La Foire des produits algériens à Nouakchott, qui s’est déroulée du 23 au 29 octobre dernier, a mis en lumière l’intérêt stratégique d’un pays comme la Mauritanie pour l’Algérie, qui cherche à diversifier ses exportations.
Outre le marché local, qui reste très modeste certes, les entreprises algériennes peuvent s’appuyer sur le voisin du sud pour aller à la conquête des marchés des pays de l’Afrique de l’ouest, notamment le Sénégal et ses 16 millions d’habitants.
« Le marché local n’est pas très important, la Mauritanie compte quatre millions d’habitants, mais elle représente une plateforme pour atteindre les pays voisins comme le Sénégal », soutient Djamel Guidoum, vice-président d’Iris (électroménager et téléphones mobiles), qui ambitionne d’ouvrir une dizaine de showrooms dans le pays.
Aussi, la Mauritanie n’est pas sans intérêt pour l’Algérie quoique ce pays désertique, pauvre et sans ressources est loin d’être un eldorado pour l’entreprise algérienne. Jugez-en.
Dans le classement 2018 des pays africains, le voisin du sud est à la 39ème place sur les 52 pays que compte le continent noir avec un PIB de 5,124 milliards de dollars (en 2017), soit 1300 dollars par habitant.
Et son sous-sol ne regorge pas de pétrole et de gaz. Sa seule vraie richesse, il la tire du secteur extractif qui représenté 25 % du PIB, 82 % des exportations et 23 % des recettes nationales et, dans une moindre mesure, l’élevage ainsi que la pêche.
En outre, il compte un peu moins de 4 millions d’habitants avec un taux de pauvreté de 33% et un fort taux d’endettement de près de 100 % du PIB. Un tableau quelque peu sombre qui, de prime abord, ne fera pas saliver beaucoup de pays et d’entreprises.
Dans ce contexte, l’Algérie s’est-elle trompée de stratégie en faisant de la Mauritanie une sorte de rampe de lancement pour son déploiement économique sur le continent africain? Pas du tout. La stratégie algérienne, à la fois, juste et réaliste sera bénéfique pour le pays comme pour nos entreprises pour peu qu’elle ne soit pas un simple feu de paille et s’inscrit dans la durée. Et pour plusieurs raisons.
Un marché presque acquis pour certaines entreprises algériennes
Cette ouverture sur la Mauritanie peut aussi profiter aux entreprises algériennes en acheminant leurs produits via la voie terrestre, en réduisant la durée de transport à moins de 10 jours au lieu de 50 jours en empruntant jusqu’ici la voie maritimes.
En outre, le gouvernement algérien compte installer une zone de stockage à Tindouf où les entreprises algériennes peuvent entreposer leurs produits avant de les acheminer vers le pays voisin. Ce qui réduira les coûts à l’export et donnera un avantage comparatif non négligeable aux exportateurs algériens leur permettant d’avoir une bonne marge de manœuvre face à leurs concurrents, asiatiques et marocains.
En outre, les Mauritaniens, au vu de leur pouvoir d’achat, sont beaucoup plus regardant sur les prix que sur la qualité quoique sur ce dernier registre les entreprises algériennes ne sont pas les moins loties.
Avec tous ces atouts conjugués aux bonnes et historiques relations politiques qui lient les deux pays voisins mais aussi le grand sentiment de fraternité que vouent les Mauritaniens aux Algériens et vice-versa, les entreprises algériennes partent incontestablement avec un avantage réel même si leur arrivée en terre mauritanienne s’est faite quelque peu sur le tard.
C’est tout un marché, assez modeste certes mais qui constitue tout de même une vraie débouchée, qui s’offre à elles, pour peu qu’elles fassent preuve d’inventivité et d’intelligence tout en se donnant une stratégie réaliste et agressive, pour s’implanter durablement dans ce pays.
La Mauritanie, ce bon tremplin pour aller à la conquête de l’Afrique de l’ouest
Mais il n’y a pas que ça. Prendre leurs quartiers en Mauritanie leur ouvrira grandes les portes de l’Afrique de l’ouest, notamment le Sénégal et la Cote d’Ivoire.
D’ailleurs c’est l’objectif de nombre d’entre elles comme Condor, Iris et Faderco, qui veulent profiter, elles aussi, de cette manne providentielle qu’est le marché ouest africain fort de ces 350 millions de consommateurs.
