanisation galopante et incontrôlable »
Les inondations à répétitions et les dégâts qu’elles engendrent sont-elles devenues une fatalité en Algérie ? « Non », répond l’architecte-urbaniste Mohamed Larbi Merhoum qui pointe « des soucis d’études et de gestion ».
« Et qui doit rendre compte de ces incidents ? A une époque c’était la wilaya, après c’est devenu les maires et ensuite un peu les deux. De leur côté, les maires n’ont pas les moyens d’entretenir correctement, ils ont à peine de quoi payer les salaires des personnels… On est dans une situation où finalement très peu de personnes rendent vraiment des comptes », souligne Larbi Merhoum.
Lui aussi met en cause l’urbanisation « galopante » et « incontrôlable » dans la capitale, qui donne les résultats que l’on sait avec des inondations et leur lot de dégâts humains et matériels.
Les atteintes à l’urbanisme par ceux qui construisent sans autorisation ou qui font des extensions anarchiques sur les toits des immeubles, ne sont pas sévèrement punies. Une sorte d’impunité s’est installée, ce qui a aggravé la situation.
« Tout est fait dans l’urgence. Ce qui doit prendre six mois, on le boucle en trois. Il y a quand même un souci d’études. Probablement que les choses se font de manière beaucoup trop rapide pour faire des études sérieuses », lance l’architecte.