Le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane dit MBS a entamé jeudi 22 novembre aux Émirats Arabes unis une tournée à l’étranger, sa première depuis l’affaire au retentissement mondial du journaliste saoudien Jamal Khashoggi tué le 2 octobre au consulat de son pays à Istanbul.
Cette tournée devrait le conduire ensuite en Égypte, au Bahreïn, en Tunisie et en Algérie. Il doit aussi se rendre en Argentine pour assister au sommet du G20 où il devrait rencontrer le Président Erdogan.
« Cette tournée arabe intervient sur instruction du roi saoudien Salmane ben Abdelaziz, afin de renforcer les relations du Royaume aux niveaux régional et international, et en réponse à des invitations reçues de la part de chefs d’État », a indiqué le communiqué du palais royal cité par l’agence officielle saoudienne SPA.
Contrecarrer l’axe Ankara-Doha
Pour François Aissa Touazi, expert des pays du Golfe et co-fondateur du think-tank CapMena, « cette tournée vise à renforcer les relations entre le royaume et ses partenaires arabes et s’inscrit dans le cadre de la compétition entre Saoudiens et Turcs pour le leadership du monde sunnite ».
Le meurtre de Khashoggi a accentué en effet les rivalités entre la Turquie et l’Arabie saoudite, avec en toile de fond, le leadership du monde musulman. D’autant qu’Ankara a joué un rôle clé dans l’éclatement de l’affaire Khashoggi, qui a définitivement terni l’image du Royaume et de son Prince héritier dans le monde entier.
La Turquie a saisi l’affaire Khashoggi pour marquer des points contre son rival saoudien. Son président Recep Tayep Erdogan a visité plusieurs pays musulmans dont l’Algérie, avec lequel il cherche à renforcer des relations économiques et politiques, déjà fortes.
« Il faut savoir que depuis 2015, MBS s’est beaucoup investi dans les relations avec les États-Unis, l’Europe et l’Asie dans le cadre de son plan de diversification économique mais aussi pour isoler son grand rival iranien. Il a été très peu présent dans le monde sunnite à la différence des Turcs qui sont très actifs au Maghreb et en Afrique ainsi que leur allié Qatari. MBS entend ainsi contrecarrer l’axe Ankara-Doha. Il a conscience que ces deux pays cherchent à occuper le terrain d’ou l’importance pour l’Arabie saoudite de revenir en force dans la région, la Turquie est aujourd’hui un des principaux partenaires économiques de l’Algérie ainsi qu’en Tunisie et les Qataris ont beaucoup investis au Maghreb », explique M. Touazi, auteur de l’ouvrage « Le ciel est leur limite » consacré aux pays du Golfe.
Plus précisément l’Algérie, de par son importance stratégique, et ses positions différentes de celles de Riyad sur de nombreux dossiers (Iran, Syrie), figure logiquement dans l’agenda du prince héritier MBS, estime M. Touazi.
« Les sujets de discussion entre les deux pays sont nombreux. Il y a les questions énergétiques compte tenu du poids de l’Arabie saoudite sur le marché pétrolier. Les Algériens sont préoccupés par la baisse actuelle du prix du baril. Par ailleurs, l’Algérie, est une puissance régionale et acteur majeur en Afrique surtout sur le plan politique. La sécurité dans le Sahel pourrait également être abordée d’autant plus que Riyad s’est engagée à soutenir financièrement la force du G5 Sahel », détaille M. Touazi.
« Enfin il faut souligner que Riyad a toujours pris soin de respecter la position algérienne sur les crises au Moyen-Orient. Alger n’a jamais souhaité être suiveur dans les initiatives régionales de MBS notamment dans son bras de fer avec Téhéran, notamment au Yémen et en Syrie, et réaffirmant son attachement à ses grands principes diplomatiques.», ajoute M. Touazi.
Baisse du prix du pétrole
Dans ce contexte, la visite de MBS à Alger pourrait faciliter le dialogue entre les deux pays, notamment sur les questions énergétiques. L’Arabie saoudite, plus grand producteur de pétrole de l’OPEP, joue un rôle crucial dans la fixation des prix du baril, dont dépend entièrement l’économie algérienne.
Et la visite de MBS en Algérie tombe au moment où les cours du pétrole poursuivent leur dégringolade. Vendredi, les prix de l’or noir ont chuté de plus belle dans un marché menacé par la surproduction, à deux semaines d’une réunion de l’OPEP où les Saoudiens seront sous forte pression américaine.
« En réalité, les deux pays veulent avoir des relations apaisées », confirme un ancien diplomate algérien, qui a requis l’anonymat. « L’Algérie a beaucoup d’atouts. Elle entretient des relations avec le président syrien Bachar Al Assad et c’est l’un des rares pays sunnites, qui a de bonnes relations avec l’Iran, avec qui l’Arabie saoudite est en conflit. Elle pourrait être un médiateur efficace entre les deux pays. Enfin, il ne faut pas oublier que Alger a été toujours le pré-carré du prince Mohamed Ben Naïf, le cousin de MBS, que ce dernier a écarté », et qui était très apprécié par le pouvoir algérien poursuit l’ancien diplomate algérien.
Et parmi les autres sujets qui pourraient être abordés lors de la visite de MBS à Alger figure le développement des relations économiques entre les deux pays, selon M. Touazi. « Les échanges économiques entre les deux pays restent faibles, mais de nombreux grands saoudiens lorgnent le potentiel du marché algérien », affirme-t-il.
Et contrairement à l’Arabie saoudite, la Turquie figure parmi les principaux partenaires économiques de l’Algérie. Les échanges économiques entre les deux pays avoisinent actuellement 4 milliards de dollars (contre un peu plus de 500 millions de dollars avec l’Arabie saoudite), et doivent « atteindre dans une première étape 5 milliards, puis 10 milliards de dollars », avait estimé M. Erdogan, lors de sa visite à Alger en février dernier. De leur côté, les Qataris ont multiplié les investissements dans notre pays ces dernières années.
Et si l’Algérie fait partie logiquement de la liste des pays que le prince héritier saoudien a décidé de visiter dans le cadre de cette tournée, ce n’est pas apparemment le cas du Maroc, ce qui peut paraître surprenant compte tenu des relations anciennes et profondes entre les deux monarchies.
Pourquoi MBS boude le Maroc
« Il semblerait qu’il y a un froid dans les relations entre le Maroc et l’Arabie saoudite. Les Marocains ont très mal pris le soutien de l’Arabie saoudite pour la candidature des États-Unis, du Canada et du Mexique pour l’organisation du Mondial 2026 alors que leur pays s’était porté candidat pour accueillir cette compétition. Les Saoudiens ont donné l’impression de ne pas soutenir financièrement le Maroc qui a besoin de ses partenaires du Golfe pour faire face à la crise qui frappe son économie. Au Forum de Riyad, le Davos du désert, le Maroc était d’ailleurs le grand absent. Cette année, le roi Salmane, pourtant habitué à passer ses vacances d’été dans son palais de Tanger a boudé le Maroc », remarque un expert algérien dans les relations internationales.
« Il ne faut oublier que Rabat a soutenu Doha dans sa crise avec les pays du Golfe en raison importance investissements qataris chez au Maroc. Cette attitude n’a pas plus à MBS », ajoute-t-il.
Pour la Tunisie, MBS « veut aussi contrecarrer” l’axe Doha-Ankara, « très actif dans ce pays ».« La Tunisie est aussi un pays important pour MBS. Le parti Ennahda est réputé proche des Frères musulmans, c’est un allié des Turcs et des Qataris. Il est fortement soutenu par ces deux pays », analyse l’ancien diplomate algérien.