Les partisans d’un 5ème mandat du président Bouteflika évoquent avec beaucoup d’insistance les avantages et les garanties que leur champion apporterait en matière de gestion des affaires du pays et de « continuité » de la politique gouvernementale.
Samedi, les partis de l’Alliance présidentielle ont appelé à la mobilisation des Algériens pour permettre au président Abdelaziz Bouteflika de continuer son « œuvre ambitieuse de réformes et de développement ». Pour ces formations, le peuple algérien attend la présidentielle « avec beaucoup d’optimisme » et souhaite « plus d’acquis » dans un climat « de paix, de sécurité et de stabilité ».
Un scénario très « optimiste » qui a malheureusement peu de chance de se réaliser. Si on en juge par les analyses livrées par la quasi-totalité des économistes et des cercles de réflexion algériens ou étrangers, cette « continuité » présumée devrait précisément être battue en brèche au cours des prochaines années. Selon toutes vraisemblances, le 5e mandat ne sera pas un quinquennat comme les autres et ne ressemblera très probablement pas à ceux qui l’ont précédé.
Le bilan des années Bouteflika
Avec un peu de retard, un bilan des années Bouteflika, plusieurs fois annoncé au cours des derniers mois, devrait être rendu public prochainement. C’est en tous cas ce que le premier ministre Ahmed Ouyahia, a annoncé en conférence de presse ce samedi.
On peut déjà tenter d’en tracer les principaux contours. Les 20 années passées à la tête de l’Etat par le président Bouteflika sont faites de zones d’ombre et de lumière.
Côté lumière, elles ont été caractérisées principalement par une forte expansion des dépenses publiques, avec plus 1100 milliards de dollars au cours de la période 2000-2017, selon les chiffres révélés par le plan d’action du gouvernement Ouyahia.
Elles ont favorisé la réalisation d’importants programmes d’infrastructures économiques et sociales (centrales électriques, barrages, rail, autoroutes, transports urbains, etc.) grâce à une explosion du budget d’équipement de l’Etat. Elles se sont également traduites par un accroissement sensible de l’« effort de l’Etat » en matière de transferts sociaux notamment dans les domaines de l’habitat, de la santé et de l’éducation. Les dépenses de fonctionnement ont enfin été en hausse sensible en raison de recrutements massifs ainsi que de la revalorisation des salaires de la fonction publique effectuée entre 2007 et 2011.
Ce que le bilan du gouvernement ne dira probablement pas, c’est qu’il comporte aussi beaucoup de zones d’ombre. La forte expansion des dépenses de l’Etat, même si elle a bien soutenu la croissance économique globale, n’a pas permis à cette dernière de dépasser, en moyenne, un rythme qui s’est maintenu entre 2 et 3% par an ; bien loin de ce qui est généralement considéré comme le « potentiel » de l’économie algérienne.
La croissance accélérée des dépenses publiques a également conduit, sur le plan de nos échanges extérieurs, à une augmentation spectaculaire des importations de biens et de services qui ont été multipliées par plus de six. Elles sont passées, selon les chiffres de la Banque mondiale, de 11,3 milliards de dollars en 2000 à un pic historique de près de 60 milliards de dollars en 2014 avant de redescendre à un niveau proche de 50 milliards de dollars ces dernières années.
Une utilisation imprudente de la rente pétrolière
Ce qui a été couramment qualifié de « fièvre dépensière » de l’Etat algérien a été rendu possible par une situation particulièrement favorable du marché pétrolier. Maintenue pendant plus d’une décennie, elle a permis à notre pays d’engranger des recettes pétrolières qui se sont élevées au total à près de 750 milliards de dollars pendant la période 2000-2014.
Cette aisance financière soudaine a permis non seulement de financer des importations en augmentation exponentielle jusqu’en 2015 mais également de constituer des réserves financières en devises et en dinars. Les réserves de change ont ainsi frôlé la barre des 200 milliards de dollars en juin 2014.
Les gouvernements successifs de l’ère Bouteflika ont ainsi cédé à un « effet de richesse » créé par le gonflement des réserves financières en faisant le pari que le prix du pétrole resterait durablement au-dessus de 100 dollars/baril. Un phénomène de myopie budgétaire qui a conduit à une utilisation disproportionnée et imprudente (en dehors d’une courte période entre 2016 et 2017) des ressources issues de la rente pétrolière .
Pas d’ajustement économique depuis 2014
Depuis un peu plus de 4 ans, une période qui correspond assez précisément au 4e mandat du président Bouteflika, le changement de décor est complet. La chute brutale des prix pétroliers à partir de juin 2014 a fait retomber les recettes pétrolières à 33 milliards de dollars en 2015.
En dépit de la réduction drastique de ses recettes internes et externes, notre pays ne s’est cependant pas engagé dans une démarche de réduction significative de ses dépenses.
