Dans ce récit, Assia* explique pourquoi en tant que Française musulmane, elle compte quitter définitivement la France.
“Alors cette première semaine de travail à Montréal, comment s’est-elle passée ? Je prends mes marques, même si j’ai tout à réapprendre. On m’a prévenue qu’ici ce n’était pas la France, que je devais prendre mon temps pour comprendre la culture d’ici. Mais c’était bienveillant, surtout pour me prévenir de ne pas me mettre la pression.
Mais je peux te dire qu’une chose m’a mis du baume au cœur. J’ai vu des personnes aux origines étrangères et même des musulmans à des postes à responsabilité, ça m’a fait tout bizarre. À Paris j’en voyais rarement. Et tu sais, ici on ne parle que de leurs compétences et du travail incroyable qu’ils font. Je suis presque émue de voir ça ”.
C’est la conversation que j’ai eue cette semaine avec ma sœur qui vient de s’installer au Canada après avoir quitté une vie de 40 ans en France. Son départ a été largement motivé par l’atmosphère “nauséabonde” en France et le sentiment fort qu’en tant que française musulmane d’origine algérienne, son avenir serait constamment freiné par un plafond de verre. Après avoir trouvé un emploi et fait des démarches administratives durant une année et demie, elle a rejoint l’Amérique du nord pour se donner une nouvelle chance.
Je comprends sa démarche puisque je suis en train de faire exactement la même. Dans une même fratrie, nous sommes deux à avoir quitté la France à la même période. Un choix de raison et non de cœur.
J’ai également décidé de quitter définitivement la France pour exister en tant qu’individu et non comme une minorité visible. Comme une statistique française. Comme une menace potentielle pour la société française, simplement parce que je suis une enfant d’immigrés de confession musulmane.
L’impossibilité de trouver une place légitime en France
Mon désir de départ a été la conclusion d’une longue réflexion entamée durant la pandémie de Covid-19 et a été accéléré par une série d’événements dans ma vie personnelle et d’observations que j’ai tirées de la société française.
Durant cette période particulière, j’ai dû tout recommencer. Je travaillais en tant que cheffe de projet web freelance et la pandémie m’a fait perdre l’ensemble de mes clients dont les projets sont tombés à l’eau. J’ai voulu profiter de cette période pour retourner dans le salariat.
Avec plus de 10 ans d’expériences dans la rédaction, la communication, le journalisme et le web, plusieurs diplômes d’études supérieures, il me semblait que ce serait une formalité de me faire embaucher. D’autant plus que j’ai postulé dans toute la France.
J’ai vite déchanté. Sur la cinquantaine de candidatures envoyées à des annonces d’embauche correspondant à la perfection à mon profil, voire en dessous de mes compétences, je n’ai eu qu’un seul retour positif me donnant accès à un entretien.
Une fondation catholique qui recherchait une responsable des contenus pour refonder leur stratégie. Les autres entreprises n’ont même jamais pris la peine de me recevoir. Certaines ont remis leur annonce en ligne un mois plus tard.
Je ne saurai jamais si mon profil professionnel atypique alternant entre salariat et freelance, entre la France, le Maghreb et le Moyen-Orient, a effrayé les employeurs. Ou si tout simplement, mon nom et ma photo pouvaient les dissuader de me faire confiance.
Toujours est-il que le doute a persisté dans mon esprit. Et pour cause. Les retours similaires de mes amis maghrébins sur leur recherche d’emploi. “Un employeur a mis fin à l’entretien immédiatement quand je lui ai dit que j’avais fait mes études en Algérie”, me raconte une amie. Une autre connaissance qui a décidé de porter le voile a dû se battre comme une lionne pour maintenir sa place alors qu’elle détenait les meilleurs résultats de l’entreprise.