Des projets d’ouverture de représentations et de Showrooms, dans ces pays sont dans les petites papiers de beaucoup de chefs d’entreprises qui ont compris qu’une présence sur ces marchés est d’une importance capitale.
Un enjeu assimilé aussi le gouvernement algérien qui semble bien décidé à renouer le lien avec les pays de l’Afrique de l’ouest qui, faut-il sans doute l’admettre, s’est bien effiloché.
Le ministre du commerce Said Djellab l’a bien dit à l’occasion de sa virée dans la zone franche de Nouadhibou lors de sa visite en Mauritanie du 21 au 27 octobre.
«La participation considérable des opérateurs algériens à la Foire de Nouakchott et leur déplacement dans la zone franche de Nouadhibou dénote leur volonté de renforcer les relations de coopération bilatérale qui se conforment avec les orientations des dirigeants des deux pays concernant la nécessité de renforcer la coopération économique bilatérale et d’accéder ensemble aux marchés d’Afrique de l’Ouest », a-t-il soutenu.
De la nécessité d’une implication des banques et d’Air Algérie
Mais la volonté politique affichée par le gouvernement et celle exprimée par des chefs d’entreprises et la compétitivité de certains produits algériens ne suffisent pas à eux seuls pour s’implanter en Mauritanie, voire même dans l’Afrique de l’ouest.
En plus du travail de lobbying ou autre (mettre, par exemple, à la disposition des entreprises des données exactes et chiffrées sur les marchés et besoins des pays ciblés) que devraient faire les représentations diplomatiques, le gouvernement doit mettre du sien en incitant les banques à ouvrir des agences dans les pays concernés, exactement comme le font les banques marocaines, Ettijara Wafa précisément qui est implantée dans 10 pays africains au moins.
Des banques publiques étaient certes présentes à la foire de la production de Nouakchott et comptent unir leurs forces pour ouvrir des agences comme chez le voisin du sud mais elles doivent passer de la parole aux actes.
Le pavillon national, Air Algérie, doit lui ici s’inscrire pleinement dans cette stratégie de déploiement sur le continent africain. Certes elle assure déjà plusieurs dessertes sur nombre de capitales africaines (Nouakchott, Dakar, Bamako, Niamey, etc) mais elle doit en faire d’autres.
Contrecarrer l’influence grandissante du Maroc en Afrique
L’implantation en Afrique noire est-il le seul objectif stratégique du gouvernement ? Non. Il semble que les autorités algériennes ont pris ombrage du grand déploiement du Maroc en Afrique et qui, en quelques années à peine, a pratiquement maillé toute le continent, du moins sa partie francophone.
Les banques du Royaume comme sa compagnie aérienne sont présentes dans beaucoup de capitales africaines. Une forte présence économique qui a permis aux Marocains de nouer de solides amitiés avec nombre de pays africains et surtout d’acquérir une influence politique non négligeable.
D’où l’urgence pour le gouvernement algérien, rivalité avec le voisin de l’ouest oblige, de se ressaisir au plus vite, et de mettre place les bonnes conditions pour permettre aux entreprises algériennes de prendre pied en Afrique, histoire de rééquilibrer un peu les choses.
D’où le paquet mis sur la Mauritanie, un pays où il est quelque peu facile à l’Algérie de replacer vite ses pions quoique les entreprises marocaines y sont déjà fortement présentes, notamment celles exerçant dans les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire.
Mieux, le Maroc est, actuellement, le premier partenaire économique africain de la Mauritanie dont 48% du volume total des produits importés du continent africain sont marocains.
Celui-ci se contentera-t-il de suivre sans réagir cette irruption brutale du grand voisin de l’est sur son terrain de chasse ? Peu sûr. Et cette perspective suscite des craintes chez certains hommes d’affaires. « Nos produits sont très appréciés par les Mauritaniens. Espérons seulement que le Maroc ne vas nous contrecarrer », lâche un chef d’entreprise, rencontré à la foire de la production algérienne de Nouakchott.
« C’est de bonne guerre. Les Marocains vont essayer de défendre leurs intérêts. C’est à nous de savoir faire valoir nos atouts », corrige la directrice générale de la Chambre algérienne du commerce et d’industrie (CACI), Wahiba Bahloul.
Une chose est sûre : la bataille promet d’être rude entre les deux pays voisins pour s’allier une Mauritanie synonyme de porte vers l’Afrique de l’Ouest et qui, à partir de 2021, commencera à produire du gaz et du pétrole. L’enjeu est grand. Stratégique, même.