Samedi, devant les journalistes, Ahmed Ouyahia a court-circuité la Banque d’Algérie en annonçant avant tout le monde que les réserves de change sont tombées sous la barre des 80 milliards de dollars à fin 2018. Malgré des prix pétroliers qui se sont redressés fortement l’année dernière, les réserves ont donc fondu de nouveau de plus de 17 milliards de dollars en une année.
Depuis juin 2014, la chute des réserves financières extérieures est proche de 115 milliards de dollars. Un chiffre qui résume clairement la politique économique mise en œuvre au cours des dernières années. Notre pays ne se contente pas de consommer les revenus courants de la rente pétrolière qui sont devenus insuffisants pour financer son appétit de dépense, il consomme également, à un rythme accéléré, les réserves financières constituées pendant près de 15 années d’embellie des marchés pétroliers.
Les deux scénarios du 5e mandat
Dans ce contexte, à quoi peut-on s’attendre pour le quinquennat à venir ? En ce qui concerne l’année 2019, les jeux sont déjà faits. La Loi de finances pour l’année en cours annonce des dépenses de l’Etat maintenues à un niveau proche de leur record historique atteint en 2018. Elles devraient se traduire par un nouveau et très important déficit du budget de l’Etat financé par le recours à la planche à billets. Sur le plan externe, c’est un déficit de la balance des paiements de l’ordre de 20 milliards de dollars qui s’annonce pour l’année à venir.
C’est donc à partir de la fin de l’année en cours ou au début de l’année 2020 que de nouveaux arbitrages décisifs devraient être effectués. Pour l’instant, on peut identifier deux scénarios bien distincts.
Le premier d’entre eux est celui d’une « continuité » présumée. Il prolonge la courbe de la politique économique mise en œuvre par l’actuel gouvernement. Dans ce premier cas de figure, la quasi-totalité des économistes et des commentateurs s’exercent à une sorte de concours de pronostics sur la date probable de la crise financière qui jettera notre pays dans les bras des institutions financières internationales.
En janvier dernier l’économiste Nour Meddahi estimait sur TSA : « L’Algérie risque dans les prochaines années de mener des réformes économiques de manière brutale et sous la conduite du FMI ».
Pas plus tard qu’hier, un autre universitaire de renom détaillait pour la radio nationale, les conséquences de la poursuite de la politique économique actuelle. Selon le professeur Belmihoub, l’Algérie est un pays qui « dépense plus que ce qu’il gagne ». Pour lui, « au rythme de la consommation des réserves de change, soit 20 milliards de dollars par an, l’Algérie épuisera son matelas de devises dans trois ans, c’est-à-dire en 2022 ».
Cette dernière date que beaucoup de spécialistes n’hésitent plus à mentionner, est en concurrence dans les pronostics avec l’année 2023. On peut noter qu’elles se situent dans tous les cas en plein milieu du prochain quinquennat en remettant ainsi en cause complètement l’hypothèse d’une possible « continuité » de la politique économique pendant toute la durée du prochain mandat présidentiel.
Vers une réhabilitation du « nouveau modèle économique » ?
Il existe cependant pour les mois à venir un scénario alternatif. Sa description est d’autant plus intéressante et plausible à court terme, qu’elle n’est pas le produit de think tanks ou de personnalités d’opposition inscrivant leur réflexion dans des stratégies de « rupture avec le système » qui ne constituent pas à l’heure actuelle l’hypothèse politique la plus probable.
Dans une période toute récente, on peut attribuer sa formulation la plus claire à un ancien ministre des Finances. Abderrahmane Benkhalfa, qui n’a pas la réputation de critiquer de façon systématique la politique gouvernementale, estime que « nous sommes dans la dernière année ou l’avant-dernière année avant de passer à un autre modèle de financement. Le pays doit renouer avec un nouveau modèle de croissance et avec des trajectoires budgétaires soutenables ».
Il plaide au cours des derniers mois en faveur d’une réhabilitation du « nouveau modèle de croissance acté officiellement en 2016, et dont le listing des réformes a été repris et publié en 2018 dans le cadre de la loi sur le financement non conventionnel ».
Benkhalfa rappelle que ce dernier comporte une « batterie de mesures, à travers la diminution du niveau des dépenses publiques, l’inclusion financière et bancaire, l’ouverture du capital des entreprises et surtout l’ouverture du champ de l’investissement à la fois national et étranger ».
Pour l’ancien ministre du gouvernement Sellal, « nous n’avons plus de marge de manœuvre, non pas que nous soyons en crise, mais parce que nos épargnes institutionnelles ne permettent pas de reporter à des échéances plus lointaines une transformation progressive de notre économie ».
Il ajoute : « Ces décisions sont à caractère économique, mais nécessitent également des décisions politiques énergiques. Si on ne le fait pas maintenant, ce sera trop tard, parce que les réformes nécessitent deux à trois années pour produire des effets ».
Les scénarios alternatifs sont donc sur la table. Dans tous les cas de figure, ils ne correspondent par à une continuité durable de la politique économique actuelle et le 5e mandat risque fort d’être une période beaucoup plus agitée que ne le pensent ses partisans.