Il y a aussi les multiples études concernant la discrimination à l’embauche en France. Je pense à celle de l’Inter service migrants-Centre d’observation et de recherche sur l’urbain et ses mutations et l’Institut des politiques publiques, qui estime que “les candidats dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d’être contactés par les recruteurs que ceux portant un prénom et un nom d’origine française”.
Les exigences démesurées de mes employeurs dans le passé, particulièrement vis-à-vis de moi. Ce sont tous ces éléments qui ont renforcé mon sentiment de gêner. De ne pas avoir de place dans mon milieu professionnel et parfois même dans la société française.
À cette expérience s’est ajoutée la recherche d’un nouveau logement. Les propriétaires et agents immobiliers qui vous raccrochent quasiment au nez lorsque vous prononcez votre nom de famille.
Devoir demander à ses amis ayant un nom bien français d’être votre garant alors que vous gagnez correctement votre vie. Ou pire de leur demander de vous accompagner lors des visites pour laisser penser que ce sont eux qui vont louer. Devoir faire des faux papiers pour accéder à un logement trop cher et pas toujours aux normes. À 35 ans, j’en ai eu assez de cette vie d’apparences et surtout de ces micro-humiliations laissant penser que je n’étais pas “assez”.
Sonder les autres pays pour définir ma place de femme musulmane
Depuis l’Espagne, d’où j’écris, le quotidien français me paraît désormais très lointain, voire fictionnel. Ce matin encore je découvrais des articles de la presse française s’interrogeant sur l’augmentation du port du voile.
Sur l’islamisation des rayons de supermarchés français. Sur l’utilisation du capitalisme par l’Islam pour se propager. La France semble être devenue un film d’horreur, où les zombies mangeurs de chair humaine sont les musulmans. Le contexte français paraît encore plus fou depuis l’étranger.
Je passe mon deuxième Ramadan à l’étranger, depuis que j’ai décidé de quitter définitivement la France. J’explore actuellement le pays voisin, l’Espagne pour voir si je m’y sens bien et surtout libre d’être qui je suis. J’ai déjà fait la même démarche avec le Portugal ou encore la Roumanie.
Le but était de voir la possibilité de travailler depuis là-bas et surtout de voir ce qu’une femme de mon âge au physique maghrébin ayant une culture musulmane représente à leurs yeux.
Avant d’entamer cette exploration, j’ai fait l’effort de vivre dans plusieurs villes françaises y compris dans des zones rurales pour tenter de créer une bulle protectrice. J’ai vécu à Paris, Lyon, Rennes, Marseille, etc. Je n’ai pas subi de racisme frontal – du moins pas toujours – mais j’ai constamment ressenti un malaise chronique.
Que ce soit dans le milieu professionnel où ma religion ou mes origines étaient constamment commentées.
Durant le Ramadan, j’étais surveillée quand je le faisais. “Mais tu arrives vraiment à assurer ton travail quand tu jeûnes ? Tu devrais prendre tes congés à ce moment-là”, ai-je pu entendre à plusieurs reprises.
Quand je ne le faisais pas pour des raisons de santé, j’avais le droit également à des commentaires : “Ah ouais tranquille vous nous saoulez avec votre Ramadan et un petit bobo et tu arrêtes ton jeûne”. Comme si ma pratique ou non de l’Islam appartenait au domaine public.
Dans le quotidien, les questions sur “ton excellent niveau de français où l’as-tu obtenu ?”. Ou pire sur une vie supposée. Alors que j’ai grandi dans un pavillon en pleine campagne française, on m’a souvent dit : “Ça a dû être dur de t’affranchir de ton père et ton frère et je n’imagine pas les autres mecs de cité qui te surveillent. Comment ça se fait que tu ne portes pas le voile ?”.
Même dans des endroits plus neutres, il était impossible de faire fi des Unes de Valeurs Actuelles qui pointent constamment du doigt les musulmans. Des décisions politiques qui tendent à réduire la visibilité des musulmans et à contrôler leur pratique, jusque dans leur intimité. J’étais lasse, non pas seulement de la mise au ban de la société des musulmans actuelle, mais d’une montée progressive des discriminations à leur égard.
Chaque retour en France renforce mes convictions
Depuis deux ans, je fais donc des allers -retours entre la France et d’autres pays européens. J’envisage également d’explorer le continent africain. Je parcours ces autres pays pour me confronter au réel et non seulement à ce que j’imagine. Le test est simple, je vis ma vie.
Les premiers essais m’ont permis de voir que l’image de l’arabe ou du musulman est différente dans chaque pays. En Espagne on me prend pour une Espagnole, personne n’est choquée de mon prénom ou me renvoie une différence au visage. Le racisme existe aussi là-bas. Mais jusqu’à présent je n’ai pas subi de discrimination dans la recherche de mon logement ou de clients pour mon activité. J’attends de poursuivre mes recherches pour définir où je souhaite vivre.
Loin d’être naïve, je sais qu’aucun endroit n’est vide de racisme et de discrimination. Mais je m’éloigne du rapport très particulier qu’a la France avec les Maghrébins et les Musulmans.
Je rentre souvent en France pour recharger les batteries, voir ma famille ou répondre à mes obligations professionnelles. Chaque retour est l’occasion pour moi de prendre le pouls de la société française. J’atterris la plupart du temps à Marseille ou Lyon, je me rends dans la campagne française où mes parents vivent, et je fais parfois des passages à Paris. Ces voyages m’offrent un large panorama de la France actuelle.
Chaque passage ne fait que renforcer ce désir de départ. Malgré le manque de la langue et de la culture française, de mes proches, ma place en France a de moins en moins de sens.
Je suis témoin à chaque retour de réflexions racistes. J’écoute attentivement les récits de mes proches qui essuient des remarques sur leur culture, leur religion. Je vois ma mère craindre chaque jour un peu plus pour sa sécurité parce qu’elle porte le voile. J’entends sa voisine parler de “ces arabes de merde qui se garent devant chez elle”. Des phrases de plus en plus nombreuses.
Une dernière expérience personnelle a fini de me convaincre. Ma mère a eu de graves problèmes de santé, nécessitant un parcours médical difficile et long. J’ai eu l’occasion de l’accompagner dans ses soins et démarches et j’ai donc pu voir certaines différences de traitement entre elle, qui parle mal le français, porte un voile et ne dispose pas de la nationalité française et les autres patients, des “Français” lambda.
Impossible de ne pas voir la différence de comportements à mon égard, quand je suis seule et quand elle m’accompagne. Si j’arrive à être respectée quand je suis seule, parce que je surveille toute mon attitude, parle avec un niveau de langue très soutenu et que je redouble de politesse. À ses côtés, on me parle comme à une imbécile. Elle, elle n’existe pas, on ne lui parle pas, on ne s’adresse pas à elle.
Je découvre à ses côtés les regards insistants sur son voile. Je dois subir les moqueries de sa pharmacienne qui va jusqu’à corriger mon français parce qu’elle n’a pas compris ce que je lui ai demandé. Ma mère et moi subissons la colère de son spécialiste qui nous demande d’améliorer notre vocabulaire pour lui expliquer ses problèmes de santé. Je découvre le refus du personnel médical d’écouter les douleurs de ma mère, que l’on a conclu d’imaginaire. Ce qui l’a menée aux urgences au seuil de la mort, où encore une fois elle s’est fait maltraitée.
Cette nouvelle donne ne fait que maintenir ma décision de m’éloigner de mon pays, que j’aime plus que tout. Je parle majoritairement en français, je pense dans cette langue, j’aime sa culture et ses traditions. Mais je dois l’abandonner. Une forme d’exil subie à cause d’une paranoïa généralisée en France, à l’égard des étrangers et des musulmans, qui n’est pas prête d’être enrayée.
*Le prénom a été modifié
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